29 Avr 12 Interview – Lee Fields, dans les mains du destin
Le bonhomme est petit, plus tout jeune, souriant, a des faux-airs de James Brown, porte des lunettes noires en intérieur, et parle comme un prêcheur avec une voix charismatique abîmée par les années. Lee Fields est un vrai personnage, un survivant de la belle époque soul, un chanteur incroyable qui a toujours la classe et qui impose le respect. Dans le cadre des Soul Time Sessions à l’Aéronef de Lille, il succède à Mayer Hawthorne, en tête d’affiche deux semaines avant lui: un parfait exemple de cohabitation entre les générations. Accompagné de The Expressions, l’américain vient défendre sur scène son dernier album « Faithful Man« , pépite soul à la fois authentique et moderne qui arrache sans peine le sourire d’un public lillois définitivement conquis par cette énergie et ces mots qui viennent du cœur. Entretien autour de ce disque, de sa carrière, et des nouveaux talents de la soul, pas si nouveaux que ça finalement…
Bonjour Lee Fields, c’est un réel plaisir de vous avoir en interview!
Lee Fields: Tout le plaisir est pour moi! Tu aimes « Faithful Man »?
Bien sûr, c’est une petite merveille de soul moderne…
Oh! Merci beaucoup!
La première chose que j’ai ressentie en l’écoutant, c’est cette incapacité à lui mettre une date. D’une certaine manière, ça sonne à la fois moderne et old school. Êtes-vous nostalgique de la belle époque?
Tu sais, j’ai vécu cette époque, et son esprit m’habite. Pour cet album, j’ai travaillé avec Leon Michels et Jeff Dynamite: ces mecs sont capables d’habiller mes chansons de sorte qu’elles sonnent de cette façon, et de les rendre cools. Ce que tu entends, c’est un disque d’aujourd’hui qui sonne comme s’il avait été enregistré dans les sixties. Ces producteurs sont des magiciens! Ils ont réussi à capturer le meilleur des deux époques. C’est pour ça que tu as ce sentiment de fraîcheur rétro!
Pensez-vous qu’un tel album aurait pu sortir il y a trente ans?
Oh oui, mais ça aurait sonné légèrement différent. L’idée était de s’inspirer de ce qui existait dans ces années là, et de le mettre au goût du jour. C’est notre façon de faire. Il y a beaucoup de groupes rétro qui tentent d’imiter ce qui était fait avant. Nous, on prend la fibre du passé pour y incorporer des éléments d’aujourd’hui, c’est pourquoi ça sonne si frais. C’est analogue au son d’avant, mais assez nouveau pour nourrir le marché musical actuel.
On peut dire que vous faites partie du revival soul, au même titre que Charles Bradley ou Sharon Jones. Etes-vous d’accord?
Je ne souhaite que le meilleur à Charles Bradley. Il a fait ses débuts en première partie de mes concerts, donc je suis très heureux qu’il ait pris son envol. Tu sais, ça me fait plaisir d’avoir participé aux débuts de tellement de gens… Sharon Jones, elle, a commencé comme choriste dans mon groupe! Aloe Blacc a aussi fait ses débuts avant un de mes concerts à Brooklyn. Mais, ça me gêne qu’on me considère comme responsable, comme pilier de tout ce qui se passe aujourd’hui. C’est super de voir tous ces artistes avoir une vraie carrière, et savoir que j’ai aidé à les lancer est plus qu’honorable! Je n’aurais jamais pensé qu’on en arriverait là! (grand sourire) C’est beau! Je suis content pour tout le monde.
Vous avez parlé d’Aloe Blacc… Il y a deux semaines, on a également vu Mayer Hawthorne en concert ici à l’Aéronef. Que pensez-vous de ces jeunes artistes, ces nouvelles stars de la soul qui étaient de jeunes gamins pendant l’âge d’or?
J’aime penser que je fais partie de ce mouvement, que je les inspire. J’aime voir ces jeunes prendre le relais. C’est un honneur! J’adore voir ce que sortent des labels comme Daptone, et me dire que j’étais là au début. Mec, rien ne pouvait nous arriver de mieux! On aurait voulu le faire exprès, on n’y serait pas arrivé! (rires) J’étais sur le devant de la scène à l’époque, et personne n’aurait pu penser que la soul puisse avoir une chance de revivre à ce point. Faire partie personnellement de ce revival, c’est une chose formidable. Quand je les vois à la télé, quand j’écoute leurs albums, ça me réchauffe le cœur.
