Interview – Lori Scacco et Eva Puyuelo Muns, art et douceur de l’être

Interview – Lori Scacco et Eva Puyuelo Muns, art et douceur de l’être

Au moment ou le pygmalion Guillermo Scott Heren ressort de ses tranchées New Yorkaises une ode au profond de la voix féminine, deux de ses inspiratrices – Lori Scacco (ex-Seely) et Eva Puyuelo Muns (Savath y Savalas) – redorent le blason d’un psyché folk espagnol oublié. Entretien sur la correspondance entre les arts et la douceur de l’être, ou le bonheur parfois illusoire de deux êtres bien ancrés dans une bivalence culturelle totalement maîtrisée.

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Comment vous êtes-vous rencontrées, et surtout comment avez-vous débuté votre carrière? Le public français ne vous connaît que très peu…

Lori Scacco:  J’ai toujours aimé jouer de la musique, peu importe la manière, et ce dès mon plus jeune âge. Mais mes premiers pas dans le monde de la musique et de ses “affaires”  remonte à mon premier groupe appelé Seely, et à notre premier disque signé en 1995 après avoir envoyé une démo au label Too Pure. La manière dont tout cela est arrivé me trouble encore. Nous avions signé peu de temps après que Pj Harvey et Stereolab eurent rejoint le label, et le fait de ne leur envoyer qu’une démo sous forme de cassette me paraît tellement dépassé de nos jours… J’ai rencontré Eva après son arrivée à New York afin de répéter pour la tournée de Savath Y Savalas et l’album “Apropa’t“. Je jouais de la guitare. A l’époque, nous avions une manière très “kamikaze” de répéter, et avons passé cinq semaines dans un tour bus ensemble. Nous avons donc eu le loisir de nous connaître au milieu de toute cette frénésie.
Eva Puyuelo Muns
: J’ai débuté par pure chance. J’ai rencontré Scott (Herren) par le biais d’un ami commun, et nous avons emménagé ensemble à Barcelone en tant que colocataires. Après quelque mois, nous avons commencé l’enregistrement de “Apropa’t” . Ce fut le commencement…..de la “frénésie” dont parlait Lori.

loriscaccoLori, pourquoi le choix d’une voix féminine?

Lori: Je n’ai pas choisi Eva parce qu’elle est une fille, mais pour ce qu’elle représentait à mes yeux. J’ai toujours aimé sa voix, sa texture est hallucinante, avec ses tons très bizarres parfois. On se rend compte de la particularité de cette dernière lorsqu’on superpose différentes gammes. Je jure que, parfois, on a l’impression que le chant n’est que l’unique fruit de sa gorge. A l’origine, je ne voulais collaborer avec elle que sur un titre car, à l’époque, je travaillais sur un disque solo instrumental. A cette époque, Eva travaillait sur le dernier Savath Y Savalas, et comme nous sommes tombées amoureuses de ce que nous avions produit ensemble, nous avons décidé d’entamer, un peu plus tard, un album commun. Je considère ce projet comme une véritable percée dans ma carrière musicale, car c’est véritablement la première collaboration artistique intense qu’il m’ait été donné de faire depuis Seely. Plus particulièrement en termes de travail vocal. Storms est la synthèse de notre propre état d’esprit de l’époque qui nous animait toutes deux, et je pense que ce n’est que le premier de beaucoup d’autres. De plus, nous avons réussi à mettre en commun nos expériences musicales passées et notre vision commune de l’art. Si tu nous demandes de te nommer ce qui est bien ces derniers temps, je sais qu’Eva en serait totalement incapable!  Nous sommes très enclins aux travaux des années 70 et à ce qu’ils peuvent représenter. Je devrais même dire obsédées par le fait de découvrir ce disque qui jamais n’avait attiré notre attention auparavant. Malgré nos pays d’appartenance et la longue distance qui nous sépare, je dois avouer qu’une certaine spiritualité nous habitent toutes les deux.
Eva
: Moi, je ne  considère pas ce projet comme un renouveau. Pour reprendre Lori, je dirais que tout n’est que travailler avec des gens que l’on aime et voir ce qui peut se produire. En d’autres termes, il n’y a pas d’idées préconçues quant à l’évolution de telle ou telle carrière musicale. Je ne peux me considérer que chanceuse dans mon épanouissement musical car j’ai réussi à réunir ces deux facteurs, travailler avec des hommes et des femmes que j’aime autant artistiquement qu’humainement. Et pour reprendre cette conversation autour des influences, je ne peux te dire qu’une chose “totally true sister!”… Il m’a fallu une semaine pour repenser à toutes ces influences… Lole Y Manuel, Bambino, Camaron, Barbara, Brel ou Moustaki… comme tout ce flamenco qui m’anime du matin au soir.

