Interview : Kwal (12-2007)

Interview : Kwal (12-2007)

Peux-tu résumer ton parcours jusqu’à ce nouvel album pour ceux qui ne te connaissent pas encore?

J’ai suivi une formation classique (conservatoire de violon, etc.) lorsque j’étais môme, mais je n’en garde pas spécialement un très bon souvenir. Ca m’a tout de même permis de me former l’oreille, et ça m’a donné des bases bien utiles lorsque j’ai voulu plus tard apprendre à jouer de nouveaux instruments comme le sitar ou le sarangi…

Il y a en gros une dizaine d’années, je chantais dans un groupe de metal fusion qui s’appelait Carc[H]arias. On avait sorti deux maxis, dont un qui avait plutôt reçu de bons échos, peut-être aussi parce qu’on avait le chanteur de Lofofora et un mec de Oneyed Jack en featuring…
De cette expérience, je retiendrais surtout l’énergie énorme que j’ai pu ressentir sur scène. Et c’est aussi à cette époque que j’ai commencé à écouter quelques groupes hip hop qui m’ont bien marqué, notamment pour leurs textes engagés politiquement

Album “Là Ou J’Habite” de Kwal

Au bout d’un moment, j’ai eu l’impression que le groupe tournait un peu en rond, alors que j’avais des tas d’envies artistiques de mon côté. Je me suis donc lancé dans l’écriture d’un album solo, intitulé « Règlement De Contes ».
Le disque a pris une couleur hip hop, presque par nécessité, car c’était le style de musique qui me permettait de mettre des kilomètres de texte, comparé à la structure d’un morceau métal qui limitait davantage les choses…
Le concept du disque était de détourner des contes pour enfants pour mieux parler de sujets plus graves comme la pédophilie ou la récupération médiatique de la misère du Tiers-Monde. On a pas mal tourné grâce à ce disque car on en avait adapté un spectacle assez complet avec de la danse contemporaine, du théâtre et des musiciens indiens.

C’est d’ailleurs à ce moment-là que j’ai vraiment commencé à m’intéresser aux musiques du monde. Je prenais alors des cours de tablas, et je traînais de plus en plus dans l’entourage de groupes comme Lo’Jo, ce qui m’a permis par exemple de découvrir les Touaregs de Tinariwen avant qu’ils éclatent au grand jour…
Après être allé jouer à Bamako et au Festival au Désert en 2003 avec « Règlement De Contes », je suis revenu complètement conquis par les musiciens maliens que j’avais rencontrés là-bas, aussi bien musicalement qu’humainement. Mon second album, « Mogo Ya », a donc pris une tournure beaucoup plus world. En gros, chaque morceau accueillait un invité différent. Il y avait des musiciens africains, palestiniens, espagnols, anglais, indiens, etc. Ca rappait ou chantait dans toutes les langues.
C’était un peu le bordel, mais j’avais aussi besoin de ça après le show super millimétré de « Règlement De Contes » qui ne laissait finalement pas beaucoup de liberté sur scène. Pour « Mogo Ya », au contraire, je voulais revenir à quelque chose de plus cash, de plus live. Chaque date était différente en fonction des invités qui pouvaient être là. Et puis sur quelques dates, on arrivait à avoir tout le monde… On faisait alors un grand concert unplugged avec une quinzaine de musiciens… C’était énorme!!

Et c’est là que j’ai pris conscience que je pouvais poser ma voix sans forcément avoir un beat derrière… Et ça nous amène à « Là Où J’Habite« , mon nouvel album…

Tu vas forcément être catalogué comme artiste slam. Qu’en penses-tu?

D’un côté, je trouve ça bizarre parce que j’ai pas l’impression de faire du slam. Cette façon de poser ma voix est la conséquence d’un long processus où je me suis beaucoup cherché. Mais j’ai souvent testé ce phrasé parlé par le passé, déjà à l’époque du spectacle de « Règlement De Contes » quand personne ne parlait de slam en France. Il se trouve que c’est devenu la mode aujourd’hui, donc on va forcément faire l’amalgame, c’est sûr…

D’un autre côté, je ne vais pas faire l’hypocrite. Cette étiquette me permet sans doute de faire parler de moi plus facilement que l’étiquette hip hop qui ne m’allait pas mieux. C’est un peu con, parce que ça sous-entend que le hip hop ne peut pas être intelligent, comme si les gens qui ont des choses à dire devaient être mis dans une case plus propre qu’on appelle aujourd’hui slam. C’est ridicule…

Mais je ne vais pas te mentir. C’est plus facile de joindre certains médias si tu dis que tu fais du slam que si tu te revendiques hip hop. Dans l’absolu, je pense que ma musique ne correspond à aucune étiquette, donc si on doit m’en donner une, j’aime autant qu’elle ne me desserve pas…

Les gens qui te suivent depuis tes débuts risquent quand même d’être déstabilisés par le ton parfois léger et la forme presque chanson de certains titres de ce nouvel album… Tu t’y es préparé?

