Interview – Jamie Lidell n’aime pas les disques

Interview – Jamie Lidell n’aime pas les disques

Le blanc-bec le plus mal rasé, mais aussi le plus humainement et musicalement accessible du label Warp, est reparti en tournée pour présenter « Compass« , son dernier bébé qui s’écarte du chemin pour s’en aller flirter avec les dangereuses contrées commerciales dessinées par « JIM« . Plus organique, personnel et spontané, ce nouvel album grouille d’idées funk, pop, gospel et blues qui alimentent les talents de ce crooner toujours aussi diligent et joyeusement contagieux lorsqu’il s’agit de présenter sa musique sur scène. Pour son passage dans le convivial Splendid de Lille, Jamie Lidell nous ouvre sa loge pour en parler en tête à tête…

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Commençons tout d’abord par le succès de « JIM ». En France, on a pu entendre des titres comme « Another Day » à la radio, et c’est inhabituel chez nous d’entendre du son de chez Warp sur nos ondes nationales. T’attendais tu à un tel succès?

Jamie Lidell: D’une certaine manière, c’était fait pour être pop, je voulais que ça passe à la radio, à la télé… Je cherchais ce genre d’impact! C’était délibéré de faire un album plus commercial après « Multiply ». Ouais, tu vois, il y a tellement de mauvaise musique à la radio; et pour passer sur la FM tu dois vraiment faire en sorte que ça soit très clean, que ça brille. Ils décident vraiment de ce qui doit ou ne doit pas être diffusé, mais j’étais content que ces chansons passent à la radio. C’était un petit trip pour moi. Tu roules tranquillement en voiture, ton truc passe, et tu fais « Quoi?!« . C’est un petit choc! Mais c’était conçu pour ça, à l’inverse de la plupart des sorties Warp, beaucoup plus underground. Il y a quand même Jimi Tenor qui a essayé de faire du son un peu pop, et « Windowlicker » d’Aphex Twin était n°17 dans les singles charts en Angleterre.

Mais pas en France!

Non, pas en France, impossible!

Quelle a été ta manière de composer sur « Compass », ton dernier album? Était-ce basé sur des improvisations?

Pour moi, ilcita12 y a un peu de ça dans tous les albums. J’ai essayé d’écrire les schémas originaux très rapidement. Avec Beck, on a bossé ensemble pendant le process d’enregistrement. Il a une façon particulière de travailler, il aime que les choses soient spontanées. Il aime avoir un petit plan, quelques paroles, un sens à la chanson, mais il aime aussi faire évoluer une idée très vite. C’était très inspirant, ça m’a forcé à être au taquet. Tu sais, j’aime aussi faire de la musique de cette façon, mais après « Multiply » et « JIM », j’ai commencé à aborder les choses différemment, à vraiment écrire des chansons, en les construisant d’une certaine manière. Je pense que j’avais besoin de me libérer de ça, de trouver ce que j’avais d’autre à dire et comment je voulais le dire. J’ai rapidement esquissé des petits blocs pour l’album, j’ai juste passé une journée sur chaque chanson. En un mois, j’avais une vingtaine de croquis. C’était une manière de ne pas faire les choses de façon trop précise. Tu commences une idée, et si tu l’aimes encore à la fin de la journée, tu la développes. Une journée! C’est finalement long pour travailler pleinement sur un morceau. Si, au contraire, tu n’es finalement pas persuadé, tu laisses tomber, tu oublies et tu passes à autre chose de complètement différent le lendemain. C’est rassurant pour moi de pouvoir me dire « ne t’inquiète pas si ton idée n’est pas parfaite dès le début« . J’étais vraiment dans cette optique pour « Compass ». Après ça, on est allé à Ocean Way, enregistrer chez Beck, puis au Canada… Je me suis concentré sur l’enregistrement, les chansons ont alors évolué, il y a eu beaucoup de versions… Tu peux d’ailleurs l’entendre sur le disque, ça sonne un peu plus « rough » et spontané.

jam1C’est vrai. Et espères tu un petit succès commercial, comme pour « JIM »?

