05 Juil 12 Interview – Lorn, témoin de l’entre-deux mondes
Aux yeux de tous, il est clair que Lorn est un rejeton de la bass music. Mais le jeune américain n’est pas un suiveur, préférant traduire à sa manière ses peurs et ses émotions pour la seconde fois au sein d’un album qui laisse échapper un large rayon d’espoir. Les productions froides et incisives de son premier opus n’annonçaient rien de bon quant à la personnalité sûrement dérangée du musicien autodidacte. Dans la loge de l’Aéronef de Lille, ça n’est pas un monstre noir aux yeux remplis de sang qui se tient face à nous, mais un jeune homme tout ce qu’il y a de plus normal, humble et bienséant qui, plus tard, laissera néanmoins échapper une colère bien enfouie à travers son live solo, en ouverture du grand Amon Tobin. Entretien autour du succès critique de son premier essai « Nothing Else » et de l’histoire de « Ask The Dust« , son nouvel album.
Tu es de Milwaukee, une ville à première vue paisible… Comment est la scène musicale là-bas?
Lorn: Elle évolue! Je dis ça au regard de mon expérience. La première fois que j’ai bougé à Milwaukee, il ne s’y passait rien. Mais au fil des deux ou trois dernières années, on m’a présenté des gens comme Melt, un artiste électronique expérimental très prometteur. Les radios locales encouragent beaucoup cette scène émergente, comme 88.9 et 91.7 qui n’ont rien à voir avec les radios mainstream, et qui passent des émission électroniques de qualité. Quelque chose se passe là-bas c’est sûr.
Tu as sorti ton premier disque chez Brainfeeder, un label de l’Ouest alors que tu viens de l’Est. En quoi la ville de Milwaukee a t-elle pu t’inspirer?
J’ai fini « Nothing Else » dans le Nord, isolé la plupart du temps. Descendre à Milwaukee n’était pas vraiment un choix artistique. Je commençais à beaucoup voyager, j’avais besoin d’un aéroport. La première fois, j’ai bougé là-bas avec mon pote Adoptahighway, également producteur de musique électronique. On a vécu à New-York tous les deux. Pour moi, c’était une sorte de compromis entre les bois et la civilisation! Ça a marché, on vivait dans une rue calme, c’était parfait pour travailler.
Ce soir, tu ouvres pour Amon Tobin. Je pense qu’il est difficile de nos jours pour un artiste solo de donner des concerts. Amon Tobin a la chance d’avoir une énorme installation. Comment organises-tu ton live pour ne pas être ennuyeux?
(rires) Ça n’est pas de mon ressort de dire si je suis ennuyeux ou pas. Je peux juste être moi-même, faire ce que j’aime. A ce moment de ma carrière, je n’ai pas les moyens d’amener un crew, des lights ou quelque chose de spécial. J’ai mon laptop avec les sons de mes albums, des vieux trucs et un contrôleur MPD. Je fais de mon mieux, je me laisse aller, je perds la tête, je remonte le temps comme si je faisais le morceau tout seul dans ma chambre. Je ne peux pas me permettre de décider si mon live est chiant ou non, c’est à l’appréciation des juges!
Ok, je serai ton juge!
Tiens moi au courant! (rires)
Improvises-tu?
Absolument. Mon live n’est jamais exactement le même. Parfois, j’aimerais qu’il le soit pour éviter le stress, mais ça fait partie de la magie d’une performance, surtout dans la musique.
« Ask The Dust » est différent de « Nothing Else »: plus organique, plus profond, il y a aussi plus d’espoir. Quel était ton état d’esprit pendant la composition de ce disque?
Les dernières années ont été assez folles, il y a eu beaucoup de changement. J’ai beaucoup tourné, j’ai vécu une sorte de découverte de moi-même à travers l’industrie musicale. J’ai aussi découvert de nouvelles techniques d’enregistrement, j’ai expérimenté, continué à apprendre de mes erreurs. Je pense que « Nothing Else » était trop propre, trop chirurgical. Je n’ai pas nécessairement voulu dresser quelque chose de plus organique, ni faire un disque différent de « Nothing Else ». C’est juste arrivé comme ça. Il y a des moments qui me surprennent dans ce disque, d’autres qui me semblent fébriles, mais c’est ça qui maintient l’excitation. Je ne vois pas l’intérêt de répéter les mêmes choses encore et encore. J’apprends, j’évolue et je change, tout comme ma musique, et je ne peux pas te dire quelle direction elle empruntera. Je ne peux que persister, m’accrocher et continuer de faire la musique qui me caractérise.
Le premier album a eu son petit succès. Qu’as-tu tiré de ces premiers lauriers?
Tout le monde a sa putain d’opinion et c’est … (rires) c’est bizarre pour moi! Je faisais de la musique dans ma chambre au sous-sol, en criant n’importe quoi dans un micro… Tous ces trucs comme faire le tour du Monde ou recevoir des avis sur ma musique… Je ne m’y attendais pas, ça ne m’avait même pas effleuré l’esprit, et ça me chamboule encore. Honnêtement, j’essaie encore de garder mes distances avec ça. C’est excitant et frustrant à la fois mais je suis extrêmement reconnaissant.
