14 Fév 13 Interview – PVT, genèse d’une mue annoncée
Trois ans après « Church With No Magic », PVT laisse une trace de son évolution en signant »Homosapien », transition impressionnante vers un horizon plus lumineux. Toujours là où on ne les attend pas, les Australiens changent de format, de structure et par la même occasion, de label. Explication de texte avec Richard Pike, tout juste sorti du restaurant.
C’était bon?
Richard Pike: Oh oui, tu sais, juste un steak et des frites…
À titre personnel, « Church With No Magic » est l’un des albums de la décennie, et je suis convaincu de ne pas être le seul à le penser. Avez-vous ressenti une pression particulière pour »Homosapien »?
Tu parles par rapport aux attentes suite à « Church With No Magic »? Pas vraiment, au contraire (rires). En fait, on en a même ressenti moins…
Pour quelle raison?
Il s’agissait plus d’une pression interne, de la pression que nous nous sommes mis nous-mêmes. En fait, il y en a toujours un peu, mais beaucoup moins pour celui-ci. Nous voulions prendre notre temps, nous laisser aller. C’était la voie la plus importante.
J’aime beaucoup la tracklist. Avez-vous pensé l’album comme une narration, comme un roman?
Oui, assurément (il le répétera trois fois). Créer une histoire, c’était l’objectif important pour nous trois. (De là s’ensuit une discussion autour de l’interprétation des textes, de Darwin et sa théorie de l’évolution). En fait, je n’ai jamais pensé à Darwin. Je ne voulais pas l’évoquer mais, évidemment, je comprends qu’il s’agisse du nom le plus logique lorsqu’on parle d’évolution. En l’occurrence, Il s’agit plus d’une réflexion personnelle sur l’évolution de la société. Ça amène beaucoup de questions, c’est un très gros sujet à évoquer, mais il y a beaucoup à explorer. Le monde n’est pas parfait et ne le sera certainement jamais. C’était donc le point de départ de cet enregistrement.
Le chant occupait déjà une bonne part de « Church With No Magic » et il est désormais omniprésent. Cela représente t-il un travail différent des autres instruments pour toi?
C’est un instrument et, dans le même temps, un organe naturel. Nous nous sommes plus concentrés sur les mots, sur les histoires. Progressivement, la voix est devenue nécessaire pour nous mais sans aucune réflexion ni conscience particulières de cela. Simplement, nous nous sommes laissés partir dans cette direction en se disant juste qu’elle ne devait pas trop couvrir le reste. Le but était de laisser respirer, d’être plus ouvert.
Ici ou là, on peut lire que »Homosapien » est calme. Au contraire, je trouve cet album propice aux mouvements lents mais envoûtants. C’est assez typique de la musique répétitive. Peut-on dire que cet album s’en est imprégné?
Je ne pense pas qu’il s’agisse d’un album calme, hormis l’intro et la conclusion. Peut-être est-il plus doux alors que le précédent était plus… grandiloquent. En revanche, je suis plus influencé par le minimalisme, mais pas celui de Philip Glass (rires). C’est vraiment la star du minimalisme dont je ne suis pas particulièrement fan. C’est très… basique dans l’approche, je préfère vraiment d’autres versants de cette musique. Mais, en effet, il est vrai que ces derniers temps, j’écoute de plus en plus de musique répétitive.
Au sein de « Nightfall », on décèle des paroles en français, »Je ne suis pas débile, je ne regrette rien ». Il existe un film »Nightfall », réalisé aux Etats-Unis par un français, Jacques Tourneur. Y a t-il un lien?
Ah, non, pas du tout, je ne connais pas ce film.
Alors d’où viennent ces mots?