A vrai dire, je ne sais pas. La chanson « Compass » a déjà été utilisée dans un gros jeu vidéo, « Red Dead Redemption ». C’est sans doute le morceau le plus « commercial » de l’album, mais c’est évident qu’il est beaucoup moins accessible que « JIM ». C’est intéressant et difficile à la fois de voir si les gens comprendront. Je pense que, pour beaucoup de mes fans, c’est compliqué. Certains m’aiment pour ce que j’ai fait sur « JIM ». D’autres m’aiment pour ce que j’ai fait sur mes projets plus electro. Mon public est sans doute un peu déboussolé. Ça pourrait passer à la radio, mais celui là n’est pas fait pour ça.

Pour cet album, je devine que tu as également travaillé avec Mocky?

Non, pas du tout cette fois! C’était une décision consciente. J’ai décidé que, pour une fois, j’allais faire un album… sans Mocky. Nous avons fait « JIM » et « Multiply » ensemble. C’était important de voir ce que je pouvais faire en dehors de cette collaboration.

Peux tu alors nous parler des autres intervenants? Gonzales, Beck et Feist…

Oui, en fait, j’ai travaillé avec Gonzales par internet… Je lui envoyais des chansons dans leur état primaire, et je lui demandais s’il pouvait essayer de jouer quelques notes de piano dessus. Il a été d’accord et m’a renvoyé les morceaux. C’était une façon de travailler plutôt sympa finalement. J’ai travaillé avec Pat Sansone de Wilco exactement de la même manière. J’étais en studio avec Beck au début de l’enregistrement, puis avec Feist et Chris Taylor de Grizzly Bear. Cette façon de travailler est amusante, lorsqu’il y a beaucoup de personnages autour, de nouveaux gens, de nouveaux sons…

Ont ils travaillé avec toi en tant que musiciens ou en tant que professeurs?

Chaque musicien est pour moi un professeur. Ils ont toujours des trucs à te montrer à travers leur approche de leur instrument, de leur son. Beck est par exemple une grande influence pour moi.

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Il a écrit une chanson, non?

Oui, « Coma Chameleon », peut être le morceau le plus rock. Nous avons fait quatre chansons ensemble, mais celle-ci a complètement été écrite par lui. Beck et Chris Taylor sont les producteurs principaux de l’album, mais ma petite amie est bien plus qu’un producteur pour moi parce qu’elle écoute les chansons plus que n’importe qui, et elle me donne un feedback honnête, du genre « là c’est un peu too much » ou « celle-là est intéressante« . Pour moi, c’est de la production! Je ne vois pas la production musicale de façon très traditionnelle, je pense que tout le monde peut être producteur à condition d’avoir une opinion qui compte. J’essaye d’avoir une attitude ouverte, ésotérique et excentrique à ce sujet. Je suis producteur du disque, ce qui est plutôt vrai je pense, et il y a quatre assistants-producteurs: mon manager, ma copine, Beck et Chris Taylor.

A quoi ressemble la configuration live pour cet album? Y a t-il de nouveaux instruments, de nouveaux personnages par rapport à la tournée précédente?

Oui, il y a eu des évolutions. Au début, c’était moi et trois autres mecs. Trois gars de New-York avec qui j’ai commencé à jouer. C’était plutôt batterie, synthés, guitare, samples et basse, et maintenant j’ai un clavier et un autre batteur. Et tout le monde joue plusieurs instruments sur scène.

Ce sont des nouveaux musiciens qui t’entourent, comparé à la tournée de « JIM »?

Oui, seul Willy B à la batterie est le même, les autres sont nouveaux.

On verra donc quelque chose de neuf sur scène!

Oui, c’est un nouveau feeling! On est proche de la « couleur » de groupe que je voulais. La batterie apporte beaucoup d’énergie, et ils ont tous cette puissance en eux que je recherchais. Je pense que c’est quelque chose qui me caractérise en fin de compte. J’aime que les choses changent, que les sons se muent d’une chanson à une autre. En live, il nous arrive de passer des samples de l’album et de jouer par dessus, et ça sonne vraiment, c’est beaucoup plus ‘fat’! Ce qui est bien aussi avec ce groupe c’est que tout le monde sait chanter. Du coup, les voix sont mises en avant et c’est génial d’avoir des choeurs!

jam3PRINCE! Je pense que c’est une grosse influence pour toi, on va donc en parler un peu… Que penses tu de « 20Ten », son dernier album?

