11 Mai 15 Interview – Nueva Vulcano, culte presque malgré lui
Il y a une quinzaine d’années, le rock espagnol s’exportait sans mal en France comme en Europe, sous l’impulsion du label BCore et de son groupe phare, Aina. L’aventure terminée, Artur Estrada s’en allait canaliser son inspiration et son énergie au sein de Nueva Vulcano, une reconversion plus indie rock au sein de laquelle on l’entendait pour la première fois chanter dans sa langue natale. Entouré du batteur Albert Guàrdia, du bassiste Wences Aparicio, et du multi instrumentiste Marc Clos, cette figure du rock catalan sortait en ce printemps ‘Noveleria‘, le quatrième album d’un groupe devenu quasiment culte chez lui, qui s’apprête à fouler de nouveau une des grandes scènes de son Primavera Sound Festival. Plus de dix ans après notre dernière rencontre avec lui, c’est alors que Nueva Vulcano passait par Madrid pour le défendre qu’on a pu renouer le dialogue. Passé, présent, futur, tout y passe.
Notre dernière rencontre remonte à septembre 2004, alors que Nueva Vulcano sortait son premier album. Pouvez-vous résumer brièvement ce qui s’est passé pour le groupe ces onze dernières années?
Artur: On peut dire que les bons disques de Nueva Vulcano sont arrivés après 2004! À l’époque, on voulait publier un album par an, mais on n’a finalement pas pu maintenir le rythme que l’on voulait. Après ‘Juego Entropico‘ en 2005, on a fait une pause jusqu’en 2009, moment ou nous avons sorti notre troisième disque ‘Los Peces de Colores’ qui fut très important pour nous. On a pu s’ouvrir à un public un peu plus large, les festivals ont commencé à s’intéresser au groupe, et je crois que cet album a défini ce que nous étions. On avait changé un peu notre manière de composer et, apparemment, c’était la bonne. On a tourné ensuite pendant deux ans mais, ce qui est curieux, c’est qu’on a la sensation que, depuis, le disque a continué de vivre et de bien vivre. Notre public est plus nombreux que jamais. Alors je ne sais pas si donner le conseil de prendre son temps et de laisser les disques vivre est vraiment judicieux mais, pour Nueva, c’est clairement ce qui s’est passé. J’aime penser que c’était un bon disque, et que les amis se le sont passés entre eux, jusqu’à aujourd’hui.
Il y a toujours cette ferveur incroyable à vos concerts, tant sur scène que dans le public. Un tel engouement pour un groupe local, c’est presque quelque chose d’unique en Espagne… La dernière fois qu’on a pu vous voir, c’était à l’occasion du festival Deleste en Octobre 2014, et ce qu’on a vu sur scène fut absolument impressionnant…
Artur: Ce concert fut très particulier pour nous, ça faisait longtemps qu’on n’avait pas joué dans un festival indé. On a accepté car Quique Medina, l’organisateur, est un type qui a été très important pour nous à Valence. Depuis le début, il a toujours eu confiance en nous, et nous a dit qu’on allait clôturer le festival… On est conscient que notre musique ne plait pas à tout le monde, et c’est encore plus difficile de convaincre le plus grand nombre quand tu joues dans ce type d’évènement. Le lendemain, on allait enregistrer notre nouveau disque, et je peux t’assurer qu’on est rentré en studio à bloc tant la réponse du public avait été bonne. Ca a été génial pour nous.
Il s’est passé la même chose il y a quelques semaines quand vous avez présenté ‘Noveleria’ chez vous, à Barcelone?
Albert: C’était génial. Tout comme nous, les gens attendaient ça depuis un moment. Ce fut une vraie réunion. On rassemble maintenant plusieurs générations, et des gens de tous horizons, il y a donc une belle communion entre nous et le public.
Artur, avec Aina, tu as eu l’opportunité de voyager beaucoup et de jouer dans différents pays, le fait de chanter en anglais facilitant clairement les choses. Est-ce que cela te manque avec Nueva Vulcano?
Artur: J’espère que ma femme ne va pas lire cette interview sinon elle va me tuer, mais oui, on aimerait jouer partout ces temps-ci. On aimerait monter une tournée en Europe, et pourquoi pas en Amérique Latine. Mais les choses sont différentes maintenant, tout est plus compliqué. Lorsqu’on était plus jeunes, on se lançait sans avoir peur de rien, on n’avait pas de préoccupations. Maintenant, j’ai deux petites filles donc on doit penser les choses plusieurs fois avant de se lancer. Il y a un truc que je me dis souvent, c’est qu’on serait sans aucun doute un bien meilleur groupe si justement on avait l’occasion d’organiser de vraies tournées, de faire une vingtaine de concerts d’affilée en un mois…
Marc: Quand on fait deux concerts de suite, les choses s’améliorent, donc j’imagine que tout pourrait prendre une autre ampleur si on pouvait tourner de façon plus régulière.
Justement, tu parles d’Amérique Latine… Est-ce que ces pays expriment un certain intérêt pour Nueva Vulcano?
