
06 Oct 14 Interview – Liars, maître du bordel organisé
Après la sortie de l’excellent ‘WIXIW‘ il y a deux ans, Liars est définitivement devenu le phénomène qui était auparavant en train de poindre. Désormais talentueux aux yeux de tous, le trio – récemment installé à Los Angeles – réservait pourtant encore quelques surprises à la sortie de ‘Mess‘, un nouvel album toujours électronique mais moins anxiogène, pour lequel il s’est une nouvelle fois remis en question. Venu le défendre sur la scène de La Route du Rock cet été, Liars a bien voulu répondre à quelques questions avant sa nouvelle venue en France. La parole est à Andrew Angus.
Musicalement, Liars se remet constamment en question. Cette fois, il faut plutôt aller chercher la nouveauté dans une nouvelle relocalisation géographique puisque, après vous être posés à Berlin puis à Brooklyn, vous revenez vous installer à Los Angeles. Ce nouveau déménagement a-t-il donc eu un effet sur l’ambiance et le ton général de votre dernier album ‘Mess’
Angus Andrew: Dans un sens oui, mais pas complètement. Tout dépend de l’approche que l’on veut avoir du disque que l’on crée, si on veut justement que l’environnement prenne part au processus créatif ou pas. Pour cet album, nous n’avons pas voulu qu’il soit spécialement marqué L.A. Simplement, on s’est senti bien de nouveau, confortable dans cette ville, donc les choses se sont faites plus facilement que d’habitude. Cela doit se ressentir à l’écoute du disque. On avait déjà traité le sujet Los Angeles auparavant, sur l’album ‘Sisterworld’, un opus plutôt sombre qui dépeignait les deux facettes de cette ville faite de plastique et de soleil d’un côté, et de bas fonds plus sordides d’un autre. Pour en revenir à ‘Mess’ et L.A., ce fût simplement le sentiment de s’installer pour de bon, de se sentir chez soi après avoir beaucoup bougé.
Au fil de vos derniers albums, vous étiez en plein apprentissage de la technologie. A vous entendre nettement plus à l’aise sur ‘Mess’, il semble que vous soyez arrivés à vos fins. La notion de confort dont vous parliez juste avant est-elle également due à cette plus grande maitrise des éléments électroniques?
Pour l’enregistrement du disque précédent, on avait littéralement besoin d’avoir le manuel d’utilisation des machines que l’on voulait utiliser pour pouvoir créer la musique qu’on avait en tête à travers ces logiciels. Ce fût évidemment un processus super intéressant mais très compliqué. On a appris énormément, ce fût très long. Pour ‘Mess’, les choses ont pu se faire de manière plus spontanée, et le fait de maitriser les instruments qu’on avait à disposition a rendu le processus beaucoup plus fun.
Quant à l’humeur général sur ‘Mess’, on ressent quelque chose de plus lumineux que sur ‘WIXIW’ qui faisait presque peur…
Disons qu’on avait peur en tant que groupe. Se lancer dans un genre musical que l’on ne maitrise pas, avec des instruments que l’on découvrait petit à petit, ce n’est pas simple. C’était un peu angoissant. Mais on s’est alimenté de ces doutes pour aller plus loin, en tant que groupe mais aussi en tant que personnes. Une fois passé par ce genre de test, on avait envie de quelque chose de plus spontané, de plus confiant, peut-être quelque chose de moins cérébral aussi.
On parle de réinvention de Liars pour chaque album. Est-ce que ce besoin de changement est une décision consciente ou est-ce que cette évolution se fait de façon organique, sans qu’elle soit complètement provoquée et désirée?