Oui, bien sûr. Je pourrais te résumer rapidement les choses en disant simplement que je m’en fous royalement, mais ça serait un peu facile. Je vais donc te donner les raisons qui ont fait que j’en suis arrivé là, et qui surtout me laissent penser que j’ai fait le bon choix.

Primo, en tant qu’artiste, je m’ennuierais à mourir si je devais toujours refaire la même chose. Même s’il est clair que mon prochain album aura sans doute davantage en commun avec ce dernier disque, qu’il y en a eu jusqu’à aujourd’hui entre mes trois premiers albums. J’ai l’impression de ne jamais avoir été aussi en accord avec moi-même.

Secundo, j’ai vieilli, j’ai la trentaine, et pas les mêmes colères qu’il y a dix ans. J’ai vécu plusieurs choses qui me font prendre davantage de recul sur certaines situations. Ca se ressent donc sans doute dans ma musique. Je me vois pas refaire des trucs avec la grosse voix vénère et des sons ultra glauques… C’est plus du tout moi, aujourd’hui.

Tertio, je pense que les gens qui apprécient mon travail sont surtout sensibles aux textes. Or de ce point de vue-là, je ne pense pas que « Là Où J’Habite » soit moins fourni que les autres. Et puis quand on parle des gens qui me suivent depuis mes débuts, on parle de 2000 personnes à tout casser, je sais pas si on peut donc vraiment parler d’une quelconque pression ou un risque énorme de tout perdre… (rires)

Sur ton premier album, tu dénonçais beaucoup d’injustices à l’étranger, alors que tu n’avais quasiment pas encore voyagé. Aujourd’hui, tu es allé te confronter à la vie en Afrique, en Inde, en Palestine… Et tu n’as jamais parlé autant de toi, de ton intimité, comme ta vision du couple, par exemple… Doit-on y voir un paradoxe?

Je ne pense pas. Je crois surtout que c’est une affaire d’âge. Comme je te l’ai dit, j’ai la trentaine, je me pose des questions différentes que celle qu’un jeune de vingt ans se pose. Le couple, les bébés, c’est des questions qui viennent à mon âge… Sans doute aussi qu’il faut un peu de maturité et de confiance en soi pour aborder ces choses-là dans une chanson. Ce que je n’avais peut-être pas avant… C’est comme lorsque je fais des ateliers d’écriture avec les gosses… Ils me parlent plus facilement de la faim dans le monde ou de la guerre en Irak que de la petite brune qu’ils zyeutent en douce à l’arrêt de bus. C’est une sorte de pudeur, j’imagine…

Kwal est un projet solo, pourtant tu as toujours été très entouré sur tes trois albums.

J’ai toujours adoré les rencontres artistiques, les échanges… Dans un groupe, je trouve que les échanges sont moins évidents car on finit par trop bien se connaître, par prévoir ce que va apporter l’autre. On tourne plus vite en rond. Le fait d’avoir des tas de gens qui ont collaboré à mes disques, d’avoir partagé des moments super forts, est tellement enrichissant. Beaucoup sont devenus des amis…

Tu as sorti deux albums au Mali, directement rappé dans la langue locale, le bambara. On serait peut-être moins surpris si tu avais des origines maliennes mais ce n’est pas du tout le cas…

Oui, c’est vrai. Mon père a quand même vécu deux ans au Sénégal lorsqu’il était jeune… Il nous a donc toujours éveillé à l’Afrique en nous lisant des contes, des choses comme ça, quand on était petits. J’imagine que ça a quand même suscité une sorte d’imaginaire en moi…

Mais j’ai décidé de sortir ces albums au Mali suite à mes premiers concerts là-bas. J’ai été absolument outré par l’attitude de la majorité des blancs là-bas. La plupart des spectacles qui sont organisés à Bamako le sont par des blancs, avec des blancs, pour des blancs.
Je jouais au Festival Du Théâtre Des Réalités, et je me souviens qu’ils avaient programmé un truc de théâtre contemporain que même moi je ne comprenais pas. Alors, imagine pour une population qui maîtrise mal, voire pas, le français…
Même « Règlement De Contes », je voyais bien le décalage qui existait entre ce que je racontais et leurs préoccupations de la vie de tous les jours. Alors, j’ai eu envie de leur parler de choses qui les concernait… Et puis, il y avait un côté tellement plus direct. En France, je passais complètement inaperçu médiatiquement, alors qu’au Mali les gens pouvaient entendre ce que j’avais à leur dire.