Albert: On a très envie d’aller là-bas évidemment. Les gens vivent la musique d’une manière très intense dans ces pays, et on a envie de connaitre ça en concert. On a eu des offres qui n’ont pas abouti pour le moment, mais ça se concrétisera à la prochaine occasion, sans aucun doute. On bosse en ce moment même pour aller jouer au Mexique, au Chili, au Brésil… Il y a un intérêt pour le groupe dans ces pays, à un niveau très underground. Mais évidemment, au niveau de la logistique, ce n’est pas comme aller jouer en France en fourgonnette, comme nous l’avons fait en 2004. Là, on parle d’avion, d’y rester un moment, donc ça coute cher. Mais on veut le faire.
Aina entretenait de bonnes relations avec Seven Hate et Burning Heads, entre autres. Ce sont eux qui ont permis au groupe de beaucoup tourner en France. Serait-ce quelque chose de tout aussi envisageable pour Nueva Vulcano? Êtes vous en relation avec des groupes français?
Artur: On a fait la connaissance des Papier Tigre quand ils sont venus jouer en Espagne. Ils étaient en tournée, et on jouait le même soir à Grenade. On aime choisir nous mêmes nos premières parties, donc on a écouté Papier Tigre que notre producteur nous avait recommandé. On a donc fait en sorte de changer un peu les plans prévus pour se retrouver sur la même affiche à Grenade. Et, rien que pour voir jouer leur batteur, ça valait vraiment le coup!
Albert: Vu que tout le monde était satisfait de ce premier concert ensemble, on a fait la même chose à Barcelone. Ils avaient une date prévue le même soir que nous: donc rebelote, sauf que là on a joué avec eux à l’Apolo, une salle mythique de Barcelone, pleine à craquer.
Artur: Lors d’une autre tournée, on les a même fait jouer dans notre bar, où normalement on ne peut pas jouer en électrique. Mais, pour l’occasion, on a fait ça l’après midi pour qu’ils puissent jouer branchés, et pas avec un ukulélé. Pour en revenir à cette époque où on venait jouer en France, on se rendait compte qu’il y avait une vraie scène – avec les Seven Hate, Burning Heads… – qui n’existait pas en Espagne. Quand j’en ai reparlé avec les Papier Tigre, j’ai eu l’impression de passer pour un vieux en leur racontant ces moments là. Surtout quand ils m’ont répondu que c’était toujours le cas, et que la seule chose qui avait changé, c’est que je ne me tenais plus au courant de ce qui s’y passait (rires)
Wences: À l’époque, on enviait les aides de l’Etat à la musique amplifiée, à travers le statut d’intermittent, un truc complètement impensable en Espagne. Il y avait beaucoup d’associations qui montaient leurs concerts, c’était très différent de ce qui se passait ici.
Artur, en 2001 lors d’une interview d’Aina, on te demandait pourquoi tu ne chantais pas en espagnol. Tu nous avais répondu que quasiment tous les groupes que vous aimiez chantaient en anglais, que ça sonnait mieux ainsi, et que tu chantais aussi en anglais pour ne pas ressembler à des groupes espagnols que vous n’aimiez pas…
Artur: Je suis d’accord avec moi (rires), avec le moi d’il y a quatorze ans. Ca fait un peu retour vers le futur (rires). Maintenant, la question qu’on nous pose alors qu’on chante en espagnol, c’est pourquoi on n’écrit pas en catalan. Et la réponse serait finalement la même: on ne veut pas ressembler aux groupes catalans, même s’il y en a qu’on aime beaucoup, comme par exemple Antonia Font et Mishima qui ont beaucoup fait pour la pop catalane…
C’est marrant que tu répondes ça car, toujours en 2004, tu nous conseillais justement d’écouter Antonia Font…
Artur: Ah oui??? Musicalement, je pense que ce n’est pas très intéressant, encore plus si tu ne comprends pas le catalan. Je ne sais pas pourquoi je vous ai recommandé ça à l’époque (rires).
Wences: Les années 90, en ce qui concerne le rock/pop catalan, ont été très mauvaises. Donc quand des groupes comme Antonia Font, Mishima, Manel sont arrivés, c’était plutôt chouette pour nous d’avoir un peu de groupes catalans à travers lesquels on pouvait se retrouver, de par la langue plutôt que la musique en elle même… Avant, chanter en catalan, c’était un peu un truc que tu faisais pour te marrer, ça faisait référence à des trucs pas très bons…
Maintenant que vous chantez en espagnol, on a plus de difficultés à vous comprendre en France. Pouvez vous nous dire en quelques phrases de quoi parlent vos chansons?
Artur: Dans une interview qu’on a fait juste avant, on a répondu un truc qui nous correspond plutôt pas mal. Nos textes reflètent un certain scepticisme quant à l’idée du progrès, abordent aussi le thème de l’amour. Même si j’essaie de ne pas trop en parler, c’est quelque chose qui revient toujours. On parle aussi beaucoup de Barcelone dans nos chansons.
Pensez vous que vous auriez pu atteindre un autre niveau de notoriété en jouant plus, en publiant plus de disques, en gros en respectant l’idée initiale que vous aviez pour le groupe?
