14 Nov 12 Interview – Niveau Zero affole les portiques
Des choses, il s’en passe aussi de ce côté de la Manche. En effet, en marge de nos voisins anglais en perpétuelle surenchère de basse, Niveau Zero prend la corde dubstep par l’autre bout en la brûlant de ses influences hip-hop, breaks et majoritairement métal, au sein de « Jasmine« , un second album très réussi. En pleine actu, et alors qu’il reçoit les louanges de la presse internationale, son escale dans la métropole lilloise sur fond de festival Ground Zero est une double-aubaine: celle de se prendre des baffes en live, et celle de s’entretenir avec l’un des talents les plus prometteurs de la scène électro française.
Que faisais-tu avant le dubstep?
Niveau Zero: J’ai joué dans plusieurs formations métal-hardcore en tant que bassiste et chanteur pendant pas mal d’années, jusqu’à mes dix-neuf ans. Ces formations marchaient plutôt bien, on a fait quelques tournées, des premières parties de groupes comme Loudblast. Je me suis arrêté pour des raisons particulières car, dans le sud de la France, le milieu était trop extrême, dans le mauvais sens du terme. Il y avait beaucoup trop de bras levés dans les concerts! Pour la musique, j’aimais beaucoup le black métal, et les choses un peu obscures et occultes, mais il y avait énormément de racistes dans le public. Du coup, ça m’a saoulé. Je cherchais un nouveau son et j’ai découvert l’électronique à travers les free-parties. Je n’ai pas forcément aimé l’ambiance de la free-party mais ça m’a permis de découvrir l’électro, comme beaucoup de gens. Je me suis mis à mixer de la drum’n bass, monter des assos, un crew sur Paris… Puis quand le dubstep est arrivé, c’était une nouvelle bouffée d’air!
Tu n’es donc pas passé directement du métal au dubstep, il y a eu une transition…?
Oui, d’autant plus qu’à l’époque, il y avait des groupes indus comme Ministry qui faisaient déjà le pas. J’ai fait un gros rejet du métal pendant pas mal d’années, j’étais en plein dans la culture breakbeat. J’étais déjà fan de la scène portée par Scorn ou Techno Animal, puis j’ai commencé à monter un live dub et hip-hop assez lourd. Et quand le dubstep a débarqué je me suis dit: « Putain, c’est vraiment ça qu’il me faut…« .
Il y a beaucoup de similitudes entre le métal et le dubstep, et on entend clairement ces influences dans ton nouvel album. D’une certaine manière, retrouves-tu tes premières amours dans le dubstep?
C’est étonnant parce que, il y a quelques années, ces similitudes existaient à peine. C’était très dub dans la culture. Maintenant, les wobbles – les gens adorent ce terme (rires) – sont devenus carrément des guitares sur certains morceaux, ou ont pris leur place dans la fréquence sonore. Je me suis mis à réécouter quelques trucs de rock et de métal que j’écoutais avant, et du coup je refais un crossover entre la culture breakbeat et le métal.
Tu es seul en live. Le fait d’être en groupe et de jouer d’un instrument te manque-t-il?
Étrangement ça ne me manque pas trop. En termes de logistique, ça aide, et ça me permet de composer plus rapidement. Même si je ne suis pas forcément une flèche, je reste maître de la rythmique et de la mélodie. Et en live, c’est une autre forme d’énergie. En plus, je trouve que c’est beaucoup de tension d’être dépendant de l’autre, de se demander si le batteur va placer son truc au bon moment… Je me suis affranchi de ça, mais beaucoup de gens me demandent si ça m’intéresserait d’avoir un batteur. Pas forcément, je ne me vois pas tout de suite sur ce genre de projet, j’ai encore envie de tourner avec une formule assez simple, en étant seul dans un train ou un avion pour aller jouer! Ce n’est pas égoïste, je ne m’occupe que de moi par simplicité. Mais plus tard, je retournerai peut être dans une formation rock, pourquoi pas, même s’il y aura toujours du hip-hop ou de l’électro. Le côté bass music remplira le bas du spectre des fréquences, le métal remplira le milieu, et les petites mélodies le haut!
