Interview – Don Nino, sécrétions prohibées

Interview – Don Nino, sécrétions prohibées

En marge de NLF3, Nicolas Laureau poursuit l’aventure Don Niño, un projet injustement méconnu malgré qu’il ait tout juste enfanté de « In The Backyard Of Your Mind« , un des disques les plus audacieux du moment. Si nous n’aurons pas la faiblesse d’y aller du poncif « album de la maturité », le parisien gagne un tout autre statut avec cette sortie aux aspérités d’une profondeur rare. Rencontre avec un vétéran de la musique indépendante hexagonale qui n’a jamais semblé aussi insolent de jeunesse.

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Cinq ans se sont écoulés depuis ton disque de reprises intitulé « Mentors Menteurs ». Depuis, tu es resté actif au sein de NLF3 et, de fait, « In The Backyard Of Your Mind » semble une oeuvre murement réfléchie…

Nicolas: C’est vrai que j’ai pris le temps de le faire, j’ai dû commencer juste après la sortie de l’album de reprises. Je crois que, assez rapidement, je me suis penché sur des idées de maquette, puis j’ai laissé ces matériaux en chantier pendant qu’on était très occupés avec NLF3 entre 2008 et 2011. Petit à petit, j’ai écrit, j’ai enregistré, jusqu’au moment où j’ai considéré avoir suffisamment de matière pour l’album. Plutôt que d’ aller en studio et de tout refaire, je suis parti des maquettes sur lesquelles j’avais tout composé, et on s’est enfermé pour le transformer en album définitif. Il y a toujours un processus entre la maquette et l’étape finale, le studio où tu refais tes chansons, ce moment où tu perds la magie initiale. Je n’avais pas envie de subir cet écueil. J’ai donc décidé de garder la fragilité des maquettes et d’en faire un album. On est parti de ça, et j’ai fait enregistrer la batterie par Mitch Pirès. Luke Sutherland (Mogwai), lui, n’est venu qu’à la toute fin du processus pour faire quelques arrangements, quelques voix, en totale concertation. Ensuite, au montage de la forme définitive avec InFiné, j’avais décidé qu’il n’y aurait que dix morceaux, alors qu’eux souhaitaient inclure un bonus track, un instrumental qui coupe l’album en deux. J’aimais bien l’idée d’un album en deux faces donc, au final, il y a onze morceaux sur les quatorze enregistrés.

Finalement, malgré un processus de production très éclaté, l’album reste relativement homogène. Néanmoins, il y a beaucoup de paysages différents. On sait depuis Prohibition et NLF3 qu’il y a un caractère cinématographique à votre son. « In The Backyard Of Your Mind » contient beaucoup de références, à la fois aux Etats-Unis, à l’Inde et l’Orient mais aussi à la culture européenne. D’où viennent toutes ces images?

cita12Beaucoup d’artistes deviennent des creusets de ce qui nous passionne dans le monde. Le côté indie-rock un peu américain, c’est un point d’ancrage important dans l’évolution de ma carrière, ce qui m’a donné envie de faire de la musique. C’est avant tout ce son plus que la musique de Ravel. Ensuite, en grandissant et en me nourrissant d’autres choses… Tu parlais de musique traditionnelle indienne… Ça fait partie des musiques que j’écoute tous les jours, qui m’accompagnent toute la journée, bien plus que Sebadoh ou Grizzly Bear aujourd’hui. Il y a un processus différent entre mon travail solo et en groupe. En groupe, il n’y a pas de texte. Seul, le texte ne doit pas être anecdotique. Tu parlais de cohérence, elle vient selon moi de l’esprit des textes, de ce qu’ils véhiculent, de ce qu’ils racontent. Quant à la forme globale de cet album… J’aime bien ceux où l’on voyage, où l’on se promène, et où on n’a pas dix fois la déclinaison d’un morceau. Il y a des disques que j’adore dans cet esprit, comme certains The Cure fascinants pour leur façon de décliner dix fois la même chanson de manière subtile. Au contraire, j’ai tendance à éclater et proposer un long voyage.

