12 Juil 13 Interview – Jon Hopkins, l’hypnotiseur solitaire
Ce soir-là, sur la Deûle à Lille, la Péniche affiche complet pour la venue de Jon Hopkins. Une petite salle qui flotte, certes, mais qui aurait bien pu chavirer si le britannique avait joué une heure supplémentaire. Jon Hopkins, c’est peut-être ce qui se fait de mieux en électro, la représentation la plus brillante d’une prestation homme-machines qui mène inévitablement à la transe. Après un live magique, nous le rencontrons dans la soute du navire pour bavarder autour de son quatrième album « Immunity« .
Ce soir, c’était complet, le public était bel et bien présent, et tu commences une tournée mondiale…
Jon Hopkins: Pour le moment, ça sera juste en Europe et en Amérique, et j’espère qu’il y aura le Japon ensuite.
Comment expliques-tu ce succès?
Oh, je ne sais pas. J’ai toujours suivi mon instinct en faisant la musique que j’avais envie d’écrire. C’est mon quatrième album et je pense qu’il est en mesure d’attirer les gens plus facilement. Je me suis vraiment penché sur des sons addictifs et des rythmes dansants, et peut-être que les gens préfèrent ce compromis à celui de la mélodie. De mon point de vue, c’est difficile à dire, peut-être que mon disque est plus écoutable, que les gens peuvent s’y « connecter » plus facilement.
La première partie de l’album est très dansante. As-tu un passé de clubber?
Non, pas du tout. Cette influence club vient vraiment de la tournée du précédent album. En général, j’étais programmé tôt dans la nuit et, juste après moi, il y avait des artistes plus directs, plus clubby. Je pense qu’inconsciemment, ça m’a imprégné, c’est de là que viennent ces sons techno hypnotiques.
Tu avais envie de faire danser les gens?
Oui, j’adore, en plus c’était un concept plutôt nouveau pour moi. Sur chaque nouvel album, j’essaie de faire quelque chose que je n’ai jamais fait avant. Avec « Immunity », il s’agit définitivement de cette facette rythmique qui est nouvelle.
Est-ce une manière pour toi d’amener ton public dans une espèce de transe?
Oui, c’est généralement le sujet de cet album. Ça arrive même dans les morceaux les plus calmes!
La plupart du temps, quand je vois des artistes électro jouer live en solo, je trouve ça ennuyeux de les voir debout derrière un laptop, sans véritable jeu de scène, sans amener aucune valeur ajoutée. Avec toi, ça n’est pas le cas, tu es toujours en train de bouger, de jouer avec les effets… Est-ce une manière de remplacer un live-band en quelque sorte?
Oui, c’est possible. Mais je ne réfléchis pas vraiment de cette façon. J’adore être en solo, ça me permet d’avoir une totale liberté sur ce qui va se passer. Je pense qu’après plus de dix ans passés à faire de la musique, tu as les moyens d’exprimer pleinement tes idées comme tu le sens. Je fais tout pour rendre un concert vivant, j’ai envie que les gens puissent voir quelque chose sur scène, en plus d’entendre la musique. Il faut qu’ils voient et qu’ils entendent ce qui se passe. Si tu restes derrière ton laptop, c’est difficile d’être connecté à ton public. Quand tu regardes un orchestre, tu regardes tous les instruments, il y a toujours quelque chose à voir. Quand tu joues solo, toute l’attention est sur toi et tu as intérêt à être expressif. Ça fait partie de l’expérience, et j’y mets beaucoup du mien. Ça me permet aussi de prendre mon pied! Si je n’apprécie pas ce que je fais, autant arrêter tout de suite! (rires)
Parlons un peu de l’album « Immunity ». Comparé à « Insides », la première partie est plus agressive, la seconde est bien plus calme. Essayes-tu de raconter une histoire, basée sur tes propres émotions?
Les idées sont plutôt abstraites à l’intérieur des chansons. Mais globalement, j’ai toujours été obsédé par cette idée de contraste, et j’ai voulu apporter cet effet ici. Si tu donnes une demi-heure de son agressif, avec de longs morceaux à la basse lourde comme le quatrième, ça devient épuisant, et tu finis par prier pour être soulagé! C’est comme si tu méritais d’avoir une partie calme après ça. Je voulais que les titres aient un effet sur chacun. Quand tu écoutes le cinquième morceau au piano, c’est une manière de mémoriser le précédent, de te rappeler que tu as traversé une épreuve et que tu peux enfin t’évader, que tu es maintenant libre. J’adore cette sensation! Comme je te disais tout à l’heure, c’est aussi une espèce de transe, mais c’est une autre approche.
Il y a beaucoup de morceaux longs sur l’album. Etait-ce prémédité, ou est-ce que c’est arrivé comme ça, pendant la composition?