De ma tête (rires). J’avais des brouillons de mots. Je ne parle pas français mais, en discutant avec notre sondier qui est français, il m’a aidé à utiliser quelques phrases. Mais je ne sais pas vraiment pourquoi ni comment ils ont atterri là… En fait, il y avait quelque chose dans cette chanson qui devait être intégré, c’était un besoin. Non, pas vraiment un besoin, mais j’ai pensé que ça pouvait être une belle pirouette d’intégrer ces quelques mots français. Je trouvais que c’était un peu étrange et inattendu, ironique aussi. Je pense que ça fonctionne bien.
»Homosapien » est-il le fruit d’autant d’improvisations que le précédent?
Non, si »Church With No Magic » résulte de beaucoup de sessions, nous avons plus écrit pour « Homosapien ». Nous voulions être plus concentrés sur les chansons. Auparavant, nous avions besoin de beaucoup plus de contenu, des heures et des heures de sessions, et nous avons poussé cela jusqu’à l’extrême, particulièrement pour »Church With No Magic ». Parfois, c’est dur, c’est une tâche laborieuse de réaliser un album avec autant d’heures d’enregistrement à trier. Cette fois, nous avons décidé de faire l’inverse: moins d’improvisation, plus de certitudes sur les directions vers lesquelles emmener notre musique. Néanmoins, ce n’était pas vraiment délibéré de changer à ce point nos habitudes. Ça s’est fait de manière assez naturelle.
À quel point la scène influe t-elle sur votre manière de composer?
Ça compte beaucoup pour nous. C’était encore plus important pour le précédent. Pour celui-ci, la conscience de la scène était aussi présente mais d’une manière plus indirecte, et surtout pour notre approche des voix et notre sens de l’espace. Tous ces aspects de notre musique, toutes ces subtilités, ces approches, on ne peut y réfléchir qu’après avoir expérimenté ces difficultés sur scène.
L’artwork du précédent album provient d’un visuel résultant du procédé Camera Obscura, il était très froid. Or, celui-ci vient du peintre Winston Chmielinski. Je dois avouer que je l’aime beaucoup. Ses couleurs, ses lignes… Est-ce que cela témoigne aussi de l’évolution sonore de PVT?
Cet artwork était fondamental pour nous. Pour »Church With No Magic »‘, cela se référait à une atmosphère plus sombre, plus lourde et sulfureuse. Effectivement, l’utilisation de visuel issu de Camera Obscura était probablement froide. Là, nous voulions interpréter des compositions liées à l’expérience humaine, et il nous fallait le refléter. Avoir cette variété de couleurs était notre première intention. Lorsqu’on a vu cette peinture, c’était parfait. Elle était si expressive, si humaine, que nous avions vraiment envie d’utiliser cette œuvre. Nous sommes très heureux que cela ait pu se faire.
Je pense que beaucoup de ces nouveaux titres pourraient faire l’objet de remix. Est-ce en projet?
Je ne pense pas qu’on ait encore sorti un seul remix.
Non, en effet…
Oh, et bien nous allons bientôt en sortir mais, pour le moment, c’est encore trop tôt pour le dire (rires).
Justement, à ce propos, l’an dernier un des meilleurs titres de »Monkeytown » de Modeselektor en tournée était »Green Light Go » avec ta participation vocale. Récemment, vous avez tourné avec Menomena avant de remixer leur titre »Plumage ». Est-ce que tu aimes amener un peu d’ADN de PVT à d’autres productions?
C’était vraiment excitant de collaborer avec MDSLKTR. Ils ont vraiment un mode de création intéressant. Ils ne regardent jamais en arrière, ils ne restreignent pas, sont toujours dans l’expérimentation, dans le moment présent. C’est une vision qui m’est chère, c’était donc vraiment bien qu’il m’ait sollicité. J’ai rencontré Szary lors d’un de nos concerts à Berlin. Il est venu se présenter à nous, seul, à la table de merchandising, simplement parce qu’il aimait ce que l’on faisait. De mémoire, il a acheté un disque. Nous sommes restés en contact et il nous a proposé de collaborer sur un morceau. J’aime beaucoup ce type d’expérience. Quant à Menomena, c’était vraiment bien d’apprendre à les connaître durant un mois, c’était très appréciable. C’était donc assez cool de les remixer, j’apprécie aussi cette facette.
