
02 Juin 14 Interview – C.A.R., acronyme en eaux profondes
Trois ans que les cendres de Battant se sont dispersées. La belle escapade, tragiquement avortée par la mort de Joël Dever, s’est arrêtée après ‘As I Ride With No Horse’, deuxième disque difficilement défendu sur scène par Chloé Raunet au regard des circonstances. Quiconque a vu le Battant originel (à l’époque, en trio avec Timothy Fairplay) peut se souvenir du magnétisme généré par les deux inséparables. L’histoire aurait pu s’arrêter en 2011, après le drame. Mais l’artiste, soutenue par son ami Ivan Smagghe et le label Kill the DJ, est revenue plus inspirée que jamais en début d’année. Voici C.A.R. comme Choose Acronym Randomly, le nouveau projet de cette Canadienne de Londres, Chloé Raunet.
La dernière fois que je t’ai vu, le contexte n’était pas très heureux. C’était l’un de tes premiers concerts avec Battant depuis la mort de Joel. Tu jouais ‘As I Ride With No Horse’ avec un backing band. L’impression que j’ai eu était étrange, tu ne semblais pas très liée ni à l’aise avec tes musiciens, et loin d’être heureuse de faire cette tournée. Tu t’en souviens?
Je me souviens très bien de cette nuit et, oui, tu as sûrement raison. C’était un moment difficile pour moi. Je ne connaissais pas ces mecs avec qui je jouais, on n’avait pas grand chose en commun, et il n’y avait pas beaucoup de connexions entre nous. Je pense que j’étais un peu hébétée, je faisais en sorte de faire face mais j’étais relativement déconnectée de tout.
Cette nuit-là, tu me disais déjà vouloir passer à autre chose, te lancer dans un autre projet. Était-il déjà question de C.A.R.?
Ah ouais? J’imagine que oui, mais pas de manière concrète. Aussi loin que je me souvienne, le nom de C.A.R. est venu il y a peu près un an, juste avant la sortie de mon premier EP, ‘Laïka’. Je l’avais écrit et j’avais mixé les titres sous un autre nom. Le soir du concert dont tu parles, je devais déjà avoir commencé à écrire de nouveaux morceaux mais au final, je n’en ai gardé aucun.
Ces nouveaux travaux sonnent comme si, pour la première fois, tu parvenais à réunir toutes tes influences. Cela n’a rien de péjoratif pour Battant mais j’ai l’impression que C.A.R. t’appartient vraiment. Qu’en penses-tu?
Oui, Battant a toujours été co-écrit: ‘No Head’ avec Tim Fairplay, et ‘As I Ride…’ avec Joel. Je crois que c’est normal que mon travail solo soit plus intime et reflète un peu plus de ma personnalité. J’ai appris beaucoup avec les années. Mais même si j’aimerais l’être, je ne suis pas totalement affûtée, j’ai encore pas mal à apprendre.
À quel point la présence d’Ivan Smagghe influe t-elle sur ton travail?
Au-delà du mixage de l’album où il était avec moi au studio, et celui de ‘Spitfire’ que lui et Tim Paris ont fait à Londres, il n’a pas vraiment d’emprise sur le projet. Enfin, je lui joue mes morceaux et lui demande conseil, mais cela ne va pas plus loin que cela.
Les deux EP’s de C.A.R. sont très différents. Tu peux expliquer ce fossé assez conséquent qu’il y a entre les deux?
Peut-être que le premier EP était comme une transition nécessaire après Battant, mais je ne voulais pas faire la même musique constamment. Après tout, c’est mon projet. J’écris des titres d’une manière très naturelle, qui reflète mon humeur du moment. Je ne commence jamais sur un titre avec un son particulier en tête, donc cela varie en effet de titre en titre et heureusement! Pourquoi s’enfermer dans un registre?
Tu t’es toujours inspiré d’un spectre d’influences très large. C.A.R. fleure particulièrement ta ville, Londres, mais aussi la littérature américaine. Tu en es consciente?
Oui, évidemment, je me nourris du monde qui m’entoure. Je vis dans un quartier très actif de Londres et j’ai une belle vue depuis la fenêtre de mon studio. Pour trouver l’inspiration, il me suffit de regarder dehors à n’importe quel moment de l’année. En ce qui concerne la littérature américaine, et notamment Jim Dodge ou Craig Clevenger, je pense qu’elle a plus influé sur le dernier Battant. C.A.R. est vraiment intime. ‘A Ticket’ parle avant tout de Londres, de ses excès. Peut-être qu’il y a un caractère américain avec ce piano honky tonk mais il serait plus question de Coney Island, sa roue, avec ce tournoiement incessant.
Je n’ai pas encore vu un concert de C.A.R. mais j’imagine que la configuration est minimale. D’ailleurs, hormis la tournée de ‘As I Ride…’, tu as toujours joué avec le moins d’équipement possible. Est-ce une manière d’abstraire le plus possible tes chansons de tout artifice?
