Interview – General Elektriks derrière le rideau

Interview – General Elektriks derrière le rideau

General Elektriks sur scène, c’est toujours quelque chose. Ce soir-là, à l’Aéronef de Lille, le claviériste-chanteur Hervé Salters et ses fidèles acolytes étaient venus défendre leur quatrième album ‘To Be a Stranger’, en démontrant une fois de plus que leurs réserves d’énergie étaient encore loin de la zone rouge. Plutôt que de s’attarder en détail sur la genèse du disque, nous nous sommes intéressés aux coulisses de la tournée, levant un peu plus le rideau sur l’être humain et le père de famille qui se cachent derrière ce musicien exceptionnel.

Ecoutes-tu beaucoup de musique dans le tour bus, ou préfères-tu le silence ?

Hervé Salters : On en écoute un peu. Parfois, c’est pour rigoler. C’est-à-dire qu’on va écouter un truc un peu ringard qui va tous nous faire marrer. Sinon, nous sommes cinq musiciens et cinq techniciens dans le bus. De temps en temps, il y a l’un de nous qui veut partager quelque chose qu’il a aimé dernièrement, du coup on l’écoute tous. On peut aussi partir sur des lancées, comme une série de balades brésiliennes ou ce genre de choses… Il peut y en avoir, c’est généralement le soir après le concert, mais ce n’est pas non plus un must. Quand tu passes la journée à faire de la musique, tu as aussi besoin de silence.

Quelle est ta dernière claque ?

La grosse claque, ça a été ‘To Pimp a Butterfly‘ de Kendrick Lamar. J’ai aussi beaucoup aimé le dernier album d’Alabama Shakes. Il y a un super son, une voix démente, et une chouette approche rétro – mais pas tant que ça – qu’ils arrivent à mettre sous un prisme plus actuel. Ce n’est pas Daptone, ils font une musique inspirée par les années 60-70, mais ils en font quelque chose d’intéressant.

Est-ce qu’il t’arrive de réécouter tes anciens albums ?

Ça peut m’arriver, mais vraiment quand je suis obligé, comme lorsque je dois choisir des titres pour des raisons promotionnelles. En fait, à partir du moment où j’ai fini le disque, je suis ravi de le laisser aux gens. Je vais juste l’écouter après sa finition, pour checker le mastering, parce que je suis un peu difficile. Après ça, il y a une période de sevrage où je l’écoute simplement pour me rassurer, puis ça s’estompe, et je ne l’écoute plus.

Comment réussis-tu à prendre du recul ?

Maintenant, quand je les écoute, j’ai un recul que je n’avais pas au moment de les finir. Je ne sais pas vraiment ce que j’en pense, mais en tous cas j’ai la sensation que c’est honnête et inspiré. Ça reflète ce que j’étais à ce moment-là, et j’ai l’impression que c’est du vrai contenu. Il y a à boire et à manger, tu peux y revenir pour te nourrir, ce n’est pas juste un bonbon tu vois. J’en suis plutôt fier, mais je ne sais pas dire si c’est bien ou pas, sachant que la notion de ‘bien ou pas’ n’existe pas en musique. Quand je tombe dessus, je les écoute avec plaisir, je ne les fuis pas ! C’est simplement fini, et je garde surtout avec moi les versions live, car c’est avec elles que je vis…

Est-ce que tu bouquines dans le tour bus ?

Oui ! En ce moment, je lis un livre d’Histoire assez ludique sur l’année 1927 aux Etats-Unis. L’été 1927 est une période assez folle où Lindbergh a traversé l’Atlantique, où il y a eu des meurtres célèbres… C’est un bouquin assez rigolo, écrit par un anglais. C’est une année assez insoupçonnée, le livre est un pavé ! C’est un cadeau de ma belle-mère, qui est américaine. Elle me l’a offert exprès pour le tour bus, comme c’est un livre de références, pas simplement une seule histoire qui te prend par les tripes. Avant ça, j’ai lu un bouquin fabuleux qui s’appelle ‘The Rest Is Noise’. C’est sur la musique classique contemporaine du XXe siècle, sur la manière dont les compositeurs se sont influencés les uns les autres, sur la façon dont ils ont influencé leur société… Très intéressant.

Est-ce que tu écris en tournée ?