Je vois de plus en plus de gens qui arrivent du métal vers l’électro, en passant par cette porte qu’est le dubstep. Par contre, l’inverse est plutôt rare! As-tu une théorie?
C’est complètement vrai! J’ai justement un avis très tranché sur la question. J’ai longtemps eu une culture break, qui inclut à la fois la drum’n bass et par extension le reggae et le dub. Et j’ai remarqué qu’il était impossible de faire écouter de l’indus ou du métal à un mec issu de cette culture. C’est tout de suite Satan, le grand Mal (rires)! Je me suis retrouvé à jouer sur un festival indus, le Maschinenfest en Allemagne. J’avais vraiment peur, je jouais des trucs hip-hop, il y avait carrément des rythmes soca, je pensais que j’allais me faire lyncher! Mais dès que tu balances une voix ragga, les mecs gueulent, ça leur fait plaisir! Ce sont de gros passionnés de musique, et de vrais consommateurs. Et je pense qu’il y a un phénomène: quand tu écoutes une musique aussi saturée et aussi violente, ton oreille peut tout supporter, à part le mauvais goût bien sûr! C’est peut-être aussi parce qu’ils sont un peu plus vieux! Pour que l’inverse fonctionne, il faudrait y aller progressivement en leur faisant écouter des groupes comme Rage Against The Machine ou Limp Bizkit, ceux qui établissent des ponts.
Parlons un peu de ton second album. Qui est « Jasmine »?
En fait, Jasmine n’est pas une personne! C’est un hommage au printemps arabe, à la révolution du jasmin. Après l’album « In-Sect », c’était la première fois de ma vie que je vivais une révolte populaire. J’ai trouvé ça hyper puissant. J’ai regardé beaucoup de vidéos sur Youtube et de reportages sur le sujet, ça m’a fasciné. J’ai trouvé ça fort de voir ces gens trouver le courage de sortir dans la rue pour faire valoir leurs opinions, au risque de se retrouver seul ou de se faire lyncher. Pour l’anecdote, ma mère est née en Tunisie, et je suis également allé jouer dans la cathédrale de Carthage l’an dernier, deux mois après la révolution du jasmin. C’est vraiment la révolte populaire qui me fascine. Ce qui se passe ensuite, on n’en sait rien, ça sera peut être pire.
Et toute cette fumée noire sur la pochette?
C’est lié, ça fait partie de cet hommage. Deux personnes ont travaillé sur la pochette, et ce n’est pas une photo, c’est une image de synthèse travaillée. Ce ne sont pas des flammes mais de la fumée, le symbole est là! Je ne suis pas un révolutionnaire, même si c’est un thème qui revient dès qu’il y a des paroles dans le disque. « Forward » ou « New Order » reflètent bien l’insoumission, le fil rouge de l’album.
D’où viennent toutes ces rencontres que l’on peut retrouver sur le disque?
Il y a des gens que je voulais avoir, et il y a des rencontres, comme sur le premier album. Pour moi, ça résume les deux ans passés. Aucan, j’ai découvert leur album « Black Rainbow » et ça m’a mis une bonne tarte. Je suis assez fan de ce côté dubstep tourné vers le rock. A la base, ils m’ont demandé de faire un remix du morceau que je préférais. T’es fan d’un album et on te demande ça, c’est du bonheur! J’ai donc remixé « Sound Pressure Level », on s’est rencontré et ils m’ont fait jouer à Bologne pour la sortie de leur dernier album de remixes. C’est une vraie rencontre, on s’entend assez bien, et je pars en tournée avec eux en Italie sur six dates. Dubsidia, ce sont des espagnols que j’ai rencontré sur deux dates. Quand j’ai découvert leur son, ça faisait longtemps que je n’avais pas entendu de basse aussi bien travaillée! La collaboration s’est faite assez simplement.
Il y a aussi des amis?