Je joue avec mon partenaire de crime, Thor. Il contrôle Ableton, fait les choeurs et joue un peu des claviers midi. De mon côté, je chante, je joue du synthé et du drum pad. En effet, c’est minimal, mais c’est plus une question de logistique qu’autre chose. Je pense que la prochaine étape sera d’avoir un batteur et, enfin, ce serait génial d’avoir suffisamment de mains pour tout jouer en live.
Tu as enregistré une version de ‘La Petite Fille du 3ème’, écrite et chantée à l’origine par Christophe. Ce choix me fascine car la narration de ce titre est très cinématographique, sa mélodie est anxiogène et la voix de Christophe accentue le côté drame. Ta version n’est pas si différente, c’est presque la chanson idéale pour toi qui aime jouer avec la voix…
Quand j’ai eu l’occasion d’enregistrer une reprise, je voulais vraiment faire quelque chose en Français. Je suis sur un label français, je travaille pas mal en France, mais je n’arrive pas à écrire autrement qu’en anglais. Je m’appuie trop sur les métaphores, l’imagerie, les nuances et les double-sens. En français, c’est trop compliqué. J’ai toujours aimé ‘La Petite Fille du Troisième’. Pour moi, les paroles sont très sombres. Il y a cette double lecture, du moins c’est la manière dont je l’interprète, ce vide, ce jugement, cette malice, cette mélancolie. Cela en dit long sur les tourments de l’expérience humaine, et je reconnais que cette guitare se traduirait bien par les synthés. Je pouvais vraiment jouer avec cette tension progressive, cette manière dont la mélodie s’accorde avec les mots.
Parlons de ta voix justement. La tienne est souvent comparée à celle de Siouxsie. En ce qui me concerne, elle me rappelle beaucoup celle de Mona Soyoc de Kas Product. Où as-tu appris ces variations vocales?
Je suis consciente de ma voix depuis très longtemps car je ne suis pas vraiment une ‘chanteuse’ littéralement parlant, mais désormais je la vois plus comme un instrument unique. Je n’ai peut-être pas la plus puissante des voix, mais au moins elle m’appartient. Il y a tellemeeeeeent de groupes un peu électroniques, menés par des nanas avec de très belles voix qu’à la fin tout commence à sonner de la même manière, et c’est chiant. Je laisse consciemment ces imperfections dans mon chant, histoire de rester un peu punk et DIY.
Tu continues de jouer avec ta voix dans ‘Latete Atoto’, une très bonne émission de radio dans laquelle tu mixes. Comment tu ressens le fait de parler à des inconnus en jouant ta programmation?
Ça dépend vraiment des jours. Je suis vraiment esclave de mes humeurs, et je peux vraiment être renfermée. Ces derniers temps, je ne parle pas beaucoup. NTS est une super station et je peux simplement jouer mes disques si je ne suis pas d’humeur à parler. La sélection parle d’elle même. C’est plus facile quand Kristina (ndlr: productrice et co-animatrice) est dans le studio avec moi. On plaisante plus facilement.
‘Latete Atoto’ est aussi un fanzine. Quel est son contenu?
C’est toujours centré autour d’une mix-tape que tu peux scanner et/ou télécharger via un code-barre ou une adresse URL. C’est très abstrait, il y a des petits poèmes, des songes, des histoires basées autour des chansons. Kristina est allée en école d’art donc elles dessine les images et dessine le cadre. On n’en a pas fait depuis un moment d’ailleurs.
Tu connais une blague de Toto?
0+0=la tete a toto
Kill the DJ a réussi à créer une large communauté de fans, et le label jouit d’une image très familiale. Toi qui est originaire du Canada, à quel point ton label est-il important à tes yeux?
Je suis parti du Canada à 14 ans donc, de ce côté là, ça va, je n’ai pas plus d’affinités avec le pays. J’ai passé mon adolescence et ma vie d’adulte en Angleterre, Londres est sans aucun doute ma maison. Toutes ces années, Kill the DJ m’a sans cesse soutenu, m’offrant la liberté d’explorer différentes voies musicales. Ils m’ont offert des opportunités que je n’aurais pas eu autrement, et je suis extrêmement reconnaissante pour ça.
‘HIJK’ a été joué durant le défilé automne/hiver de Hermès. La mode et la musique sont étroitement liées. D’ailleurs, pas mal de gens disent apprécier ta manière d’être alors que tu te considères comme un garçon manqué? La mode est-elle importante pour toi?
Le style est important pour moi. J’ai le mien, c’est clair, mais il ne faut pas confondre style et mode dont je ne sais pas grand chose. Ce n’est pas quelque chose que je suis.
Musicalement, il y a des artistes qui t’ont accroché récemment?
Golden Teacher sur Optimo est un de mes nouveaux groupes préférés. Il faut les voir jouer en concert! Mais je ne suis jamais fatiguée d’explorer de vieux disques aussi. Mes goûts sont vraiment variés. Si ça vous branche, écoutez Latete Atoto sur NTS un de ces quatre pour voir ce qui passe dans ma stéréo.
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