10 Déc 15 Interview – Disappears, toujours sur la brèche
Les Disappears ne s’arrêtent jamais. Pour la troisième fois cette année, ils sont venus jouer leur post-rock dystopique en France, et ont enchaîné une quinzaine de dates dans toute l’Europe. Toujours en mouvement, avançant vaille que vaille sur une ligne de crête assez tenue entre rythmes ombrageux et guitares fiévreuses. À l’occasion de leur passage à Dijon, pour une soirée Sabotage dans le sous-sol caverneux du Deep Inside, on a eu le plaisir de taper la causette avec eux, et parler de leur musique, de leur démarche, et des directions où les emmènent leurs inspirations.
Vous avez commencé une tournée européenne à la fin du mois de novembre. Est-ce qu’avec les attentats qui ont lieu à Paris, et leurs conséquences, en Belgique notamment, vous avez dû annuler certains concerts ?
Brian Case : Non. Enfin nous avons quand même demandé à notre agence de booking si toutes les dates étaient bien maintenues. C’est vrai qu’il y a eu des concerts annulés à Bruxelles, mais nous, nous jouions à Kortrijk (pour le Sonic City, N.D.L.R.), donc pas de problème, le public était là, nombreux. Je pense que, malgré ces circonstances tragiques, les gens ont envie de continuer à vivre, de ne pas s’enfermer dans la peur ou la tristesse.
Vous avez été plutôt actifs cette année… Vous avez donné combien de concerts ?
Attends… On a fait trois tournées de deux semaines chacune, plus les concerts ici où là. Ça doit faire 75 concerts cette année.
Et combien de journées à ne rien faire, sans même de la route d’un endroit à un autre ?
Aucune, et c’est tant mieux !
Combien de cartes postales envoyées à la famille ?
Jonathan Van Herik : Aucune, que des emails et Skype. On n’a simplement pas le temps de chercher un bureau de poste, ou même un timbre.
Combien de cuites ?
Brian Case : Quelques-unes…
Damon Carruesco : Pas tant que ça.
Brian Case : Au début d’une tournée, on est tous très en forme, prêts à faire la fête. Mais, au fur et à mesure que les jours passent, nos forces s’amenuisent.
Jonathan Van Herik : Oui, enfin ça dépend aussi de la proximité de l’hôtel !
Et combien de clashs entre vous ?
Brian Case : Pas beaucoup, puis en général ça passe vite.
Noah Leger : Moins que Metallica en tout cas…
Vous êtes un groupe particulièrement prolifique, avec quasiment un album par an depuis 2010. Comment faites-vous pour maintenir cette créativité ? Vous ne faites jamais de pause ?
Brian Case : Si bien sûr mais, en fait, on ne tourne pas comme les autres groupes qui partent généralement en tournée pour cinq ou six semaines. C’est épuisant et, quand vous revenez, vous avez juste envie de ne plus voir personne… Nous, on essaye d’avoir une routine, un rythme un peu différent : des tournées plus courtes, de deux semaines généralement. Et puis, nous essayons toujours de préparer de nouvelles choses pour les concerts, que ce soit en réarrangeant nos anciens morceaux ou en en jouant de nouveaux. Ça nous permet de rester stimulés créativement parlant. Récemment, nous avons fait cette réinterprétation de ‘Low’, l’album de David Bowie, et ça nous a permis d’essayer de nouvelles choses, d’autres manières de composer.
C’est vrai que ‘Low’ sonne différemment, plus classique ou plus apaisé, que vos précédents albums studio. Vous avez cette impression ?
Jonathan Van Herik : Oui, c’est vrai.
Brian Case : Nous voulions donner notre propre version de l’album tout en étant respectueux de l’original. Sur certains morceaux, on l’a joué plus traditionnel, sur d’autres nous avons été un peu plus loin dans la démarche. Je pense aussi que c’est un moyen d’élargir notre audience, de faire découvrir notre musique à un autre public. On devrait encore le jouer quelques fois aux États-Unis, et puis terminer. Ça a représenté beaucoup de travail et, maintenant, je pense qu’on va se concentrer sur notre musique.
Jonathan Van Herik : Mon père est violoncelliste. Je lui disais que c’était très intéressant, et même difficile, d’apprendre et de reprendre un album dans son intégralité. Il m’a répondu que, pour les orchestres jouant des symphonies, c’est exactement la même chose depuis des siècles… Pour lui, notre démarche n’avait absolument rien d’étrange, ou d’exceptionnelle.
Brian Case (ironique) : En somme… il n’a pas été vraiment impressionné !
Il y a une évolution assez perceptible dans votre musique, elle est plus ascétique et répétitive aussi, beaucoup moins formatée ‘rock’ qu’à vos débuts. Qu’est ce qui explique ce changement ?
Je pense que l’une des idées principales qui guide notre façon de faire de la musique, c’est d’aller juste à l’essentiel, sans fioriture. Ce n’est absolument pas par facilité, c’est juste que je trouve qu’en suivant cette ligne directrice, on est meilleurs. On compose en général nos morceaux collectivement : quelqu’un vient avec une idée, et chacun y amène quelque chose.
Il semble qu’en studio, vous utilisez des ‘drum machines’, et pas durant les concerts. Pourquoi ?
Non, en fait, c’est John Congleton, celui avec qui nous enregistrons en studio, qui donne ce son-là à la batterie.