Lori, tu as signé (entre autres) sur le label Eastern Development. Est-ce un choix personnel ou a t-il été contraint et forcé? Tu disais être très affairé, voire même que tu pataugeais avec différents labels?

Lori: Et bien je n’ai pas été poussé à rejoindre Eastern, c’est un choix émanent de ma propre personne. Scott Herren et moi sommes amis de longue date, et alors que Eastern devenait un label à part entière, j’écrivais à la même époque des partitions au piano. A Atlanta, ou nous vivions tous les deux jadis, Scott avait toujours ce piano qui trainait. Alors, un jour, je me suis mise à jouer certaines de mes compos. C’est ainsi que l’album “Circles” est né. Nous avons signé sur Plancha/Art Union en tant que Storms. Ces derniers sont basés au Japon, donc j’ai essayé de rester très active afin de laisser cette musique atteindre les différentes sphères de notre globe. De plus, “Lay Your Sea Coat Aside” a plus été de l’ordre de l’album qui se passe entre connaissances. Tout ce que je fais est de poursuivre cette transmission. Alors quand je dis “patauger”, je devrais dire plutôt “maintenir une certaine balance” avec tous ces labels avec qui je dois travailler. J’ai définitivement besoin d’un stagiaire pour s’occuper de tout ça….

Arrivez-vous à vivre de votre musique dans ce monde musical actuellement ultra compétitif, ou avez-vous un travail?

Lori: Mon travail est de composer des bandes sons originales pour des pubs, et je m’occupe également d’une galerie.
Eva: Je travaille en tant que designer freelance donc j’avais pour habitude de travailler à temps plein…. Mais simplement quand la charge de travail était là. Étant maman depuis peu, je me dois désormais de me focaliser sur mon enfant.

En tant que fers de lance de la scène musicale indépendante New Yorkaise, voire même internatioanle, quelle pourrait-être votre opinion concernant l’industrie musicale d’aujoud’hui?

Lori: Wow… Par ou dois-je commencer? Il est évident que beaucoup de choses ont changé depuis mon arrivé… Premièrement, je dirais que le digital a créé une contre culture qui a très vite déconnecté l’auditeur du concept même de l’album en tant qu’objet tangible. Le mp3 et la prépondérance de téléchargements illégaux ont également complètement changé la notion de propriété intellectuelle.  Cette notion me rend d’ailleurs assez triste en y repensant, car cela constitue une menace réelle quant à la survie des magasins de disques indépendants qui ont toujours été au centre de la vie musicale indépendante. Donc je pense qu’il s’agit plus de maintenir un certain équilibre entre la valeur du réel et le digital, car je sais que certains considèrent leur seule discothèque comme une succession de mp3 sur leur téléphone. D’après moi, les puristes continueront d’acheter des disques, mais cela me semble plus dur à intégrer pour les plus jeunes, tous plus à même de se tourner vers le mp3 et ses autres formes proposées par l’industrie qui n’a fait qu’anticiper cette demande. La bête s’est métamorphosée en une autre entité que j’ai parfois du mal à combattre. Heureusement, notre ami Roberto Lange (Epstein et Savath y Savalas) m’aide à gérer avec les labels d’une toute autre manière que la mienne, un peu datée, tout en gardant mon éthique.

at-table-lead-shotVotre oeuvre a été qualifié de diverses façons. Comment la définiriez-vous?…