Les trouvez-vous fidèles au son originel?
Oui, bien sûr, on sent que tout ce qu’ils disent vient du cœur. Quels que soient les éléments qu’ils utilisent pour y donner une touche moderne, ils y restent fidèles. Aussi longtemps qu’ils feront de la musique avec leur cœur et leur âme, peu importe leur manière de produire, ils resteront vrais. Comme nous, ils partent d’une certaine authenticité pour broder leurs chansons. Moi, j’ai cette authenticité en moi parce que j’y étais! J’ai beaucoup travaillé, j’étais actif à l’époque des Joe Simon, Aretha Franklin, une excellente amie… J’ai travaillé avec Wilson Pickett… J’ai aussi ouvert pour lui, pour Eddy Floyd, William Bell, Carla Thomas, Rufus Thomas… J’ai eu la chance de rencontrer James Brown en plein succès. Pas le James en pleine descente, mais le James qui était au top. J’ai chanté pour Kool & The Gang, tu vois… Tous ces artistes qui ont construit la soul.
Tout comme les gens de Truth & Soul avec qui je travaille, tous possèdent en eux cette authenticité. Quand j’ai rencontré Leon Michels, il avait quinze ou seize ans, c’était un gamin qui voulait faire partie de cette scène. C’est mon fils musical! Pareil pour Jeff « Dynamite » Silvermann. Ce n’est pas courant que des jeunes comme eux choisissent cette voie. Mais ils étaient sérieux et très matures pour leur âge. J’ai donc fait des disques pour Daptone et Truth & Soul, et je suis content d’avoir travaillé avec ces deux labels, je me réjouis de voir comment tout ce petit monde s’en sort. Je suis heureux de faire partie de ce mouvement. Les gens me posent souvent des questions sur Sharon ou Charles, beaucoup pensent que ces artistes sont arrivés avant moi, peu savent que Sharon Jones était une de mes choristes. Je suis content pour elle.
Les années 80 ont été une période creuse pour moi, mais j’ai été capable – dans les années 60, 70 et 90 – d’apporter comme il se doit ma contribution à la scène soul. Je suis allé partout, avec beaucoup de gens, parce que c’est comme ça que ça devait se passer. Nous n’avons pas le contrôle de notre destin, on peut peut être l’altérer en faisant certaines choses, mais je crois que tout ce qui arrive était censé arriver. Dans quel but? Je n’en ai aucune idée. Je ne sais rien de mon avenir, mais j’ai le sentiment que ça sera positif parce que j’ai confiance. Les gens adorent « Faithful Man », nous avons de très bons retours, certaines personnes de mon entourage disent même qu’il s’agit de mon meilleur travail. Ca me fait énormément de bien, je prends mon pied en ce moment.
Vous considérez-vous plutôt comme un professeur pour ces artistes?
Non, je crois même que c’est moi qui suis devenu leur élève. Je pense que le secret pour durer plus de quarante ans, c’est de redevenir à l’état d’étudiant, à celui d’un enfant qui apprend des gens, peu importe qui ils sont, ou comment ils sont. Chaque journée amène sa dose d’apprentissage. Tout personnage qui croit savoir est un sombre idiot. Je ne pense connaître que très peu de la vie. J’apprends continuellement. Là, on a une conversation, j’apprends donc de toi, j’apprends de tout le monde, et tous les jours! Je pense que c’est ce qui contribue à ma longévité. Je ne peux pas me transformer soudainement en soulman parce que c’est ce que je suis profondément et depuis longtemps. Quand j’ai travaillé avec Martin Solveig par exemple, je l’ai laissé me guider. Il envoyait son morceau, me disait ce qu’il voulait, et j’essayais de différentes manières jusqu’à ce qu’il me dise: « Lee, c’est bon, j’adore!« . L’élève, c’était moi. Que ceux qui refusent cela sachent qu’il ne peut pas en être autrement: un artiste ne peut pas suspendre le temps, il doit s’instruire tous les jours.