Oui, Youthman, Ill Smith et Damned sont des amis. Je connaissais les flows des uns et des autres et j’avais une idée de morceau en tête. Par exemple Damned, celui qui a une voix hardcore sur le morceau « Forward », c’est mon frère. Je savais exactement ce qu’il allait faire, je n’ai donc pas été déçu! Dr Oktopus est la moitié de Dälek, groupe dont je suis hyper fan. J’ai fait ce morceau avec lui et il m’a proposé des petits poulains, le renouveau du style. Il travaille avec le label Deadverse et m’a proposé deux MCs. Je leur ai donné le thème, on a échangé des fichiers… J’espère que le fait que le morceau ait été fait à distance ne s’entend pas!
Dans le monde du dubstep, style souvent très dancefloor, j’imagine qu’on aborde de manière différente la composition d’un EP et d’un disque. Comment fais-tu pour éviter la succession de maxis dans un album?
Les EPs, tu les formates pour le dancefloor, il y a des codes. Je trouve que l’album est une façon de s’en affranchir et de raconter une histoire. Je sais que le digital dématérialise l’album, tu peux le prendre dans le désordre et pas forcément dans sa totalité mais, globalement, je continue à croire au concept d’album qui s’écoute de A à Z. J’ai trouvé intéressant de faire un album dubstep très énervé, très métal au milieu de cette surenchère de la tronçonneuse! Par exemple, même si je suis très content de mon premier album, je n’arrive pas à l’écouter chez moi, je le trouve un peu trop intense. Pour « Jasmine », je voulais un album écoutable à la maison, avec des moments forts et d’autres où on peut souffler.
Il y a effectivement des morceaux comme « Permafrost » ou « Aido » qui sont plus deep…
Oui, j’ai essayé d’articuler l’album autour de morceaux plus cools. Pour « Permafrost », ce n’est pas anodin car j’ai beaucoup écouté de post-dubstep. D’ailleurs, ce nom me fait un peu rigoler car ce style sans wobble a toujours existé, même avant que le dubstep tel qu’on l’entend aujourd’hui ne débarque! J’adore le métal, j’adore la bass music au sens large, le hip-hop, et j’espère qu’on entend toutes ces influences. Je sais que plein de gens vont trouver qu’il y a trop de styles, qu’on ne sait pas sur quel pied danser, mais je le revendique, ce n’est pas un grand écart.
Il y a aussi un remix que tu as fait pour le groupe As They Burn. Pourquoi l’avoir mis sur l’album?
On s’est rencontré parce qu’ils écoutaient « In-Sect » dans leur tour bus! Ils sont venus me voir plusieurs fois, et je leur ai fait ce remix que j’aime beaucoup. On va sûrement faire une collaboration à l’avenir, mais ce morceau était là et j’avais envie de le mettre sur l’album. Mais la question est bonne, c’est vrai que ça peut paraître surprenant de mettre un remix d’un autre groupe sur le disque. D’autant plus que, dans l’immédiat, je l’ai trouvé mieux qu’une collaboration.
Puisqu’on parle de collaboration, Korn a sorti un disque complètement hybride avec Skrillex ou Datsik à la production. Même s’il s’agit d’un événement un peu mainstream, penses-tu que c’est le début d’une nouvelle ère de rencontres entre le métal et le dubstep?
Honnêtement, je ne suis pas hyper fan de cet album. J’ai l’impression qu’il s’agit de la dernière branche avant le sol pour Korn. Je pense que ça leur sert plus à eux qu’aux autres artistes. C’est vrai que ces groupes là ont toujours été dans la découverte, en fusionnant leur métal avec des trucs breakés. C’est bien, mais là je pense que c’est plus commercial qu’autre chose. Je ne doute pas de la sincérité de Korn en tant que musiciens, mais ça ne m’a pas vraiment fait vibrer. Pourtant, ils ont mis Downlink, Datsik ou Dope D.O.D. sur leurs premières parties. Mais je trouve que c’est une scène qui peut vivre toute seule à l’heure actuelle, elle n’a pas besoin de ça. Dans ce que les Etats-Unis ont fait du dubstep, il y a du bon et beaucoup de mauvais. C’est parti d’Europe, c’est allé là-bas, et ça nous est revenu dans la gueule comme un truc monstrueux, à tel point que les artistes qu’on a poussés, on ne peut même plus les faire jouer. Ça décuple le public, mais ça n’a pas forcément servi le bon goût. J’aime bien ce que font des artistes comme Skrillex mais, par exemple, le morceau avec Noisia est bien en dessous de qu’ils font habituellement.