Lori: Je n’ai jamais su comment qualifier notre musique….En ce qui concerne le but derrière notre écriture, je dirais que c’est une extension philosophique de mon ressenti à ce jour. Ce que je peux te dire c’est qu’ Eva et moi-même sommes un peu nunuches sur le plan émotionnel sous nos épaisses cuirasses! Je restais assise à mon bureau à travailler sur un morceau et elle, derrière moi, me lisait Jung ou Neruda, ce qui donnait très souvent lieu à des conversations délirantes sur nos rêves, révélations, amours et le syndrôme de Stockholm… Il y avait là une forte dépendance entre nous deux, chacune pouvait verser dans l’hilarité ou les crises de larmes… Enfin, attention, nous nous sommes vraiment éclatés, Miss Eva Puyuelo m’éclate vraiment, en plus d’être une très bonne coloc.
Eva: Pour moi, il est super difficile de la décrire car si je m’essaie à cet exercice, je tombe très facilement dans les clichés. Mais, à choisir, si j’avais à choisir un adjectif, je dirais mélancolique… Comme Lori le suggérait, nous avons traversé de multiples étapes émotionnelles tout au long de l’enregistrement, mais en ce qui concerne la portée philosophique – même si je t’adore Lori – je n’ai jamais trouvé un sujet en particulier qui m’avait effleuré l’esprit. (ha!)

Justement, pouvez-vous nous décrire de façon précise cette manière de travailler ainsi que  la collaboration avec Ann Stephenson qui a joué un rôle très important?

Lori: Pour le studio, les moyens sont toujours les mêmes: Pro Tools, un micro que je qualifierais de “décent”, deux NS10, et deux claviers (un Access Virus Classic et un Oxygen 8). Et derrière tout cela, des guitares, un clavier Rhodes, des cloches partout… Je ne suis pas vraiment attachée à l’aspect matériel à tout prix. J’utilise tout jusqu’à l’usure, à part Pro Tools ou là je suis une vraie geek de ce logiciel de composition, toujours à l’affût des dernières nouveautés… Maintenant, le procédé est toujours différent. Pour ce disque, je savais que nous avions cinq semaines pour tout écrire ainsi que pour saisir toute l’émotion des parties vocales. Nous avons donc travaillé sur une paire de mélodies que j’avais travaillé en amont en les coupant, collant… Un peu comme un puzzle en l’occurrence. Nous enregistrions sur les impros d’Eva, ce qui a donc donné de multiples couches au fur et à mesure qu’il a fallu recomposer, retravailler afin d’en obtenir une certaine homogénéité. Tout était toujours fluide et brut, rien n’était statique, un peu comme si je lui disais “voici la structure. vas y à toi de chanter dessus“. Ce que vous écoutez est vraiment le résultat d’un assemblage de différents éléments qui se combinaient d’une manière accidentelle et organique, car proche d’un état naturel. Travailler avec Ann a été très cool car nous savions depuis le début que nous voulions travailler avec elle. Nous adorons ses poèmes ainsi que les thèmes mis en avant. Nous lui avons envoyée des extraits très courts des mélodies afin de lui donner un aperçu de l’esthétisme du tout. En retour, elle nous renvoyait plusieurs pièces maîtresses, puis on lui donnait parfois des directives du genre “hey , il nous manque une ligne de 6 mots pour compléter le vers“. Là encore, en partant du principe que tout était brut et que nous devions le manipuler afin d’en obtenir une véritable cohésion en respectant la partie “accidentelle” du projet. Mais ce qui très surprenant de sa part, c’est son oreille musicale très développée. En effet, il s’est avéré que, à plusieurs reprises, sans travailler plus le texte, les deux aspects – mélodie et thèmes – coïncidaient parfaitement.
Eva: Le procédé a été très organique et accidentel effectivement. Ce qui est dû très certainement au manque de temps qui nous a été accordé. Malheureusement, j’ai toujours travaillé ainsi. C’est toujours à moi de traverser l’Atlantique pour enregistrer (ndlr: référence au dernier album de Savath Y Savals enregistré à New York), ce qui me rend très instinctive et libre dans mes interprétations. J’adore ça. Disons que pour le prochain projet sur lequel je plancherai, le temps me semble un facteur important qui devra être corrigé!

“Lay Your Sea Coast Aside” disponible sur
itunes23

A sortir le 17 mai, “Remix Ep” de Storms


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