24 Jan 09 Interview : Kid Acne (01-2009)
Tout a commencé pour toi quand, avec des potes, vous avez créé le collectif Invisible Spies en 1995. Peux-tu nous donner les raisons de cette initiative ainsi que ses buts? Etait-ce pour toi une réelle volonté ou une obligation pour donner un sens à tes journées?
Au début des années 90, mon frère et moi avions l’habitude de publier et vendre des fanzines. Lui et Supreme Vagabond Craftsman distribuaient aussi ceux d’autres personnes. Quand des groupes de leur entourage ont commencé à sortir des disques, je designais le plus souvent les flyers et les posters. Au-delà de ce cercle, nous enregistrions aussi quelques trucs expérimentaux pour le plaisir, et nous inventions de nouveaux noms pour ces projets, comme Deathrow Sandwich, Toah Dynamic, Monkey Scrubbers… Plus que de simplement faire partie d’un crew de graffeurs, j’ai alors pensé qu’il serait une bonne idée de regrouper tout cela et de monter le collectif Invisible Spies, qui serait au final notre crew. J’ai alors fait des cartes d’identité pour chacun des membres, inspirées des pochettes d’Ol’Dirty Bastard, qui nous permettaient même d’avoir des réductions à l’entrée des cinémas. Après avoir sorti une demi-douzaine de 45t sous le nom C U Next Tuesday, nous avons transformé Invisible Spies en label en 2000. Nous n’avions alors aucun autre but que d’enregistrer de la musique et sortir des disques. Avoir son propre label était quelque chose d’excitant, mais personne d’entre nous ne voulait vraiment s’occuper sérieusement d’un tel business. Donc nous n’avons fait que sortir des disques quand nous le sentions, et donner quelques concerts. La prochaine sortie sera un album de black metal signé Earl Shilton, qui joue actuellement de la batterie avec Squarepusher. Surveillez ça.
Est-ce que ce projet a eu un rôle déterminant pour l’artiste que tu es devenu?
Au début, je ne faisais que les pochettes. Ca aurait eu du sens de continuer dans cette branche, mais nous avons décidé que chacun devait faire un peu ce qu’il voulait sur ce plan-là. Quelque part, ça a aidé ma carrière artistique à mettre un pied à l’étrier. Je pense que c’est avec les pochettes que j’ai faites pour Plaid et TTC, comme les flyers pour le club NY Sushi, que j’ai vraiment commencé à me faire connaître.
Parlons musique maintenant. Apparemment, « Romance Ain’t Dead » n’a pas été facile à sortir. Peux-tu revenir sur sa genèse?
J’ai le sentiment, au final, que tout ce qui aurait pu merder a merdé. Des enregistrements perdus, jusqu’à l’incapacité de sortir les titres que tu voulais comme singles, en passant par l’année passée à attendre sa sortie en Angleterre, puis encore une autre pour l’international. Puis, les problèmes d’argent typiques rencontrés avec les majors, l’industrie de la musique, avec les concerts, la promo et toutes sortes d’évènements stupides. Au final, c’est mieux pour moi de tout faire par moi-même avec Invisible Spies. Mais, si nous avons pris un paquet de mauvaises décisions, l’aventure aura quand même été fun.
Tu as déjà trois albums à ton actif et tu es sur la scène hip hop anglaise depuis longtemps. Selon toi, qu’est ce qui permet à l’Angleterre de venir se frotter aux Américains, au point d’en devenir un des pôles les plus intéressants?
Le hip hop anglais est unique, notamment parce qu’il va chercher ses influences en multiples endroits et au sein de plusieurs cultures. De Ragga Twins à Roots Manuva, il y a toujours eu beaucoup de talent. Mais je pense que les Américains ont vraiment commencé à s’en rendre compte quand on a commencé à se rapprocher d’eux. Moi par exemple, j’ai enregistré mon album avec Ross Orton qui a produit « Galang » de MIA, et Rob Gordon, le fondateur de Warp et Fon Records, l’a masterisé. Même si des gens n’aiment pas ma musique et pensent que je suis un Mc de merde, ils ne peuvent pas nier que la production est solide et tient la route à côté de tout ce qui peut se faire là-bas.
D’après toi, qu’est ce que « Romance Ain’t Dead » a de plus que tes précédents albums pour attirer l’attention d’un label comme Lex?
En fait, Lex m’a demandé d’enregistrer un album pour eux en 2003, mais j’étais à la moitié du travail sur « Council Pop » à ce moment-là. Ils ont donc pris un titre pour leur compilation, et je leur ai promis de leur en faire un après avoir sorti celui-ci sur Invisible Spies. Je pensais qu’on pourrait sortir le nouveau en 2005 mais, comme tu le sais, ça ne s’est pas vraiment passé comme ça.