C’était juste histoire de mettre « Noisia » au tracklisting pour attirer le public…
Oui, il y a peut-être un peu de ça. C’est sans doute sincère de la part des musiciens, mais en termes de marketing, c’est un peu « il faut sauver le soldat Korn » (rires)!
Aujourd’hui, je trouve que la vidéo est un bon support promo pour un artiste. Aller sur Youtube est devenu une sorte de réflexe lorsqu’on en découvre un. Pourquoi est-il si difficile de trouver des vidéos de Niveau Zéro?
C’est vrai que les pires vidéos, tu vas les trouver! Mais il existe un clip sorti il y a deux mois, celui du morceau « Riot » fait avec Matta, autre crew dubstep sur Ad Noiseam. C’est un clip avec des insectes, petit clin d’œil au premier opus! Deux teasers ont aussi été faits pour l’album, tous deux issus du prochain clip. Mais c’est vrai que ce n’est pas bien référencé, tu trouveras plus facilement des lives avec un son dégueulasse.
Comment est l’accueil à l’étranger?
Le fait d’avoir signé sur un label basé à Berlin comme Ad Noiseam m’aide beaucoup. Je suis assez fan des groupes qu’ils signent, j’aime beaucoup l’esthétique du label, et je l’ai trouvé idéal pour défendre un album. Nicolas est un gros bosseur, et il a une aura internationale qu’il n’y aurait pas sur un label français. Ça m’a permis de jouer dans beaucoup de pays, même là où je n’aurais jamais pensé foutre les pieds (rires)! Il y a un accueil dingue, il y a du monde, on ne s’est jamais pris de flop. J’ai eu la chance d’arriver sur le label pour ses dix ans. Je me suis donc retrouvé à jouer au Berghain à Berlin, deux fois au Liban, en Tunisie, en Finlande, en Suède, en Croatie…
Ton meilleur concert?
Le Berghain à Berlin, c’est quand même assez fou, c’est une salle mythique. Après, c’est le Liban, c’était vraiment la claque! Il y a eu beaucoup de très bonnes dates. Je trouve ça hyper excitant!
La chemisette et la cravate, qu’est-ce que ça signifie?
Maintenant, je crois que c’est devenu de la superstition (rires). La première fois que j’ai porté ça, c’était au printemps de Bourges, en 2008. Comme j’étais « Découverte » de cette édition, j’avais envie de faire un effort vestimentaire pour me présenter devant les gens. Le fait de rentrer dans un costume, ça permet de rentrer dans une sorte de personnage. C’est l’anti-Superman, je me retrouve plutôt en Clark Kent (rires)! A l’époque, j’avais l’impression d’être derrière un bureau, avec mon ordi, ma tour… Esthétiquement, ce serait même intéressant d’ajouter un téléphone et un fax. Et il y a cette idée de « freakout », ces vidéos où tu vois des mecs péter des plombs dans les bureaux, je trouve ça mortel! Je commence le live tout clean et, à la fin, je finis avec ma chemise dégueulasse, et les cheveux qui me collent sur la gueule!
Tu as aussi monté ton propre label…
Oui, je me suis associé à The Un1k et Tambour Battant qui avaient leur label Château Bruyant. C’est un label bass music. On dit « bass music » parce qu’on ne veut pas donner d’étiquette, c’est une façon de fédérer plein de styles. A l’époque, on aimait bien la drum’n bass, maintenant on aime bien le dubstep et demain ce sera peut être autre chose… On ne veut pas se priver, il faut que ça reste une chapelle. Il y a de la basse, et il faut que ça envoie. On a sorti un vinyle d’Abstrackt, un autre de Tambour Battant et, en tout, on doit avoir une quinzaine de sorties. C’est un label international, on a déjà signé des anglais, des américains, et un bulgare récemment… On est une dizaine dans le crew, ce label sert vraiment à promouvoir d’autres artistes. On aime bien trouver des gars qui nous font vibrer, même inconnus, et le digital le permet aujourd’hui
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