don7J’ai la sensation qu’il s’agit d’une synthèse parfaite pour toi. Autant les premiers Don Niño laissaient penser qu’il s’agissait d’un projet parallèle, moins primordial que ton parcours au sein de NLF3… Autant celui-ci semble donner une envergure bien plus importante à cette escapade en solitaire…

Je n’ai jamais envisagé Don Niño comme un side-project, comme ce qu’on dit de ces artistes qui « s’individualisent » hors de leur groupe. Peut-être aussi as-tu cette impression parce qu’il y a eu une époque où NLF3 s’est montré très actif, notamment depuis 2008 et l’arrivée de Mitch Pirès où on a fait beaucoup de disques. Ça a relégué un peu ce travail solo à la sensation d’un side-project alors que c’est le premier projet que j’ai fait suite à l’arrêt de Prohibition. Écrire des chansons avec une guitare acoustique, travailler tout seul, de manière introspective, c’était le désir que j’avais à l’époque pour me retrouver face à moi-même. Alors certes, maintenant j’invite des gens, en ce moment on tourne à quatre, c’est donc une expérience qui se transforme presque en projet de groupe. En même temps, ta remarque est justifiée car, sur une échelle de temps et depuis 2008, on n’a pas beaucoup entendu mes morceaux. Tout à coup, cet album sort et condense toutes ces années de… frustration (rires), enfin plutôt de travail invisible, de recherche et d’écriture.

J’ai lu la référence à l’animisme concernant cet album. Cela m’évoque le titre « Mellow To Blossom ». Est-ce que tu peux nous en parler?

cita21Quand on me demande si je prends des substances pour alimenter mes créations, je réponds toujours que je secrète mes propres stupéfiants, comme le poète Matthieu Messagier. Néanmoins, c’est peut-être le seul qui échappe au côté animiste de l’album (rires). C’est marrant que tu le sentes porté vers l’au-delà étant donné que c’est une chanson d’amour, vraiment sentimentale. C’est l’histoire de quelqu’un qui recherche une personne, qui la trouve et devient libéré. Mais il est vrai que, dans sa forme, elle est chargée d’émotions très concrètes.

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Malgré le fait de l’avoir composé en solo, tu t’es entouré de musiciens très proches – Mitch Pirès (NLF3, Married Monk), Lori Chun (Berg Sans Nipple, Turzi), ton frère F. Lor (Dirty Three, Yann Tiersen) et Luke Sutherland de Mogwaï – pour l’enregistrement. Est-ce qu’il n’y avait que des individus de ton entourage qui pouvaient s’immiscer dans cette oeuvre si personnelle?

Mon frère n’a pas joué dessus mais a contribué à sa production. Pour les autres, j’avais le souhait d’utiliser des proto-synthés comme Silver Apples, des ondes manipulées par Lori qui le fait très bien alors que j’en suis incapable. J’avais composé les parties batterie, et Mitch les a refaites avec un beau son. Quant à Luke, il a apporté ce que j’ai défini comme un « vernis céleste ». Nous étions dans une atmosphère très personnelle, introspective, chargée de souvenirs et d’émotions, d’expériences mystiques, et Luke a apporté une lecture de cela.

Il fallait quelqu’un d’extérieur…

Oui, c’était vraiment bien que quelqu’un vienne à la fin pour ajouter son écho par ci par là, sans forcément tout remodeler. C’était un processus original car, d’habitude, tout le monde se retrouve en studio en même temps. Là, ça s’est étalé sur une période tellement longue que cela nous a contraint à imaginer un processus différent. J’en suis vraiment heureux car, au final, ça rend un disque qui me semble un peu hors-norme. Tu me disais le trouver dense: cette densité, je la ressens dans la stéréo mais elle ne semble pas émaner de morceaux complexes à écouter.

don4Tu es signé sur InFiné, le label d’Agoria, initialement axé vers l’electro mais aussi tourné vers des horizons plus divers (Apparat, Cubenx, Clara Moto, Danton Eeprom…). Au final, pouvait-il y avoir  label plus propice à cet album?