Ces morceaux, je voulais en faire des petits mondes dans lesquels tu peux vivre. Le plus long est le septième, il fait douze minutes. Il n’y a pas vraiment de mélodie, c’est juste une longue transe. Je voulais faire un morceau que tu n’as pas envie d’arrêter, que tu as envie de ressentir pendant longtemps. Le fait d’avoir essayé moi-même d’atteindre cet état me fait dire qu’il y a des chances pour que ça fonctionne. J’écoutais le titre en entier, et si je n’arrivais pas à ce ressenti, je l’allongeais un peu plus! Je suis content que les gens ne me disent pas: « Oh c’est trop long!« . C’est rassurant de voir qu’on me critique rarement sur la longueur de ces morceaux.
Aujourd’hui, avec la culture digitale, on peut ne prendre qu’un ou deux morceaux sur un album ou l’écouter dans le désordre. Est-ce que ça t’effraie? Penses-tu que ça peut tuer les raconteurs d’histoires électroniques comme toi?
Je ne pense pas que ça nous tuera. Il faut ignorer cela. Quoiqu’il arrive, on doit écrire l’histoire de l’album. Je suis toujours convaincu que beaucoup de gens l’achèteront et l’écouteront dans son intégralité. Beaucoup de gens ne le feront pas aussi, et je suis content pour eux de pouvoir juste apprécier « Open Eye Signal » ou d’autres morceaux. Même si un jour plus personne dans le Monde n’écoute un album dans l’ordre et dans son intégralité, j’en ferai quand même! Je suis un musicien solo, c’est important pour moi de pouvoir exprimer une série d’idées et de raconter une histoire.
Le piano semble être l’instrument pivot de ta musique. Est-ce que tu continues d’apprendre?
Il n’est pas vraiment présent sur les quatre premiers morceaux. J’ai essayé de me forcer à ne pas l’utiliser sur cette moitié, malgré cette brève apparition sur le troisième. Sur la seconde moitié, oui, j’ai laissé le piano prendre le lead. J’en joue depuis que je suis petit, cet instrument a une vraie résonance sur moi, il me rappelle toute ma vie. J’ai juste trouvé des façons très simples d’exprimer mes idées, mes mélodies. C’est mon instrument, je ne sais jouer d’aucun autre! Malheureusement, je ne m’assieds plus vraiment pour jouer pour le plaisir, comme avant, mais il est toujours là, quelque part dans ma tête.
Pourquoi n’en joues-tu pas sur scène?
Ça m’arrive parfois! Je fais deux sortes de concerts. Il y a celui que tu as vu, le plus dansant, et d’autres devant des gens assis, où je joue du piano en plus. Sur la tournée de « Insides« , j’ai donné beaucoup de concerts de ce genre. Cette année, ça n’arrivera certainement pas. C’est génial d’avoir l’occasion de jouer tes morceaux à volume vraiment élevé devant des gens assis, j’aime ce contraste! Dommage que ça ne soit pas toujours possible d’amener un piano sur scène, c’est trop encombrant… (rires)
Tu es également connu pour tes collaborations avec Coldplay, David Holmes ou Brian Eno. Qu’as-tu appris de ces musiciens?
Des choses très différentes selon les artistes! En particulier, Brian Eno est quelqu’un qui m’a appris à laisser parler la musique, la libérer, passer moins de temps sur les petits détails. Les musiciens de Coldplay sont vraiment des amoureux de musique. Ils m’ont appris à être plus impitoyable avec moi-même sur ce que je peux mettre ou non dans un album. Je les ai vus écrire des chansons incroyables et les mettre à la benne tout de suite après. Jamais personne ne les entendra! Ils s’imposent un niveau de qualité très élevé.
J’imagine que celle avec King Creosote était très différente?
Oui, c’était une collaboration bien plus directe. Nous avons vraiment écrit les morceaux ensemble. D’ailleurs, il a joué ici il y a quelques semaines! C’était une superbe expérience. J’ai essayé de mettre ses chansons au monde d’une manière différente de celle dont il me les présentait.
Vas-tu continuer dans ce sens?
Avec King Creosote, il y a de fortes chances. Et je suis en contact avec Brian Eno sur quelques idées, il y aura sûrement un autre album.
Est-ce que tu te sens mieux en tant que producteur ou en tant que musicien solo?
Le solo, c’est ce que j’adore! C’est plus difficile de tout faire toi-même, mais bien plus excitant. Tu peux exprimer tes intentions de la manière la plus pure. En fait, je ne me considère pas comme un producteur.
On peut entendre une voix sur le morceau « Immunity » à la fin de l’album, et le résultat est bon. Tu n’utilises pas beaucoup de voix en général… Pour quelle raison?
Parce que je ne sais pas chanter! (rires) Sur ce morceau, c’est King Creosote. Dans quelques semaines tu pourras entendre quelques chansons avec des intervenants vocaux! Par exemple, j’ai fait une chanson avec Hayden Thorpe de Wild Beasts. Mais c’est vrai que j’aime garder ce genre de collaboration en dehors de mes albums. Mes disques sont généralement instrumentaux, ça me permet de pouvoir les jouer entièrement.
Tu es programmé sur quelques festivals cet été. Préfères-tu l’ambiance festival ou la configuration « petit bateau » comme ici?
J’adore les salles insolites comme ici! Disons qu’en termes de taille, j’aime le juste milieu.
Crédit photo: Andrey Kalinovsky
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