13 Avr 10 Interview – Brain Damage, processus évolutif
En mars dernier, Brain Damage tapait une nouvelle fois un grand coup sur la scène dub française et poursuivait sa perpétuelle évolution avec un nouvel album intitulé « Burning Before Sunset ». Martin et Raphaël, les deux stéphanois maîtres à penser de l’entité, y sont rejoints par un Black Sifichi qui s’impose désormais quasiment comme le troisième membre d’un groupe qui chatouille le cérébral autant qu’il titille les émotions. Puisqu’on n’avait plus eu l’occasion de discuter avec eux depuis 2005, Martin nous offre une mise à jour aussi concise qu’intéressante en répondant brièvement aux quelques questions qui s’amassaient en nous ces dernières années.
La dernière fois que nous vous avons interviewés remonte à 2005. Il s’est passé beaucoup de choses pour vous depuis, notamment la sortie de plusieurs albums. Qu’est-ce qui a vraiment changé pour Brain Damage depuis 5 ans?
Martin: Mieux vaut peut-être se concentrer sur ce qui n’a pas changé: notre volonté de nous remettre régulièrement en question artistiquement!
Vous avez notamment mis les pieds dans un genre qui ne vous lâche plus depuis, le « spoken dub » avec votre album « Spoken Dub Manifesto » sorti en 2006. Pourriez-vous revenir sur la genèse de ce projet? Avez-vous pensé lors de sa création à des artistes du mouvement « Dub Poetry », comme LKJ?
Nous avons bien sûr pensé au mouvement « Dub Poetry », mais sans pour autant nous en inspirer. Par contre, notre première collaboration avec Black Sifchi sur l’album « Ashes To Ashes » en 2004 à été déterminante. L’intégration du « spoken word » à notre musique nous a tellement séduit que nous avons cherché à décliner l’idée, en travaillant avec des poêtes d’origines diverses. C’est un vrai plaisir pour nous de travailler avec des texture de voix, des langues différentes, et des textes aussi séduisants. Merci encore à eux pour leurs contributions.
Un autre aboutissement a été la sortie de l’album « Short Cuts » en 2008, terminant de donner à votre musique un aspect très conceptuel. Vous vous inspirez dans cet album de l’approche de The Residents dans « Commercial Album » sorti en 1980. Comment est née cette idée d’enchaîner une multitude de titres très courts?
Nous vivons une époque où la vitesse, le rendement, et l’accessibilité sont prédominants, à plein de niveaux différents, comme une sorte de zapping permanent. L’idée de jouer avec le format de notre musique nous a parue intéressante. Le format court, en l’occurrence… Essayer de dire l’essentiel en un minimum de temps, pour voir quels genre de sentiments pouvaient en découler, tant au niveau de la création que de la perception. Au final, ça donne du bon, comme du moins bon: de la fluidité, de la richesse, de la diversité, mais aussi de la frustration et de la superficialité parfois…
Finalement, depuis le début de votre carrière, vous avez évolué en vous éloignant progressivement du dub traditionnel. Pouvez-nous nous parler de vos influences, et des artistes qui vous ont vraiment marqués, venant du dub et d’ailleurs?
Le côté « traditionnel » n’est pas celui qui nous attire dans le dub, mais plutôt son caractère évolutif. Nous l’avons toujours proclamé. Je crois qu’en en restant figé, tout style artistique risque de finir poussièreux dans un musée. Fort heureusement, depuis sa création, le dub a subi tant de mutations qu’il est encore en vie à l’heure actuelle. A notre échelle, nous nous efforçons d’apporter notre petite pierre à l’édifice de son évolution. Etant donné également, bien entendu, que bon nombre de nos morceaux ne sont absolument pas du dub. Quant aux artistes qui nous ont influencé… La liste serait trop longue…
Venons-en maintenant à votre nouvel album, « Burning Before Sunset« , qui présente la caractéristique majeure d’avoir été entièrement enregistré avec Black Sifichi, qui vous suit donc depuis « Ashes To Ashes/Dub To Dub ». Pouvez-vous nous parler de cette collaboration et de ce choix de ne faire apparaître que sa voix à lui, quand vous multipliez les featurings sur vos précédents opus?