Pas vraiment. Parfois, je peux tomber sur un riff en balance, mais je n’écris pas à proprement parler. Je n’ai pas vraiment de temps pour ça, et de toute façon j’aime bien séparer les deux. J’aime être en mode tournée, où on est en bande. Par contre, quand je retourne en studio, je suis plus un loup solitaire, dans ma tanière…

Tu n’es donc pas de ceux qui disent que tes albums sont nés de la tournée…

Pas trop non, mais dans ‘Parker Street‘, il y avait des références à la tournée de ‘Good City For Dreamers‘. Par exemple, ‘Pack Up Your Bags And Go’ est un morceau sur nous en tournée. Voyager, voir des gens, voir des salles, être sur la route… Tout ça crée des sensations qui nourrissent ton inspiration. Mais ce n’est pas nécessairement sur le moment que des idées vont me venir. Je vais plutôt emmagasiner de nouvelles choses qui ressortiront plus tard.

Regardes-tu des films dans les loges avant le concert ?

Non, je ne regarde pas de film, ni de série… Une heure avant le concert, je suis plutôt en train de me chauffer, car c’est un peu sportif sur scène, on a besoin d’être en forme ! Sinon, il y a une partie de l’après-midi qui est passée à faire la balance, une autre pour les interviews, puis une autre à faire des siestes ! J’ai un très mauvais sommeil, et quand tu enquilles date sur date, tu peux accumuler de la fatigue de manière assez violente. J’essaie d’éviter d’être sur les rotules.

Tu ne regardes pas de film, mais as-tu bossé pour le cinéma pendant les quatre ans qui se sont écoulés entre tes deux dernières sorties ?

Oui, j’ai fait la musique du film ‘Arrêtez-Moi Là’ avec Reda Katheb et réalisé par Gilles Bannier, le même réalisateur pour qui j’ai travaillé sur la série ‘Les Beaux Mecs’. J’ai aussi travaillé pour une série sur Arte qui s’appelait ‘Paris’, toujours avec Gilles. Ce n’est pas du cinéma, mais j’ai aussi bossé sur ‘Burning House’, un projet funk hip-hop avec Chief Xcel de Blackalicious.

Qu’est-ce que tu bois en loge, quelle est ta potion ?

Ce n’est pas très rock’n roll : je bois du thé de gingembre frais. Je coupe des petites tranches de gingembre, je mets de l’eau chaude et du miel, et je le bois. C’est revigorant et ça réchauffe. En fait, j’aimais beaucoup le café, mais j’ai dû arrêter la drogue dure (rires). J’ai arrêté pour de sombres raisons de vertiges, et je suis passé au thé du coup… C’est un truc qui se boit beaucoup l’été à Berlin.

Tu es une vraie pile en concert. Que manges-tu avant de monter sur scène ?

Je mange assez léger. Il faut que ce soit un minimum de deux heures avant, sinon je me sens trop lourd. J’évite les féculents, je prends des légumes, une protéine et des fruits, un peu comme un sportif. Quoique les sportifs mangent des pâtes. Moi ça m’alourdit, je n’y arrive pas avant le concert…

Est-ce que vous répétez ou faites des jams dans les loges ?

Ah oui ! Déjà on répète pendant les balances. Ça n’est pas là simplement pour régler le son, on se repasse certains morceaux, et parfois on met en œuvre des idées qu’on a eues après le concert de la veille. Et généralement, juste avant le concert, Eric a une petite guitare acoustique dans les pattes et on se repasse certains morceaux pour se mettre en jambes.

Est-ce que tu sors pour visiter les endroits où tu joues ?

Si j’ai le temps après les balances, les interviews et la sieste, je le fais. Avant, j’y mettais vraiment une priorité. Mais comme j’ai fini très fatigué à la fin de la tournée de ‘Parker Street’, je me suis dit que j’allais moins le faire, ou uniquement quand je ne suis pas trop crevé. Par exemple, hier à Strasbourg, on avait une petite heure donc on est allé visiter la Petite France. Aujourd’hui, je n’ai pas eu le temps.

A ce propos, le titre de ton album ‘To Be a Stranger’ est-il lié à ces tournées, à l’endroit où tu vis, ou à la musique que tu joues ?