Artur: On ne peut pas vraiment savoir ce qui aurait pu se passer. Mais on se dit parfois que c’est finalement pas mal de faire les intéressants, de se faire attendre, de ne pas être omniprésent, de se laisser respirer, de laisser les choses se faire. Au bout du compte, nous ne sommes que des amateurs, donc il est difficile pour nous de dédier autant de temps qu’on le voudrait au groupe…
Marc: Je crois qu’il y a comme un fil conducteur entre chaque disque qui fait que les gens s’y retrouvent à chaque fois. Ils ne sont pas perdus, l’histoire continue, et c’est ce que le public de Nueva Vulcano attend en quelques sortes.
Artur: C’est ce que je te disais avant. C’est vrai que c’est curieux d’avoir cette réputation de groupe quasi culte dans notre pays, et de constater cela depuis quelques années depuis notre canapé…
Wences: Les gens qui nous suivent ont presque tous un bon souvenir de nous en concert, et ce sont ces souvenirs qui entretiennent la réputation du groupe, qui sont contagieux pour les autres qui nous connaissent moins et qui ont envie de vivre ça avec nous.
Vous avez une activité professionnelle en parallèle au groupe?
Wences: Tous les quatre, on a des tafs qui nous permettent de nous consacrer à Nueva Vulcano lorsque la machine se remet en marche. Quand on le fait, c’est pour de bon. Ce qui n’est pas facile, c’est de trouver le moment qui convienne à chacun de nous. Avec son frère Joan, Albert a sa propre entreprise appelée La Castanya. Ils s’occupent du management de plusieurs groupes, du booking. Marc est musicien professionnel…
Albert: Ce qui est clair, et ce qu’on a d’ailleurs décidé dernièrement, c’est que Nueva Vulcano est notre priorité. On est tous d’accord sur ce point. Après, il faut quand même payer le loyer à la fin du mois, c’est pour ça qu’on a d’autres activités.
BCore, votre label, fête cette année ses 25 ans. Quels groupes du label pourriez vous recommander au public français?
Artur: Betunizer et leur dernier album ‘Boogalizer’ qu’on adore. Ils ont joué en France d’ailleurs.
Albert: On adore No More Lies également, un groupe culte pour nous. Pareil, ils ont beaucoup joué en France et en Suisse. Santi García, notre producteur, en fait partie. C’est un grand ami et on adore ce groupe. Ce qui est chouette avec Bcore, c’est que c’est le genre de label qui intéresse les gens par sa propre existence. C’est seulement ensuite que les gens découvrent les groupes. C’est un peu la même chose que pour Dischord. Tous deux ont en commun une éthique qui fait que tu vas te retrouver sans aucun doute dans beaucoup de références.
Cet été, vous allez jouer dans beaucoup de festivals très différents les uns des autres: Primavera Sound, Festival de les arts, Low Festival, et le Vida Fest. Dans notre esprit, on vous imagine plus au Primavera et au Vida que dans les deux autres. Jouez vous partout ou on vous invite, ou êtes vous généralement sélectifs?
Artur: On veut jouer. Ca semble un peu ingénu de notre part, mais on n’a jamais fréquenté le Low ou le Festival de les Arts, donc on y va. Comme on a dit avant, Nueva Vulcano est notre priorité actuelle, donc on veut jouer le plus possible.
Albert: On veut aussi voir comment le groupe va fonctionner dans un contexte différent, qu’on ne connait pas.
Artur: Au niveau financier, c’est également intéressant. En plus, dans ces cas là, ce sont les festivals qui sont venus nous chercher, qui ont manifesté leur intérêt. Donc on y va!
Pour finir, que représente le Primavera Sound pour vous? Avez vous un souvenir spécial du festival?
Albert: Je me souviens avoir vu Flaming Lips et Los Planetas là-bas une année. Ainsi qu’un groupe qui commençait tout juste à jouer et qui s’appelait Arcade Fire. Artur était avec moi ce soir là…
Artur: J’ai un vague souvenir de cette soirée (rires). Je me souviens y être allé et en être revenu à vélo, comme Elliot dans E.T., en volant (rires).
Wences: Pour ma part, je me souviens avoir dormi à un arrêt de bus cette année là, juste devant le Forum (rires).
Albert: Au niveau du groupe, ça a été le premier festival à nous appeler. Ils nous ont toujours traité avec beaucoup de respect, et le public a toujours pris du plaisir à nous voir au Primavera Sound, tout comme nous à y jouer. On venait de finir la tournée de ‘Los Peces de Colores’, et c’est comme si tous les gens qui nous avaient vu pendant la tournée s’étaient réunis au Primavera Sound pour nous revoir. C’était une vraie communion, les gens étaient fiers de nous voir sur une grande scène, encore plus chez nous à Barcelone.
Artur: Ils voulaient qu’on vienne l’année dernière, mais on voulait avoir de nouveaux morceaux pour faire un truc cool là-bas. On est toujours fier de retourner au Primavera Sound.
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