A Bamako, tu n’as que deux chaînes de TV, donc si tu fais un clip, tu peux passer en boucle pendant des mois… Rajoute à cela le bouche-à-oreille africain, qui est le système de promotion le plus efficace et le plus rapide au monde, et la nouvelle qu’un petit toubab rappait en bambara a fait le tour du pays en moins de deux!! On n’a pas vendu énormément de cassettes à cause du piratage, mais au dernier concert que j’ai fait là-bas il y a quelques mois, j’avais 1500 personnes qui chantaient les paroles de mes morceaux par coeur! C’est super bizarre… Ils sont tellement heureux que quelqu’un s’adresse à eux dans leur langue… En général, ils ont plutôt l’habitude qu’on leur dise d’un air ébahi « Oh, mais en fait tu parles bien français?? ».

Voilà, je pense que ces deux cassettes sorties là-bas, c’était surtout pour leur montrer que tous les blancs n’étaient pas comme ça, pour leur exprimer clairement mon admiration pour ce qui fonctionne dans leur pays (la démocratie, par exemple…), et pour leur dire qu’ils ont des tas de raison de lever la tête et de ne plus s’abaisser devant certains blancs et leurs attitudes néo-colonialistes.

Tu peux nous parler des Guerebou Kounkan, un groupe de rap de Bamako que tu parraines?

A Bamako, il y a beaucoup d’enfants qui vivent dans la rue pour diverses raisons. Plusieurs d’entre eux nous suivaient partout lors de nos premiers séjours là-bas… On s’est rendus compte que certains rappaient super bien. On a donc commencé à les enregistrer, et de fil en aiguille, ça a mené à la création du groupe Guerebou Kounkan (la voix des sans-voix) qui accueille des rappeurs et des danseurs, tous issus de la rue. Ca marche plutôt bien. Ils ont sorti deux cassettes qui se sont très bien vendues, et ils sont tous sortis de la rue pour l’instant. Mais tout ça reste très fragile. On ne veut pas se voiler la face… Ca ne tient pas à grand-chose, ils ont eu des vies tellement rudes. On doit enregistrer un nouvel album en janvier 2008, mais on va un peu les pousser à ce que ça vienne d’eux cette fois. On ne veut pas installer une relation unilatérale du blanc qui vient aider le noir. On veut qu’ils se prennent en main et on sera alors là pour les accompagner.

Du rap africain, on connaît K’Naan ou Tumi And The Volume… Tu as d’autres artistes à nous conseiller?

Ces deux noms-là bénéficient d’une prod à l’occidentale… Quand j’ai découvert la scène rap au Mali, j’ai halluciné par la technicité de leur flow et souvent la profondeur des propos. En revanche, les instrus sont souvent pauvres, et restent des pâles copies des productions américaines sans en avoir le son. Il y a quelques exceptions qui sortent du lot. Les meilleurs représentants du hip hop malien sont sans doute le groupe Tata Pound (écoutez ici) et le rappeur Lassy King Massassy, qu’on entend sur deux titres de « Mogo Ya » (écoutez ici).

Ces types-là prennent beaucoup plus de risque que les rappeurs français, car le simple fait de prendre un micro pour dénoncer certaines choses peut mettre leur vie en danger. Par exemple, le combat de King contre le piratage est super chaud. Y a eu plusieurs menaces de mort, et des types ont été passés à tabac par les pirates…

Après, y a des groupes un peu plus connus, surtout au Sénégal, comme Didier Awadi (ex- Postive Black Soul), Daara-J ou Djoloff. Tous ces groupes participent à donner une véritable identité africaine à la scène hip hop, plutôt que de rêvasser vers les States ou la France…

Doit-on aujourd’hui te considérer plutôt comme un griot ou plutôt comme un MC?

Sûrement pas un MC… Je ne me suis jamais considéré comme tel en tout cas… Griot, c’est compliqué. Parce que le terme englobe tout un tas de choses qu’il nous est difficile de comprendre en France. Le griot a un rôle social très précis, très complexe. Disons que j’assume le côté conteur du griot sans en revendiquer les autres facettes. C’est vrai que j’aime raconter des histoires, mais j’aime aussi donner des faits précis, que les médias préfèrent souvent taire, pour étayer ces histoires. Je veux donner une dimension politique à ma musique.

