Interview – Jessica 93 ne fait que des chansons d’amour

Interview – Jessica 93 ne fait que des chansons d’amour

Ne vous fiez jamais aux apparences: derrière Jessica 93 et ce pseudo de tchatteuse imbibée d’Eau Précieuse se cache Geoffroy Laporte, trentenaire goguenard et passionné, adepte d’un Démerde Yourself qui force le respect. Pas du tout poseur et vacciné contre l’infatuation, cet outsider complet qui, à ses débuts, écumait la France avec sa Citroen Visa jaune flamboyante, a réussi, en seulement deux albums (‘Who Cares‘ (2013) et ‘Rise‘ sorti à l’automne 2014), à imposer un son bien à lui: des riffs de guitare abrasifs posés sur une ligne de basse ombrageuse, le tout cadencé par une boite à rythmes à faire danser les morts. Entre un soundcheck un peu laborieux et son concert en ouverture du festival MV à Dijon le 11 avril dernier, rencontre avec ‘l’homme à tout faire’ de Jessica93.

D’où vient ce nom ‘Jessica 93’? On dirait le pseudo d’une collégienne sur Skyblog… 

Geoffroy Laporte: Jessica, c’est tout simplement le prénom que m’aurait donné ma mère si j’avais été une fille… Effectivement, il y a ce côté un peu pathétique de skyblogeuse de 16 ans que j’aime bien. Généralement, quand tu cherches un nom de groupe, tu fais ça bourré, avec tes potes. On a trouvé celui-là parfaitement décalé. Ce n’est pas le premier nom de groupe que j’ai eu, mais c’est celui qui est resté.

En live, un concert de Jessica 93, ça donne un work in progress assez étonnant: tu programmes la boîte à rythmes, et crée des loops de basse ou de guitare. Ce n’est pas un peu fastidieux de devoir tout faire tout seul?

Ah non. C’est toujours très précis dans ma tête. Et puis, c’est cette méthode qui fait le son. Ça sonnerait différemment si j’avais un bassiste ou un batteur. En tout cas, je ne m’ennuie pas à la faire. De toute façon, dans la vie, il vaut mieux ne rien attendre de personne et savoir se débrouiller tout seul.

Tu n’es pas tenté par un projet collectif?

En fait, j’ai toujours joué dans des groupes, que ce soit avec Besoin Dead, Mobylette Facile, Comité Défaite, ou même encore aujourd’hui avec Missfist (à ne pas confondre avec The Misfits). D’ailleurs, au départ, Jessica 93 était une manière de combler mon emploi du temps entre ces différents projets. Je suis très admiratif de ces groupes qui durent depuis plus de 30 ans, comme les Melvins par exemple. Mais c’est dur de croiser des gens qui veulent faire de la musique au point de sacrifier une partie de leur vie. D’ailleurs, je rêve de monter un groupe avec des mecs comme moi, qui ne veulent faire que ça et qui se donnent à fond.

Shoegaze, post-punk, cold-wave, dark noise, grunge, garage… Tu te sens appartenir à l’un de ces courants?

Pas vraiment. Je pense faire partie de la scène Do It Yourself française. Je me sens dans le même état d’esprit que des groupes comme les Headwar ou Bonne Humeur Provisoire. J’aime bien aussi The KVB (qui joue en seconde partie de soirée, ndlr), je suis assez réceptif à leur musique… C’est tout à fait le genre de groupe que m’a fait découvrir ma copine.

Dernièrement, ton clip ‘Now!’ – très DIY lui aussi – a eu son petit succès: idée de génie, grosse flemme, pas de budget ou foutage de gueule?

C’est un peu tout ça en même temps! L’idée a dû sortir alors que je gueulais contre les clips hyper léchés faits par des groupes qui se prennent beaucoup trop au sérieux et qui, en plus, te collent à la fin de la vidéo un générique pour savoir qui a tenu la caméra, qui s’est occupé des fringues, qui touille les cafés. Je trouve ça pathétique et inutile… Du coup, l’idée de cette vidéo c’était: on va faire un clip avec seulement un générique interminable. Mais j’avoue que, en postant la vidéo, j’ai eu un peu peur que les gens ne pigent pas. Mais en fait, non, ils ont très bien reçu le truc.