Il est une nouvelle fois question de cette idée de changement. Nous avions de plus en plus tendance à nous entourer de nombreux intervenants sur les albums précédents . Pourquoi ne pas briser cela? Le postulat de départ était de tout faire à deux, en intégrant en filigrane les poèmes de Black Sifichi, toujours aussi splendides à nos yeux. L’idée était d’obtenir un album beaucoup plus monolithique que les précédents.
« Burning Before Sunset » semble raconter une histoire, extrêmement sombre et anxiogène au départ, puis beaucoup plus douce et apaisée à partir du titre « Possibility Of Love ». Qu’avez-vous voulu faire passer au travers de ce disque et de cet agencement particulier des titres?
Comme je viens de le dire, l’idée était d’obtenir un album beaucoup plus monolithique que les précédents. Par contre, pour pallier à une éventuelle platitude, le rythme des morceaux devait être un minimum pensé. Sombre et anxiogène au départ, puis beaucoup plus doux et apaisée ensuite: oui, c’est à peu près ça. On a plutôt tendance à faire l’inverse d’habitude, alors bon… Encore une fois… pour changer… Pourquoi pas?
Votre musique est résolument cinématographique, et « Burning Before Sunset » en est peut-être la plus belle illustration. Aimez-vous le cinéma? Est-ce pour vous une source d’inspiration? Quels sont les films qui vous ont marqués?
Justement, un ami qui travaille dans le cinema m’a dit l’autre jour: « toutes les musiques sont cinématographiques« . Plus j’y réfléchis, plus je pense qu’il n’a pas tort… J’adore le cinema. J’essaie de voir un maximum de choses, qui m’influencent forcément dans tout ce que je dis, ce que je pense, et ce que je fais. Quant à ce qui m’a vraiment marqué dernièrement… Je pense que Jim Jarmush vient de réaliser l’un de ses meilleurs films avec « Limits Of Control ».
Etes-vous inspirés par d’autres formes d’arts, comme la photographie, la peinture, la littérature, etc.?
Même chose, je lis énormément. Comment ne pas en être inspiré d’une manière où d’une autre? Mais je crois en effet que bien d’autres choses nous influencent. Nous avons la chance de voyager de plus en plus, nous nous efforçons de prendre le temps de découvrir, même brièvement, ce que les pays que nous traversons ont à nous offrir, que ce soit des musées, des monuments, ou même la cuisine locale! Et je ne parle pas bien sûr des différentes rencontres que nous y faisons également. Ta question portait sur l’art, je crois, donc c’est autre chose.
Vous utilisez de nombreux instruments, notamment la harpe, ce qui donne une tonalité très particulière à votre dub. Pouvez-nous nous expliquer comment vous composez?
Heu… Non. Hélas, nous n’avons pas de règle, c’est différent à chaque fois. Pour ce dernier album, nous avons beaucoup travaillé avec du virtuel, mais également avec des prises de sons électro acoustiques pour les ambiances sonores. Mais nous n’avons fait que très peu de prises instrumentales finalement. A part les basses, bien entendu.
On qualifie presque systématiquement votre dub de « cérébral ». Etes-vous d’accord avec ça? Lorsque vous composez, êtes-vous autant dans la réflexion qu’on pourrait le croire?
Pour ma part, oui. C’est moins le cas pour Raph. C’est donc équilibré en quelque sorte. Sur scène, en revanche, aucun de nous deux n’est cérébral!
Vous avez déjà sorti plusieurs albums, un album live, réalisé de nombreuses tournées. Que nous réserve Brain Damage pour la suite?
Si seulement on le savait!
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