C’est un truc très organique pour nous. On ne fait pas de checklist en pensant ‘Ah tiens, on n’a pas encore fait d’album jazz, allons-y!’. Les choses se font de façon très naturelle… Ça pourrait même se passer pendant cette conversation. Il nous vient une idée lors d’une discussion ou en écoutant de la musique, on la partage entre nous et, d’un coup, les choses prennent une direction. Ce n’est pas complètement réfléchi et pensé, ça se passe, tout simplement. On n’a pas ce besoin de surprendre les gens à chaque album de Liars avec quelque chose de nouveau. Ce n’est pas une obligation, ça se fait comme ça, sans que cela soit préparé. À l’époque où l’on a publié notre premier disque ‘They Threw Us All in a Trench and Stuck a Monument on Top’, on nous a rapidement etiquetté comme post-punk. Les gens ont besoin de repères, mais nous même n’étions pas complètement d’accord avec ça. Au départ, c’est ce qui a fait qu’on a décidé de se réinventer. On ne voulait pas que cela soit si facile de nous ranger dans une famille musicale. Ensuite, comme je te disais, les choses se sont faites de façons tout à fait naturelles, sans calcul aucun.
‘Mess’ est plus fun, moins conceptuel peut-être… Encore une fois, c’est quelque chose de naturel?
Oui, tout à fait. C’est clair que nos disques précédents étaient plus conceptuels, on a certainement fait bosser plus notre cerveaux sur ces disques là que sur ‘Mess’ où les choses viennent plus des tripes. On se pose moins de questions, on apporte des idées, on se rassemble, on joue, on crée…
L’artwork de ‘Mess’ est une vraie oeuvre d’art. Cette base pourrait même prendre plein de formes différentes sur des pochettes de singles/eps, vidéoclips, etc… Quelle importance attachez-vous à l’artwork dans la conception d’un disque? Y-a-t-il un rapport direct entre le titre du disque et sa pochette?
On a eu l’idée de cet ensemble de ficelles avec plein de différentes couleurs mélangées. La question est de savoir si c’est vraiment quelque chose de désordonné, ou si justement c’est un bordel (‘Mess’) organisé. La résponse est finalement que cet artwork a été justement préparé de façon très minutieuse, au détail près, alors que beaucoup de gens peuvent penser que tout est disposé n’importe comment. Qu’est-ce que c’est que le bordel?. Selon le point de vue subjectif de chacun, tout le monde va percevoir ceci d’une façon différente, et c’est ce qui nous intéressait beaucoup quand on a trouvé cette idée. On a placé ces ficelles colorées dans une bouche d’égout à L.A. pour faire des photos, sur un panneau d’autoroute… A chaque fois, le processus était le même, il y avait du sens dans la façon de disposer chaque corde, chaque couleur, alors que certains peuvent penser qu’on a balancé ça au hasard à un endroit pour voir ce que ça pouvait donner. Et finalement, c’est pareil pour la musique: certains ressentent une sensation de bordel dans la notre, alors que l’on contrôle parfaitement ce qui se passe, et où l’on va…
Vous prenez donc part à cette création ou vous confiez ça à un artiste plastique?
On fait tout nous-mêmes, le concept est le nôtre, la mise en application également…
On considère Liars comme un groupe en perpétuelle évolution, novateur en quelques sortes, alors que la musique est un éternel recommencement, comme l’explique Simon Reynolds dans son essai ‘Retromania’. Quel est votre point de vue concernant la notion d’innovation musicale?
Il est impossible de prendre le dessus par rapport à la technologie. L’innovation se fait réellement grâce aux avancés technologiques, même pour la musique. Il y a un plein de genres au sein de la musique électronique qui repoussent les barrières au maximum. Mais en ce qui nous concerne, je crois que la musique la plus novatrice reste toujours le hip hop, cette façon dont le sampler est utilisé apporte constamment de nouvelles choses super intéressantes qui ouvrent en quelque sorte les portes de la perception musicale. On trouve ça très intéressant.
Même si on parlait auparavant du côté organique du processus de création de votre musique, savez-vous déjà vers quoi va s’orienter votre prochain album?
Il est certainement un peu tôt pour en parler, mais je pense qu’on est tous d’accord sur le fait que, après avoir utilisé les machines pendant plusieurs années, on ressent déjà l’envie de reprendre les instruments analogiques, d’avoir un micro pour enregistrer en live dans une pièce, de refaire quelque chose de très direct… C’est comme si on avait vécu dans un ordinateur pendant longtemps. On fera certainement l’opposé, mais qui sait… La musique nous le dira.
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