The Expressions, les musiciens qui vous accompagnent, sont aussi bien plus jeunes que vous…
Ils pourraient être mes enfants! Je pense que jouer avec moi les intéresse parce que je suis très ouvert d’esprit, je ne refuse jamais le changement, les nouvelles idées… Dieu m’a donné la chance de comprendre ce qui est bon ou pas. Quand des jeunes comme The Expressions me proposent quelque chose de bon, je demande à Dieu de me laisser reconnaître qu’il s’agit là d’une bonne idée.
Il n’y donc aucun conflit générationnel entre vous et le groupe dû à la différence d’âge?
Aucun! Et je pense que tout est lié, que c’est aussi la raison pour laquelle on voit beaucoup de jeunes à nos concerts. J’apprends beaucoup de ce jeune public. S’il saute, ça veut dire qu’on est bon. S’il est moins réceptif, ca veut peut être dire que je devrais arrêter de jouer la chanson, ne pas la proposer au prochain concert. On en revient toujours à la même chose: apprendre.
Qu’est ce que ces musiciens vous ont concrètement apporté?
Des idées fraîches, de l’énergie. Si j’en suis là aujourd’hui, c’est parce que j’ai beaucoup appris des autres. C’est une bonne chose. Je connais beaucoup de musiciens qui ont cartonné dans les années 70 mais qui n’ont rien fait depuis, à part refaire les mêmes vieux shows. La différence avec eux, c’est que je travaille tout le temps, je voyage… Personne ne possède le savoir absolu. Si quelqu’un l’avait sur cette Terre, il pourrait éviter les guerres, résoudre les conflits, stopper la crise… Je ne peux pas, et ne sais pas faire tout ça. Tout ce que je peux faire, c’est monter sur scène et rendre le public heureux pendant quelques minutes, sortir des disques que les gens aimeront écouter. C’est ma contribution au Monde.
Donner du plaisir aux gens, c’est votre préoccupation première?
Absolument! Il y a tellement de merdes dans ce monde. Si j’allume ma télé maintenant, je n’y verrai que des choses désagréables. Si tu regardes les infos, tu vois la guerre, des fous qui font n’importe quoi, des assassins… Tout est négatif, mais c’est pourtant ce qui fait vendre et couler l’encre sur le papier. Au contraire, parler d’un mec qui a sauvé une dame des flammes, ou de n’importe quelle bonne action, intéresse moins. La nature humaine est ainsi. Mais étant donné que les gens accueillent aussi les changements à bras ouverts, on essaye d’écrire des chansons intéressantes. Quand tu assistes au concert, ou quand tu écoutes l’album, tu te régénères. On y fait passer beaucoup de messages pour comprendre ce que c’est que d’être blessé, savoir ce que ça fait quand quelqu’un vous manque… Toutes ces choses qui aident à apprécier encore plus la personne avec qui vous êtes.
Sur l’album, on reste réaliste, mais on transforme le négatif en positif. Par exemple, il y a une chanson sur l’album qui s’appelle « I Still Got It » et qui dit que tu peux tout prendre à quelqu’un, celui-ci aura toujours la possibilité de tout reconstruire. Ça peut simplement vouloir dire que toutes ces choses n’étaient finalement pas pour lui. Quand une personne perd quelque chose, elle se sent automatiquement blessée, et espère juste que tout lui revienne. Mais ce que j’explique dans la chanson est que tout n’est que question de volonté. C’est donc un morceau très optimiste. Aussi, dans « Faithful Man », je parle d’un homme rongé par la tentation: il regarde une belle femme et se dit qu’il pourrait tout quitter pour elle. Seulement elle est superficielle, désirable pour n’importe quel homme. Il s’en remet donc à ses principes, sa foi et ses croyances pour finalement espérer ne pas faire d’erreur. J’arrête la chanson à ce moment là et laisse la fin de l’histoire à la convenance de l’auditeur…
C’est une histoire vécue?
Non. J’ai souvent été tenté de faire des choses contre mes principes… Comme tout le monde… C’est dans la nature humaine. Mais je suis content de dire aujourd’hui que mes vertus n’ont jamais été compromises! (rires)
En bonus, le rire de Lee Fields …
Olivier
Posted at 08:27h, 03 maiExcellente interview qui en dit beaucoup sur l’etat d’esprit du musicien et qui donne envie d’ecouter son son!
Merci pour la decouverte! (et pour le rire a la fin!)