L’idée du titre est venue parce qu’il y a un courant textuel sur chacun des morceaux de l’album, qui parle de cette notion de ne plus avoir de racine. Je me suis déraciné depuis 1999, et je suis un étranger depuis ce moment-là. Je le ressens d’autant plus fortement depuis que je suis à Berlin car c’est un autre pays, une autre culture, une autre langue. Cette sensation de ne pas y appartenir est plus forte qu’elle ne l’était aux Etats-Unis. Aux Etats-Unis, c’est plus facile de s’y sentir à l’aise car c’est un pays d’immigration où tout le monde parle anglais. Cette sensation est un mélange de nostalgie et de liberté. Et musicalement, c’est vrai que j’ai aussi l’impression d’être un outsider. A chaque disque, j’ai le sentiment de devoir monter à nouveau sur le ring, pour faire comprendre aux gens ce que je fabrique. Ça ne s’inscrit pas dans un style particulier, je n’appartiens pas à une nation musicale particulière. Je suis un éternel outsider ! Je n’ai pas envie que ce soit autrement, mais ça rend les choses plus compliquées. Il y a un côté sans racine aussi par rapport à ça.

Il est très fréquent que les artistes –essentiellement électroniques – déménagent à Berlin pour s’en inspirer et s’imprégner de l’atmosphère qui y règne. Est-ce ton cas ou avais-tu simplement envie d’y habiter pour d’autres raisons ?

Ce n’était pas spécialement pour choper de l’inspiration à Berlin. De l’inspiration, tu en as à revendre à San Francisco… C’était plus un choix de vie. Avec ma femme, on s’est dit que ça faisait douze ans qu’on était sur la côte ouest et qu’on voulait revenir sur le Vieux Continent. On n’était pas trop sûr de l’endroit, mais pendant la tournée de ‘Parker Street’, on est passé par là et on a vraiment adoré la ville. Ce n’est pas un déménagement musical, c’est plutôt un coup de cœur sur la ville, avec son espace, sa verdure, le côté relax, cosmopolite, très nature et surtout, pas emmerdant. Les gens ne te jugent pas, tu t’habilles comme tu veux. C’est aussi une ville qui est pauvre. Ça peut paraître bizarre, mais c’est assez rafraîchissant d’être dans une ville où l’argent n’est pas central. Aux Etats-Unis, on te rappelle sans arrêt que tu es obligé d’avoir de l’argent. Là-bas, c’est une Bible, il y a réellement un culte de la thune et ça en devient gavant au bout d’un moment. Ça nous fait beaucoup de bien de ne plus être dans cette course, et de se retrouver dans un endroit où l’argent n’est qu’un instrument qui te sert à te payer un café.

La dernière fois qu’on s’est vu, ta femme et tes enfants étaient avec toi en tournée. Est-ce important pour toi ?

Effectivement, je l’ai fait pendant un an, ils m’ont suivi dans le tour bus. A l’époque, mes enfants ont fait le CNED, et ma femme Sarah les aidait. Depuis, ils ont intégré des écoles à Berlin. C’est bien qu’ils soient avec les leurs. Ils étaient prêts à juste vivre en tournée pour le reste de leurs jours, ils ont adoré. Je pense qu’après un an, c’était bon pour eux qu’ils intègrent un milieu social, sans être uniquement entourés d’adultes. Socialement, ça leur a fait faire un bond dément. Ils ont compris la vie d’une manière vraiment différente. C’est aussi important d’avoir une vision un peu naïve et candide de la vie quand tu es plus jeune. Ils ne sont pas là, mais je pense qu’ils nous rejoindront pendant l’été, sur la tournée des festivals.

J’imagine que ça te fait un bien fou de les voir…

Enormément de bien. Devoir les quitter, c’est vraiment le problème avec la tournée. Je vis ça très mal. J’adore le concept de réarranger les morceaux, puis les proposer sur scène, les partager soir après soir avec les gens. C’est un moment très gratifiant et très spécial, même pour quelqu’un de plutôt timide et introverti comme moi. Mais le gros souci, c’est bien de devoir quitter la famille.

As-tu des rituels avant de monter sur scène ?

Oh oui j’en ai. Mais ce sont des rituels qui sont liés à ce que je dois faire, comme mettre mes habits de scène, mes deux stylos dans la poche, ma cravate…

Cette cravate, c’est un vrai objet fétiche, non ?