Pourquoi frustrant?
J’ai l’impression que les gens veulent être mes potes, même quand ce sont de parfaits étrangers. On dirait qu’ils pensent que je leur dois quelque chose, qu’ils peuvent contrôler ce que je dois faire ou ne pas faire. Je dois garder un dialogue avec mes fans, parce que j’écoute moi-même beaucoup de musique et je suis un gros fans de beaucoup d’autres musiciens… C’est énorme pour moi, mais il y a ce revers de la médaille que j’apprécie beaucoup moins.
Le fait de faire cette musique t’a t-il aidé à en apprendre plus sur ta propre personne? Je pense en particulier au dernier album avec ses mélodies profondes… En d’autres termes, que ressens-tu quand tu écoutes le résultat final?
Oui, absolument, j’ai appris à me connaître. Honnêtement, j’aime enregistrer énormément, mais je ne suis pas du genre à revenir en arrière et corriger les erreurs. Il y a une part de confiance. J’essaie de croire en mon instinct. J’apprends, mais à vrai dire, je ne sais pas ce que j’apprends… C’est intuitif.
Que signifie ce titre, « Ask the Dust »?
A l’origine, j’étais dans la voiture d’un pote écrivain, et j’ai vu ce livre sur la banquette arrière. Ca m’a interpellé. C’est un livre de John Fante qui disait juste « Ask The Dust ». Il y a certains titres ou certains mots comme ça, qui restent collés à moi, qui me frappent à la poitrine au moment où je les vois, et qui figent le moment. A l’origine, c’est juste pour ça que je l’ai choisi, parce que c’était fort, ça m’a frappé. J’ai vite su que ça allait devenir le titre de mon prochain album. Je ne revendiquerai pas le fait que ça signifie quelque chose pour moi, où qu’il s’agit d’un concept en lien avec le disque… Ce titre résonne en moi, et je n’ai rien d’autre à dire!
Sur le web ou dans la presse en générale, ta musique est souvent qualifiée de dépressive, hantée, violente… Quelle est ta réponse?
Je peux y voir certains aspects, c’est sûr. Mais je ne fais pas de la musique pour déranger les gens. Ça n’est pas un théâtre pour moi, ni une comédie. J’adore explorer les sons et mon esprit, traduire mes rêves et mes sentiments. Même si c’est violent et dépressif, ça fait partie de la vie, tu vois. On dirait qu’il y a des stigmates derrières ces mots, qu’ils sont chargés de sens, mais ça fait juste partie des sentiments que tout être humain peut avoir. Je ne ressens pas le besoin de faire de la musique ayant pour thèmes les soirées en clubs ou les cerf-volants, je n’en ai rien à foutre. J’imagine que les gens feront leurs propres connexions.
Musicalement parlant, on peut lire que tu es le « nouveau génie de la bass music ou du dubstep ». Qu’en penses-tu?
Je ne suis pas un génie, et je ne fais pas de dubstep! Désolé mec. (rires)
Quelle est ta définition du son Lorn?
Je dirais… Mercredi. Juste « mercredi ». Je ne sais pas vraiment ce que ça signifie mais, comme le reste de mon travail, ça a du sens pour moi. Mais j’ai bien conscience que c’est influencé par la bass music, le hip-hop, l’électro, la drum’n bass, l’ambient, le métal, la musique classique et les putains de sons des rues… « Ask The Dust » est définitivement le carrefour de mes influences.
Pourquoi est-tu parti de Brainfeeder pour aller chez Ninja Tune?
C’est un peu une transition organique. Ninja Tune s’occupait des pressages, de la fabrication et d’autres choses pour Brainfeeder. J’ai sorti un disque sur ce premier label, puis j’ai rencontré Peter Quick de Ninja. J’ai senti que c’était le bon pas à faire, ils sont forts en termes de distribution, de fabrication, de promotion… J’en ai parlé à mon label et ils m’ont fait comprendre que, une fois que tu entres chez Brainfeeder, tu fais à jamais partie d’une famille, même si tu décides de poursuivre ailleurs. Je ne suis pas parti parce que je ne me sentais pas bien mais, pour moi, c’était juste l’étape suivante.
As-tu déjà été sollicité pour produire un MC?
Oui, mais rien n’a abouti. Ça m’intéresse, mais la liste des MCs intéressants coule à vue d’oeil! J’adorerais travailler avec Prodigy de Mobb Deep. J’ai essayé d’approcher A$ap Rocky avant qu’il n’explose, je suis sûr qu’il a paumé ma musique… C’est définitivement quelque chose qui m’intéresse, mais pas de chance pour le moment, donc on verra… Quelqu’un d’intéressant me contactera peut-être un jour… J’attends toujours que Juicy J m’envoie un tweet! (rires)
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