Quelques morceaux de ce nouvel album se rapprochent beaucoup des Beastie Boys. Le groupe fait-il partie de tes principales influences?
Comment t’as deviné? Oui, les Beastie Boys, Beck, New Kingdom, Alkaholiks, tous ces gens m’influencent beaucoup depuis que je suis môme.
Tu apparais en crieur public sur la pochette. Est-ce ta représentation du Mc d’aujourd’hui? Devons nous y voir un message soulignant le manque de culture de la population actuelle malgré ses connaissances naturellement plus larges?
La pochette est censé être une performance amateur et dramatique du film hip hop « Wild Style ». Le décor est le même que dans le film, mais je me suis incarné en crieur public pour m’afficher en Mc vraiment old school. Évidemment, l’Angleterre est bien plus vieille que New York, donc j’ai voulu représenter les deux types d’héritage: l’influence hip hop autant que le pur britannisme de ce que nous faisons.
Tu t’es également distingué via tes talents d’illustrateur, pour les labels comme pour le comic Zebra Face par exemple. Te sens tu l’âme d’un artiste qui joue sur plusieurs tableaux, ou penses-tu que la musique et le dessin ne vont pas l’un sans l’autre?
Je ne considère pas vraiment ces deux disciplines comme connectées, au-delà du fait que je pratique les deux. Je n’ai jamais voulu créer une marque pour ma musique, comme Mr Scruff peut le faire par exemple. Beaucoup de gens trouveraient cela logique, mais moi non. J’aime trop varier les plaisirs, y compris au sein de chaque discipline.
Les deux étant des mouvements historiques de la culture hip hop, est-ce le dessin qui t’a amené à la musique ou le contraire?
Encore une fois, pour moi ce sont deux choses différentes. Je ne pourrais même pas te dire depuis quand je dessine, et j’ai vraiment commencé le graffiti en 1991. Mais, je n’ai jamais voulu suivre délibérément le chemin des quatre disciplines du hip hop. Je me suis juste senti à l’aise sur ces deux-là.
Tu es tellement polyvalent que toutes ces activités doivent te demander énormément d’énergie. Ne crains-tu pas qu’un de tes arts en paye le prix un jour?
Si, bien sûr. J’ai souvent le sentiment de diluer une chose dans une autre. Si je me concentrais uniquement sur un, je suis persuadé que je serais encore meilleur. Mais, comme j’aime le dire, j’ai des affinités pour le dessin et la musique, je ne veux pas faire de choix. En revanche, je fais en sorte d’équilibrer mon emploi du temps du mieux que je peux .
La musique et le dessin pouvant être considérés aujourd’hui comme des arts marginaux, as-tu des difficultés à être considéré comme un véritable artiste?
Tout dépend qui te juge. Je ne fais rien d’autre dans ma vie. Par conséquent, mon métier est celui d’artiste étant donné que c’est celui qui me fait vivre.
Parlons plus précisément de dessin. Tu revendiques le Do It Yourself dans tout ce que tu entreprends. Si on sait comment cela se traduit dans la musique, qu’en est-il dans le dessin?
Comme je l’ai dit, des fanzines aux peintures quand j’étais adolescent, en passant pas les flyers et les posters, les pochettes de disque, les tee shirts, les expos, des grosses performances, des plus petites, des voyages… Revenir toujours au début dès que tu entames une nouvelle oeuvre. Tout cela, c’est du DIY, et ça le restera tant que je n’emploierai pas quelqu’un pour m’épauler.
On te demande souvent des performances originales, comme cette devanture de dentiste que tu as repeinte. Quelle est la chose la plus originale qu’on t’ait demandé? Y en a t-il que tu as catégoriquement refusé?
J’ai décliné pas mal d’offres de la part d’entreprises. Soit parce que je n’aime pas ce qu’elles font et ce qu’elles représentent, soit parce que j’étais vraiment trop occupé. Je pense que mes projets les plus intéressants ont été les designs de fringues tricotées ou à mailles. C’est quelque chose que j’aimerais continuer cette année. C’est marrant, et vraiment très différent que de designer des tee shirts pour les gens.
De quels projets rêves-tu? Lequel t’apporterais une fierté incommensurable?
C’est bizarre, mais je ne rêve pas vraiment de projets. Je m’amuse beaucoup avec cela, j’ai fait plein de choses auxquelles je n’aurais jamais pensé, comme designer ma propre bombe de peinture, fabriquer des jouets, travailler pour Prada, peindre des murs à travers le monde… À vrai dire, je ne force pas les portes pour travailler, les choses arrivent naturellement, au fur et à mesure qu’on me les commande.
Quelques mots pour la fin?
Cela est la fin des haricots.
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