Interview : Jonah Matranga (05-2006)

Interview : Jonah Matranga (05-2006)

Jonah Matranga est sûrement un des chanteurs/compositeurs/guitaristes les plus doués de sa génération et de la scène rock indépendante américaine, mais certainement aussi le plus maudit. À croire que le jeune homme n’est finalement pas fait pour s’insérer dans un groupe tant ses projets collectifs ont toujours été vite sabordés. Et ce ne sont pas les moindres, car New End Original et Gratitude ont tous deux sorti un seul album, mais qu’on ne se lasse toujours pas d’écouter encore aujourd’hui. Quoi qu’il en soit, Matranga revient sans cesse à la case départ, celle de la prestation solo, sûrement celle qui lui correspond le mieux désormais.Cela fait quelques années maintenant que tu es dans la scène rock indépendante. Que recherches tu encore après tout ce temps?Jonah Matranga: Quand j’étais gosse, j’ai ressenti quelque chose de très fort pour la musique, comme une envie insurmontable de faire de la musique, d’écrire des morceaux. Je suppose que je l’ai encore et je n’ai pas l’impression d’avoir encore tout donné. Des idées de morceaux me viennent constamment et c’est très excitant. Ça me fait continuer…Tu joues et tournes depuis une quinzaine d’années maintenant. Es-tu quand même parfois fatigué de tout cela? Qu’est ce que tu apprécies le plus dans ton statut de musicien?Ça revient un peu à ce que je viens de dire. Bien sûr, il y a parfois des moments où je suis un peu gavé mais succomber à cela trop facilement serait vraiment me mentir à moi-même. Je pense qu’on peut toujours avoir de nouvelles idées, surtout lorsqu’on se respecte soi-même ainsi que la vie qui nous entoure.Tu as joué dans plusieurs groupes qui ont souvent sorti qu’un seul album. Comment expliques-tu cela? Doit-on en conclure que, quelque part, jouer seul est la chose qui te correspond le mieux?Peut-être, c’est possible. J’ai un peu honte de cela parfois, mais d’un autre côté enchaîner les projets est quelque chose d’assez fun et intéressant. Tout ce que je peux dire est que je ne pense pas que ce soit pire de s’empêtrer dans un projet si toi où qui que ce soit n’est pas heureux et qu’il n’y a pas une honnêteté réciproque entre les membres. Évidemment, je ne m’arrête pas au moindre conflit, mais si les problèmes ne parviennent pas à être résolus, je ne pense pas que ce soit un mal de se faire du mal à soi ou les autres juste pour sortir un disque, faire de l’argent ou rester en bonne santé…Tu peux quand même donner l’image de quelqu’un avec qui il est assez difficile de vivre. En es-tu conscient et est-ce le cas?Je pense être comme tout le monde. Je ne pense pas être malsain, ni avoir des tonnes de problèmes personnels non résolus qui me rendent impossible à vivre. Ce qui est sûr, c’est que je ne m’accorde pas avec tout le monde. J’aime l’intimité. Il y a des gens avec qui je peux avoir des liens vraiment étroits et d’autres avec qui les limites d’une relation sont vite atteintes. Là, il est temps de partir. J’ouvre rarement ma gueule, mais je peux vraiment aller au conflit, surtout quand je suis en danger et qu’on me ment. Si tu es cool et juste avec moi, je le serai tout autant avec toi. Je peux être très généreux, attentionné, et doux tant qu’une relation reste basée sur l’honnêteté.Quels sont les meilleurs souvenir que tu gardes de chacun de tes groupes?Dans Far, nous étions vraiment un groupe, comme des frères. Nous étions tous très différents mais vraiment unis. Avec New End Original, j’ai passé beaucoup de temps avec Norman qui est un de mes meilleurs amis. Il y avait Charlie aussi, le premier batteur, qui est un des meilleurs musiciens avec qui j’ai joué, c’est une certitude. J’adore les batteurs et là, c’était incroyable. Pour Gratitude, j’ai appris à gérer des situations très difficiles, sous pression, qui allaient au-delà de mes capacités, mais aussi à être heureux et continuer à faire des choses dont je suis fier. Même si tout a finalement été un gros loupé. Quant à Onelinedrawing, il ne s’agissait pas véritablement d’un groupe puisque ça m’a montré à quel point suivre ses idées à l’extrême et rencontrer des gens sur ma route pouvait être fun. C’est un peu sur ce modèle que va partir ma future carrière. Tu as dit de Gratitude que ça a été un de tes pires cauchemars. Pourquoi le groupe a splitté véritablement? Est-ce que le fait d’avoir signé sur une major a contribué à cela?Non, le label était vraiment bien. C’est sûr, on n’était pas toujours d’accord, mais le principal problème a été la malhonnêteté au sein du groupe. Des gens n’ont pas été francs avec moi. Si des personnes ne te disent pas la vérité, tu travailles dans l’illusion. Qu’on me mente est une de mes plus grandes craintes, et ça a été ça avec Gratitude. Tu prévois de sortir désormais des albums sous ton