Oui, c’est la même depuis le début !

Que se passe-t-il si tu la perds ?

Aucune idée ! General Elektriks s’arrête ! (rires) Les différents gestes que je fais pour me chauffer sont aussi une sorte de rituel. Je ne suis pas superstitieux, mais je pense que je l’ai été à un moment. Par exemple, j’avais deux stylos rouges, il fallait absolument qu’ils soient rouges. Un jour, je ne les ai pas retrouvés, et en fait je m’en foutais… (rires)

Est-ce que tu stresses avant de monter sur scène ?

Oui ! C’est du trac. Etre sous les spotlights devant des gens n’est pas un truc que j’adore. Ça peut paraître bizarre vu ce que je fais, mais je l’ai à moitié choisie cette histoire d’être chanteur dans General Elektriks. A la base, ça a commencé comme un défouloir instrumental, puis j’ai fini par faire des démos avec ma voix, dans le but de les filer à un autre chanteur pour le projet. Finalement, je m’en suis chargé. De fil en aiguille, un disque est sorti, Nova a passé le truc, et je me suis retrouvé sur scène devant des gens et derrière un micro. Je n’avais même pas réfléchi à ça. L’idée de me mettre en avant devant des gens n’est pas quelque chose de très naturel pour moi. Il y a donc forcément un trac qui provient de ça. Mais une fois que je suis sur scène, ça s’en va en même temps que le plaisir arrive, donc ce n’est finalement pas si désagréable.

Que se passe-t-il après le concert ? Parles-tu à tes fans ?

Ça dépend des endroits, car certaines salles virent très vite les gens. Il me faut quand même le temps de me sécher, de me changer et de redescendre. Mais généralement oui, je descends sur scène pour aider les gars à replier le matos, et il y a souvent un peu de public qui reste là. Sinon, je vais au stand merchandising. J’aime le contact avec les gens qui me suivent. C’est exactement ce qu’on fait, communiquer avec les gens à travers la musique, les gestes que l’on fait sur scène, et les paroles qu’on échange avec eux après le concert. Ça chauffe le cœur d’une manière assez inouïe de savoir qu’un morceau a été un moment important pour eux, ou qu’ils l’ont joué à leur mariage ! Le fait que des trucs que je fais seul dans ma cave soient partagés par des gens ensuite, je trouve ça génial.

Prends-tu le temps de répondre toi-même aux gens sur les réseaux sociaux ?

Je n’y suis pas tous les jours, mais je le fais, oui ! Je ne suis pas le seul sur le Facebook de General Elektriks, il y a aussi des gens du label qui s’en occupent, mais je réponds aux commentaires et aux trucs plus personnels. C’est un peu moins naturel pour moi. Effectivement, c’est un contact direct, mais ça n’a rien à voir avec le fait de parler à quelqu’un après un concert. C’est plus artificiel pour moi, mais j’ai appris à l’apprécier.

Est-ce que tu débriefes avec la bande directement après le concert ? Est-ce qu’il vous arrive de vous engueuler ?

Oui, mais on ne s’engueule pas ! C’est toujours très constructif. On se respecte trop les uns les autres pour ça. Il n’y a pas de problème d’égo dans General Elektriks. A la base, c’est clair, c’est mon projet. J’écoute les avis de tout le monde, mais si quelqu’un doit trancher à la fin, c’est moi, et tout le monde est d’accord là-dessus. Tout le monde est cool, il n’y a personne avec un canon mal vissé, qui ne dit jamais où il va tirer. On débriefe effectivement sur ce qui a moins bien marché, et sur ce qu’on peut changer ou améliorer dès le lendemain. Ça arrive d’autant plus en début de tournée. Tu fais ta résidence, puis tu démarres les concerts et te rend compte qu’il y a certaines choses qui ne fonctionnent pas aussi bien que prévu. Il y a toujours plein de choses à affiner, c’est très important de débriefer. C’est une chouette formation dans le sens où on s’éclate à faire ça, mais on est aussi tous très sérieux dans ce qu’on fait, sans se prendre au sérieux ! C’est important pour nous de faire de la bonne musique, on a envie de faire un bon truc pour les gens qui viennent nous voir.


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