Noah Leger : Je trouve ça bien d’utiliser toutes les possibilités d’un enregistrement en studio, quitte à manipuler un peu les sons… Le live, c’est une expérience différente. Moi ça me va en tout cas !
Justement, comment vous décririez votre collaboration avec John Congleton (producteur de St. Vincent, Swans, Cloud Nothings, Chelsea Wolf et du prochain Sigur Rós, N.D.L.R.) ? Fait-il partie intégrante du processus créatif ?
Brian Case : Absolument. Nous enregistrons la musique ensemble et puis nous discutons de ce que nous aimerions améliorer ou développer, et surtout nous cherchons à bien déterminer ce qui est important dans la chanson. Puis, il disparaît pendant deux heures et revient en disant : ‘voilà, je pense qu’on tient quelque chose de pas mal là‘.
Jonathan Van Herik : C’est quelqu’un de très intelligent, et ça se ressent dans sa manière de produire.
Vos deux derniers albums ont été enregistrés dans les studios de Steve Albini à Chicago. Est-ce qu’il est venu jeter un coup d’œil ?
Damon Carruesco : Oui… Il est toujours dans les parages, à aller et venir, ou en train de jouer aux cartes.
Et vous préparez un nouvel album pour 2016. Il sera dans la même veine que ‘Irreal’ ?
Brian Case : Non… Celui-ci va être différent.
Jonathan Van Herik : Il va plus sonner comme les titres de la face B (‘Warszawa’, ‘Art Decade’, ‘Weeping Wall’ et ‘Subteranneans’, N.D.L.R.) de notre réinterprétation de ‘Low’ ; très atmosphérique, avec des synthés.
Brian Case : Les deux nouvelles chansons que nous jouons lors de cette tournée (’11 Miles’ et ‘Silencing’, N.D.L.R.) sont nos premiers pas dans une autre direction. Mais pour l’instant, c’est quand même assez difficile de savoir à quoi ça va ressembler exactement. On en est encore qu’au début, on rassemble nos idées… On essaye de ne pas être trop rigides sur ce qu’on veut faire, et de laisser les choses venir.
Vos textes sont assez sombres, évoquant un monde plutôt dystopique. Ce sont vos sentiments, vos impressions, ou c’est simplement ce genre d’esthétique qui vous inspire ?
Oui, c’est un peu les deux… Néanmoins, je pense que je suis quelqu’un d’optimiste, j’ai des enfants. Mais je pense qu’à travers ces paroles, j’exorcise certaines choses. J’aime aussi les livres de James G. Ballard ou Philip K. Dick par exemple. Il m’arrive d’aller piocher quelques idées dans leurs textes.
Vous pourriez écrire une chanson joyeuse, voire un peu conne ?
J’en suis incapable je crois. Mais je devrais essayer, peut être que ça cartonnerait.
Comme les Fall Out Boy, célèbre groupe de rock FM (acronyme pour Franchement Merdique, N.D.L.R.) de Chicago ?
Ah non, c’est vrai que c’est affreux… En plus, mon fils les écoute tout le temps. J’avais tendance à être critique envers ce type de musique mais, en fait, ça n’a pas grande importance.
Jonathan Van Herik : C’est aussi une question de marketing et de branding. C’est peut être un truc qu’on comprend en vieillissant. Mais, devenir célèbre et gagner plein de fric, semble changer considérablement sa façon de faire de la musique. Et nous, on aime notre manière de travailler.
Noah Leger : C’est vrai qu’on a trouvé notre équilibre. On a un bon producteur, on travaille avec de bonnes agences de booking : Billions aux États-Unis et Tippex en Europe. J’ai l’impression qu’on a les bonnes connexions pour accompagner le groupe dans ses projets.
Est-ce que vous avez des projets parallèles ?
Jonathan Van Herik : J’ai un projet solo appelé Tooth.
Brian Case : Oui, j’expérimente aussi quelque chose aussi avec Justin Walter, ça s’appelle Bambi Kino Duo. J’y joue de la guitare et du clavier, et lui de l’EVI (acronyme pour Electronic Valve Instrument). C’est très surprenant, c’est une sorte d’instrument à vent, il souffle dedans donc, mais le son produit est électronique.
Noah Leger : Je fais aussi partie de Wrekmeister Harmonies et Electric Hawck, un groupe de métal instrumental.
Il y a quelques jours, vous étiez au Sonic City Festival, avec les Suuns. Vous semblez avoir des goûts en commun avec eux…
Brian Case : Oui, on a tourné avec eux aux États-Unis et au Canada l’an dernier. Ça s’est super bien passé.
Jonathan Van Herik : Ce sont des amis tout simplement…
Brian Case : Et c’est vrai qu’on a des idées assez similaires sur la musique.
Oui, justement, est-ce que ça vous agace que les filles trouvent leur musique plus sexy que la vôtre ?
Je n’ai jamais entendu ça de ma vie…
Damon Carruesco : Ah si ! Leur musique est sexy. Excitante même !
Jonathan Van Herik : Hmm… Ça doit être à cause de notre côté dystopique ça.
Brian Case : Bon ok, pour nos nouveaux morceaux on va se concentrer là-dessus : faire plus sexy que les Suuns.
Photo Goupe – Vincent Arbelet
Remerciements – à l’équipe de Sabotage (et particulièrement Boris), Guillaume et Étienne de chez Tippex, Chantal pour son sens O’Pesto de l’accueil, Vincent et Françoise.
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