propre nom. Est-ce, selon toi, un signe de maturité de ne pas se cacher derrière un nom de groupe?Je ne sais pas s’il s’agit véritablement de maturité. Je pense que c’est surtout plus simple et moins effrayant. C’est aussi une manière de s’accepter soi-même, ainsi que toutes les erreurs que j’ai pu commettre, toutes les choses dont je suis fier. C’est un peu un condensé de tout cela…Peux tu développer cette idée de « rocking the fuck out » qui te semble si chère?C’est une des manières de dire « fais ce que tu veux au moment où tu le veux ». Ça revient à être un héro existentiel. Le fait de savoir que le rock est stupide mais de quelque part faire face à cela, revient à trouver sa transcendance…Internet semble être un outil primordial pour toi. À quel fin l’utilises-tu? Quel est ton avis de musicien sur le téléchargement?Télécharger est très impersonnel, ce qui est triste puisqu’internet offre cette possibilité de tisser des liens partout dans le monde. J’adore, par exemple, le fait de pouvoir faire cette interview avec toi si facilement alors que tu es à l’autre bout de la Terre. J’aime partager des mix tapes avec les gens, et j’espérais que télécharger irait plus loin que cela.Tu as participé à des albums d’artistes aussi différents que Deftones, Sade ou Fort Minor. Sur quels critères décides-tu de prendre part à tel ou tel projet?J’aime juste varier les plaisirs. En tant que chanteur, c’est rare de pouvoir participer aux disques des autres, contrairement à un batteur ou un bassiste. C’est cool pour moi de poser ma voix sur une musique qui n’est pas la mienne. C’est enrichissant.Le plus surprenant a été de t’entendre sur Fort Minor qui est vraiment un disque de hip hop. Qu’est ce qui t’a attiré dans cette expérience? Ecoutes tu beaucoup de hip hop?Bien sûr, j’adore cela. J’adorerais chanter tous les refrains des morceaux hip hop qui sont en général, efficaces et simples. Je suis sûr que je pourrais très bien rapper (rires). La pop et le rock sont deux genres qui sortent naturellement de mon imagination mais j’adore écouter du rap.Tu as maintenant une grosse expérience de la scène rock qui te donne assez de recul pour la juger. Comment vois-tu son évolution?Ça a l’air un peu mort, mais on est au stade ou les choses peuvent devenir intéressantes. Mais vraiment, j’adore toujours les gros et beaux refrains. Le rock est devenu un peu trop du business pour moi, mais je continue de m’y faire ma petite place.Je trouve qu’aujourd’hui le look, l’attitude et sortir un bon single avant de penser à un bon album est devenu beaucoup trop important et récurrent. Es tu d’accord?Je suis complètement d’accord avec toi. Il y a peu de temps, l’image dans le rock n’était pas aussi prépondérante qu’aujourd’hui. Les clips et internet ont amené avec eux des groupes que nous n’aurions jamais pu entendre, mais ont rendu les choses encore plus difficiles pour les groupes de rock qui se branlent totalement de la mode. Aussi, je précise que j’aime les bons refrains quand ils sont au milieu d’un album solide, intéressant, complexe et bon. Et s’il peut s’agir d’un album au milieu d’une belle carrière, c’est encore mieux…Acceptes tu d’être une des plus importantes influences en terme d’émo? Es tu d’accord avec ce terme déjà? Quel en est ta définition?Pour moi, l’émo a toujours été le fait de ne pas être une rock star, et de ne pas être un macho. Ça permettait à un musicien d’être maladroit, pas vraiment à la mode, atypique sur scène. Ça a clairement changé. Cela dit, si j’ai pu aider un quelconque chanteur de rock à exprimer différentes facettes de sa personnalité, ce qu’il n’aurait pas fait sinon, c’est bien et je suis fier de cela.Quels sont les disques que tu écoutes en ce moment?Anthony Coleman est vraiment brillant, un incroyable pianiste. Imogen Heap a de fabuleux morceaux, et le dernier Neil Young est très bon, très drôle et devait vraiment sortir.Quels sont tes projets dorénavant?Je veux jouer dans les endroits que j’aime, comme la France (rires), pour que des gens biens et sympathiques écoutent ma musique. Je vais tourner en Europe du 22 au 29 mai, en Angleterre du 6 au 14 juin, finir par quelques dates aux Etats-unis avant de revenir en Europe à la fin de l’année pour aller dans les endroits que je n’ai pas pu visiter la première fois. En fait, je veux garder contact avec des gens du monde entier qui aime ma musique, grâce à une bonne distribution, internet, et des concerts funs.Le mot de la fin…Que qui que ce soit qui ait des idées me permettant de garder contact avec la France me le fasse savoir. J’ai toujours aimé ce pays et je voudrais avoir une longue relation avec le public français. Sinon, visiter mon site internet pour dire bonjour et voir ce qu’il s’y passe. Et que veut dire Bokson?


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