Pour être honnête, je n’ai pas acheté l’album et je ne l’ai pas vraiment écouté. De ce que j’ai pu en entendre, ça m’a paru assez familier, proche des vieux Prince que j’adorais, mais en plus propre.

Oui, beaucoup de morceaux sonnent très frais!

C’est super. Il a donné récemment un concert en Belgique. La copine de mon manager y était et m’a juste dit que c’était…incroyable!

Je l’ai vu également au Main Square festival cet été, mon baptême…

Mais c’est le Maître! Tout à l’heure, tu parlais de professeur. C’est lui mon professeur. Dans ma petite carrière, des gens essayent de piquer des choses que j’ai faites. Parfois tu dis « hey, c’est mon son, dégage!« , mais tu peux aussi te dire « cool j’ai inspiré quelqu’un« . Et plus je vieillis, plus j’essaye de transmettre tout ce que j’ai. Quand j’étais petit, j’écoutais Prince et j’essayais d’imiter ses riffs, de comprendre ce qu’il faisait mais bon… Ca n’a jamais marché! C’est un humain d’une autre espèce. Je pense que tu prends quelque chose chez tes influences et tu le traduis dans ta propre vie. Ça devient toi mais ce n’est pas vraiment toi, tu vois? A ce titre, Prince a ouvert plein de portes…

Et que penses tu de son approche promotionnelle lorsqu’il offre son CD encarté dans un journal?

cita21C’est intelligent. Mais à l’époque, il y avait déjà ce genre de concept. Quand tu donnais un CD dans un magazine, tu gagnais de l’argent pour la publication, et c’était l’unique manière de le sortir. C’était une astuce qui marchait dans les années 80! Je pense que c’est un homme moderne. Il a été dans les premiers à dire « je vais mettre mon disque sur internet, vous n’avez pas besoin d’album physique« . D’une certaine manière, on est sur la même longueur d’onde. Personnellement, je n’aime pas les CDs. Je n’aime pas les disques, parce que c’est encombrant, c’est gros, tu ne peux pas avoir toute la musique que tu veux à n’importe quel moment. Ça n’est pas très pratique. Quand tu voyages, tu ne peux pas tout prendre avec toi alors que tu le voudrais… Même si le son n’est pas excellent, tu t’en fous, tu as tout avec toi! C’est ça qui est important. C’est intéressant de donner son album avec un journal… C’est un peu « cheesy » mais, en même temps, tu fais découvrir ta musique à un maximum de gens. C’est une collaboration intéressante entre deux industries qui se meurent. Les journaux papiers sont en train de se débattre et tout le monde sait que les temps sont durs pour l’industrie musicale. Cela va sans doute aider le journal à se vendre, même chose pour le disque! C’est une idée intelligente, c’est clair.

J’ai lu que tu avais enregistré ta voix pour le morceau « You See My Light » sur un micro pourri d’ordinateur. Peux tu m’en dire plus sur cette petite anecdote?

Oui, c’est un bon exemple de ce qu’est l’album. C’était la première fois ou j’ai eu le feeling pour chanter la chanson comme elle devrait être. Quand tu écris une chanson, au début tu est vraiment excité de savoir à quoi elle va ressembler. Et là, c’était relax, je n’essayais pas de faire une grosse performance. C’est difficile pour moi de capturer ce genre de truc après coup. Chaque fois que j’ai rechanté cette chanson, je n’étais pas satisfait. C’est bien de voir que parfois des sons lo-fi peuvent suffire. On devrait essayer de pas se soucier de ça. J’ai commencé à m’en inquiéter, « JIM » était par exemple un disque high-fidelity pour moi. Et sur « Compass », il y a des moments éclatants comme des moments plus lo-fi comme « You See My Light ». Quand je fais un disque, mon intention principale est de faire quelque chose de personnel, de capturer des moments secrets, ta vision de la chanson dans la réalité. Pas forcément de maquiller tous les sons.


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