Visuellement aussi, tu as l’air d’avoir des influences assez éclectiques. J’ai repéré sur ton Skyblog une Danse Macabre ou un tableau de Joachim Patinir, ‘Charon traversant le Stix’: tu sembles avoir une curieuse inclinaison pour une esthétique médiévale un peu morbide?

J’adore ça. J’aime bien ce côté macabre. Je suis d’ailleurs un gros fan de Dead Can Dance. Concernant cette Danse Macabre, je l’ai découverte en allant à Tallinn en Estonie, dans l’église St-Nicolas. J’étais stupéfait. Sur ‘Rise’, une des chansons s’appelle ‘Surmatants’, ce qui signifie ‘Danse Macabre’ en Estonien.

Les paroles justement… J’avoue ne rien avoir compris à celles que tu chantais, noyées dans la reverb’. Elles parlent de quoi tes chansons? 

Ah, mais je ne fais que des chansons d’amour.

Ton nouvel album a reçu de très bonnes critiques de la part de la presse musicale française. Tu as été surpris par autant d’unanimité?

Si je venais de Manchester, je te dirais que je ne suis absolument pas étonné et que c’est absolument normal puisqu’on n’a rien entendu de mieux depuis les Beatles. Sinon… Ça fait plaisir à ma mère. Ah si! Je trouve que je cause vachement bien en interview, je me rends compte que j’ai du vocabulaire.

Tu penses que la presse a encore de l’influence?

Oui, elle a même un rôle indispensable pour les gens qui ont un boulot, et qui n’ont pas forcément le temps de passer trois heures sur SoundCloud à chercher du son. Ça met en lumière des groupes qui aurait galéré sans ça. Pour Jessica 93, c’est grâce aux labels (Teenage Menopause et Music Fear Satan, ndlr) que j’ai pu avoir autant de papiers. Ils ont démarché les magazines et les blogs.

Tu as aussi inspiré des lignes assez incroyables aux journalistes. Par exemple, dans Noisey, on lit quand même: ‘Il (Jessica 93) aurait contemplé la ville à ses pieds (…) et il se serait laissé tomber droit dessus, bardé de 8000 méga-tonnes de Semtex’…

Ah mais je trouve ça plutôt cool. Je ne vais quand même pas me plaindre, d’autant que je suis assez épargné au niveau critique. C’est juste les comparaisons avec Kurt Cobain que me font chier. A chaque fois qu’il y a une photo de moi, il y en toujours pour en mettre une de Kurt Cobain en dessous. Ils ne peuvent pas s’en empêcher… Ça me saoule.

En revanche, pas une ligne sur Pitchfork! C’est vexant? 

Ils s’en foutent complètement de la scène française. D’ailleurs, en règle générale, le reste du monde ignore ce qui se passe en France. Les gens du milieu n’ont pas l’air d’avoir envie de sortir du pays. Le problème, c’est les labels. Je pense qu’ils ne jouent pas le jeu de l’international. Ils peuvent, pourtant ils ne le font pas. Les groupes français sont presque cantonnés au territoire. Il y en a beaucoup qui se contentent de faire leurs petites tournées au pays. C’est dommage, quand tu t’éloignes de la France, personne n’as entendu parler de Marvin ou de La Secte du Futur par exemple.

Elle roule toujours la Citroën VISA jaune poussin qui est sur la pochette de ‘Rise’?

Nan… Je l’ai mise à la casse il y a un an. Si tu veux tout savoir, en ce moment on roule dans une R19 qui ne va pas tarder à nous lâcher aussi…

Plus d’infos:

Jessica 93 est actuellement en tournée, plus d’info sur https://www.facebook.com/thejessica93
Crédit photos: Edouard Roussel


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