Je suis très heureux de le sortir sur InFiné. En fait, Alex (du label) travaille aussi pour Warp en France. Depuis des années, j’ai un contact assez direct avec certains labels anglais comme Warp, c’était donc finalement assez logique qu’on se rencontre et qu’on envisage de travailler ensemble. Ce qui est assez bien, c’est que Infiné épouse un peu les formes de Warp dans la mesure où il vient d’un terrain assez électronique et s’ouvre vers des territoires comme le mien, plus pop, plus rock. Il ouvre des ponts entre ces sonorités. En cela, c’est un label intéressant et passionnant avec un catalogue varié  qui continue de s’ouvrir. Ayant eu un label pendant des années et un background plutôt rock underground, cela nous amène à marier nos sensibilités, nos savoir-faires. C’est un échange dynamique.

Parlons un peu de la scène puisque tu vas partir en tournée. Est-ce un projet qui restera rare en live ou, au contraire, comptes-tu le défendre réellement?

J’ai l’intention de tourner pas mal, mais pas forcément avec la formation avec laquelle nous avons enregistré et allons faire les dates les plus récentes. On va en faire le plus possible mais, pour l’Angleterre par exemple, je pense plus partir en duo, notamment avec Mitch. Cela dépendra surtout des périodes, des disponibilités, et des pays.

Nous avons évoqué NLF3, de cette période prolifique avec la sortie de « Echotropic », « Ride On A Brand New Time », « Beautiful Is a Way To The World Beyond », du ciné-concert, etc… De nouvelles sorties sont-elles prévues? Où en êtes-vous?

Il y a eu un EP collector qui est sorti à la fin 2011 (« Beast Me ») et qui bouclait vraiment cette trilogie. Pour le moment, on se concentre sur mon disque et mes concerts. Cependant, on a une commande de La Cité de La Musique pour un ciné-concert sur « Der Golem » dont la première est prévue le 24 Mai. On le tournera aussi au Festival du film de Bruxelles, au Scopitone. Nous l’avons déjà fait mais, cette fois, nous lui donnons une forme différente car nous invitons Eric Mikkinen (Antilles). Nous serons quatre, et nous sommes heureux de pouvoir le faire ainsi.

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Tu as cité Prohibited Records, ton label. Il y a beaucoup de musique intéressante aujourd’hui, la plupart sur des micro-labels à la situation généralement délicate. La scène musicale n’a jamais semblé aussi riche mais, paradoxalement, jamais aussi en détresse. Toi qui a vécu cette situation, quel regard portes-tu là dessus?

cita31Nous avons vécu cette situation de galère mais, justement, on s’est évité de galérer en prenant le parti de ne plus signer de projet depuis 2003, avec une exception pour Berg Sans Nipple. Juste derrière, on a décidé de lever le pied, de garder la structure vivante avec les disques toujours disponibles, mais on n’a pas pris de nouveaux projets sous notre aile car nous savions que ce serait extrêmement complexe d’assumer simultanément notre travail de musicien et d’assurer un bon travail de label. A mon sens, ça nous a évité de subir cette crise économique que tous ces labels subissent. Clairement, il n’y a jamais eu autant de bonne musique, mais parallèlement, les gens n’ont jamais aussi peu dépensé d’argent pour la soutenir. Selon moi, c’est une équation impossible à résoudre. De fait, j’ai décidé de me concentrer sur l’artistique, sur mes projets dans une dimension économiquement viable. C’est un peu triste mais j’ai donné beaucoup d’énergie, je me suis battu un peu comme un Don Quichotte pendant une dizaine d’années. Je l’ai fait parce que j’étais musicien et que, à l’époque en France, en 93-94, il n’y avait pas encore de labels suffisamment audacieux pour dire qu’un jour, il y aurait un public pour cette musique là. C’était moins évident il y a quinze, vingt ans.

Crédit photos: P.Lebruman


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