Vous avez posté deux vidéos, l’une où vous jouez »Nightfall » sur une tablette, l’autre où vous fabriquez un titre en samplant des bruits de porte, de bouteille, des claps et des miaulements de chat. Est-ce aussi l’occasion de montrer que, finalement, la musique reste ludique avant d’être une occupation sérieuse?
En fait, on se faisait juste chier en coulisses avant un concert (rires). Mais sinon j’aime vraiment m’amuser sur ces bidules, ces applications. Après, de là à faire une production entière avec, je ne sais pas. Certains le feront mieux que nous. En l’occurence, il s’agissait de proposer une exclusivité et, d’habitude, on fait toujours une version acoustique. Je n’aime pas vraiment ça, ça ne sonne jamais vraiment bien selon nous. C’était donc une manière de laisser une version électronique plus fun à nos yeux que de l’acoustique.
L’album a leaké il y a quelques semaines. Comment gérez-vous ce genre de situation?
Ah? Je ne le savais pas, tu me l’apprends. L’album entier? Ok. J’imagine que c’est inévitable. Pour être honnête, je suis surpris que cela ne soit pas arrivé plus tôt vu que nous avons fini l’album il y a déjà pas mal de temps. Il y a des choses que tu ne peux pas vraiment gérer. À vrai dire, je ne sais pas quoi dire à ce sujet, il faut être fataliste.
Malgré tout, vous avez fait le choix de présenter cet album en dévoilant un titre par jour sur le web. Est-ce pour vous une nouvelle manière de communiquer?
Oui, je viens juste de discuter de cela avec quelqu’un. C’est vraiment important. De nos jours, tu n’intéragis plus de la même manière avec le public. Tu as une communauté à laquelle tu peux parler directement, ces gens qui te suivent et avec lesquels tu peux construire une relation plus riche. Ca nous semble être le meilleur moyen de continuer dans notre voie en tant que musiciens.
Vous êtes désormais sur Modulor. Peux-tu nous parler de ce départ de Warp?
La principale raison? Ok. Adaptation (rires). Nous devions avancer et le contrat avec Warp s’arrêtait. Pour être honnête, les termes de celui-ci n’arrangeaient aucune des deux parties. Nous avons donc changé de label et désormais, nous sommes sur plusieurs labels situés dans différents pays, ce qui signifie que nous avons plus de contrôle en tant qu’artiste. Nous essayons quelque chose de différent et, pour le moment, ça fonctionne bien. Il n’y a aucun souci avec Warp, je les adore, mais c’est une chose positive pour nous car ce label dégage une telle aura qu’il est difficile d’exister au-delà de son ombre. Nous nous sommes toujours un peu débattus avec cela, comme d’autres artistes j’imagine. Nous sommes heureux d’exister en dehors de cette sphère et de pouvoir dévoiler ce que nous sommes sans être comparé maladroitement à un autre groupe du même label. Cela nous est souvent arrivé, et nous avons toujours pensé que c’était inapproprié.
Pas mal de groupes étrangers rechignent à passer par la France ou sinon, seulement pour quelques dates, généralement à cause de l’ambiance, d’un public trop poli. Partages-tu ce même point de vue?
Clairement, je ne suis pas d’accord avec ce constat. Nous avons toujours été bien accueilli, ça a toujours été positif, c’est un public très vocal et présent, c’est pourquoi on continue de revenir.
Pour conclure, on va rester dans le giron australien. Tu connais Civil Civic?
Oui, je connais Aaron, il vit à Londres actuellement, n’est-ce pas?
Oui, ils vont bientôt enregistrer, on pourrait imaginer une collaboration prochainement?
Ahah, je n’y avais jamais pensé, en fait. Peut-être un jour? C’est toujours possible. Qui sait?
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