Justement, tes deux derniers albums faisaient une large place au conflit israélo-palestinien…

Oui, j’ai été amené à rencontrer des musiciens palestiniens qui m’ont raconté leurs conditions de vie quotidiennes, et j’ai réalisé que ça n’avait pas grand-chose à voir avec ce que m’en disaient les journaux télévisés depuis presque vingt ans.

J’ai une formation d’Histoire à la base, donc je suis passionné par tout ça. Du coup, j’ai énormément lu sur le sujet et je me suis rendu déjà deux fois en territoires occupés pour essayer de comprendre par moi-même la situation. C’est trop compliqué à aborder en interviews…

Je suis en train de mettre de l’ordre dans les deux carnets de bord que nous avons tenus lors des séjours. On devrait les publier vers la fin de l’année, pour témoigner de ce que nous avons vécu là-bas. La situation est trop complexe pour la survoler avec deux ou trois vérités toutes faites balancées en interview…Je préfère prendre mon temps, avoir le recul nécessaire, en parler posément sur le papier. Sinon, on doit retourner en Palestine en 2008 pour essayer d’y monter des ateliers de slam…

Pour finir, peux-tu essayer de résumer ton parcours musical avec quelques groupes?

Oulaaah… Ca va être chaud…

Je dirais pour commencer Les Thugs. C’est le premier concert que j’ai vu quand j’étais ado. Ca n’a rien à voir avec la musique que j’ai pu faire, mais j’étais fan, et le fait qu’ils soient un groupe d’Angers m’a sans doute donné l’envie d’en vivre ou quelque chose dans le genre.

Après, j’ai adoré des groupes de metal bien bourrins comme les premiers Sepultura ou Fear Factory pour la violence et la colère que ça véhiculait.

Ensuite, je suis tombé dans le hip hop. Plusieurs groupes ont été super importants, pour diverses raisons.
Les premiers Assassin pour le discours ultra-engagé, même si je suis plus critique sur l’évolution du groupe ou de Rockin’ Squat en solo.
Tout NTM pour la patate énorme que ça avait en live, on n’a pas fait mieux depuis…
Onyx pour le côté ultra sombre et hardcore…
Insane Clown Posse pour le côté hyper décalé, grimé, genre je détourne tous les codes habituels. D’ailleurs, quand tu y réfléchis, j’ai sans doute essayé inconsciemment de faire un condensé de ces quatre groupes sur « Règlement De Contes »… (rires)
J’ai beaucoup écouté Eminem aussi à une époque, mais peut-être parce que je m’identifiais un peu à ce petit blanc-bec qui finit par réussir dans ce milieu où personne ne voulait de lui. J’aimais bien la provoc du personnage…

Après, on va se foutre de ma gueule, mais je suis un peu venu à la chanson à texte grâce aux premiers albums de Linda Lemay. J’ai jamais été fan des instrus, mais je trouvais les textes extrêmement bien écrits. Ca me touchait énormément. Autant que Brel par exemple… Bon, je suis beaucoup moins fan maintenant. (rires)

L’Afrique, je l’ai sans doute découverte au travers de « Moffou » de Salif Keita que j’ai fait tourner en boucle. J’ai aussi beaucoup écouté Tiken Jah Fakoly. J’ai joué avec lui en Afrique, et il a un pouvoir monstre sur les foules là-bas, c’est proprement hallucinant. J’ai du mal à ne pas y repenser quand je l’entends…

J’ai aussi eu une grosse période Jay Jay Johanson et Archive (seulement le premier album) qui m’ont ouvert sur le downtempo. Ben Harper et Kebmo pour le folk. Le groove imparable de Timbaland et Missy Elliot. La puissance de Nusrat Fateh Ali Khan, les ambiances cinématographiques de Loreena McKennitt…

Ca part un peu dans tous les sens, là, non? En plus, je vais te dire… Je me suis rendu compte qu’après un voyage dans un pays je finissais plus souvent par écouter la variétoche locale que tu entends partout dans les taxis, etc. que les vraies musiques traditionnelles. Parce que ça te rappelle beaucoup plus de souvenirs… Du coup, j’écoute aussi pas mal de trucs de Bollywood, du coupé-décalé et de la variété du Maghreb, ça m’éclate… (rires)


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