Interview – Bibio, l’enchanteur

Interview – Bibio, l’enchanteur

En juin dernier, nous découvrions avec un plaisir non dissimulé le producteur Bibio, américain exilé en Angleterre, grâce à la sortie de son quatrième album, «Ambivalence Avenue» sur Warp Records. Un album au son enchanteur et hybride dans lequel rythmes hip-hop et tranquillité bucolique, électronique et folk se côtoient allègrement autour de chants d’oiseaux et de bruits d’eau et de vent. Face à une telle créativité, nous ne pouvions que brûler d’envie de découvrir le secret de Mr Stephen James Wilkinson. Rencontre avec un musicien-philosophe dépassant l’opposition nature/culture.

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Pourrais-tu revenir sur ton parcours musical jusqu’à la composition d’«Ambivalence Avenue»?

Je considère que ma carrière a commencé officiellement en 2004 quand j’ai signé avec Mush Records, un label basé à LA  et couramment associé à l’abstract hip-hop. Mon premier «Fi» est sorti sur Mush en février 2005. Un an plus tard, j’ai sorti mon deuxième album «Hand Cranked», puis j’ai terminé mon contrat avec Mush par un troisième LP, «Vignetting The Compost» et un EP, «Ovals & Emeralds». J’ai commencé à écrire «Ambivalence Avenue» quand j’habitais à Londres, où j’étudiais les Arts Sonores.

Pourquoi as-tu choisi de quitter Mush Records pour rejoindre Warp? Est-ce lié à ton amitié avec Clark et Boards Of Canada?

Comme je disais, mon contrat avec Mush touchait à sa fin. Je pense que j’aurais pu poursuivre ma carrière avec eux, mais je voulais signer avec un label anglais pour plusieurs raisons. Warp est un label de rêve. J’ai toujours voulu être chez Warp. Et je pense en effet que Clark en particulier m’a beaucoup aidé à me faire entendre auprès du label.

Selon toi, quels sont les meilleurs adjectifs pour décrire Warp?

Singulier, qualitatif… Un diamant brut!

Pourquoi avoir choisi d’appeler ton album «Ambivalence Avenue»? Qu’est-ce que cela signifie pour toi?

La musique a un lien très fort avec l’émotion humaine. Les émotions ont été explorées, et continuent à être explorées par la musique. Se sentir ambivalent peut constituer quelque chose de très fort, cela peut être vraiment mémorable et étrange… Et finalement, ma musique a émergé d’expériences mystérieuses que je ne pourrais pas décrire autrement que par le terme «ambivalentes».

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Tu composes avec du vieux matériel et des instruments vintage. Comment procèdes-tu et comment parviens-tu à créer ce son si riche?

J’utilise à la fois du matériel récent et plus ancien. J’ai un Mac et des logiciels, mais j’utilise aussi des magnéto-cassettes, des samplers (anciens et modernes), une table de mixage bas de gamme, un synthé analogique, une vieille pédale delay, des cassettes, des dictaphones, quelques micros vintage etc. Par exemple, je pourrais enregistrer un morceau composé à partir de guitares, basses, synthés etc., le tout par ordinateur, et ainsi avoir les moyens d’arranger, de couper les sons, et de faire tous ces trucs que l’informatique te permet de faire. Mais en définitive, je procède rarement comme ça. La musique composée ou enregistrée par ordinateur est souvent si stérile et lisse que je préfère produire des morceaux plus personnels à l’aide d’amplis de guitare, d’enregistreurs cassettes, de filtres, d’effets reverb, de haut-parleurs, de dictaphones etc. Une des choses les plus spécifiques que j’ai faite a été d’enregistrer un morceau de guitare lu sur un magnéto avec haut-parleur intégré et suspendu à un arbre par une corde. J’ai attendu un peu et laissé le magnéto se balancer comme s’il jouait réellement l’enregistrement de guitare, créant ainsi un effet 3D progressif et tourbillonnant. Je me suis ensuite assis en dessous avec deux micros binauraux aux oreilles pour enregistrer le résultat sur MiniDisc. J’adore faire des trucs comme ça! On retrouve cette expérimentation sur le titre «Flesh Rots, Pip Sown» de «Vignetting The Compost», mais cela ne constitue qu’à peu près 0.1% du matériel sonore de cette chanson! Tout est une question d’instinct. Si je considère qu’un son a besoin de quelque chose en plus, je connais des moyens pour y parvenir. Je ne possède pas beaucoup de matos pro, par contre pas mal de vieux matériel et de matos hi-fi classique.

Tes compositions ont un côté très «écolo» et contiennent beaucoup de sons naturels. De plus, ton pseudo Bibio est une référence à un insecte. Comment expliques-tu que ta musique soit tant imprégnée par la nature?

La nature est quelque chose de merveilleux et mystérieux, ce que tu étudies le plus, ce qui t’impressionne le plus. Je suis aussi très philosophe. Je pense beaucoup à l’existence, à la beauté, à la vie, à l’amour… Et pour moi la nature contient tout cela.

Est-ce que cette proximité avec la nature dans ta musique influence ton mode de vie?

C’est impossible de ne pas être influencé par la nature. Les humains sont la nature, tout comme les pierres, l’air etc. Tout cela n’est qu’un seul et même univers. Nous ne sommes qu’une facette de l’univers, nous ne sommes pas indépendants de lui. C’est pour cela que je n’envisagerai jamais mon existence en dehors de la nature.

Au-delà de cet aspect, ta musique a aussi un côté très urbain, perceptible dans tes titres électro et hip-hop. Qu’est-ce que ces influences issues de la «street culture» représentent pour toi?

Je vis en banlieue et ça a toujours été le cas. J’ai donc toujours habité près de la ville, entouré par des citadins. Mais je ne me reconnais pas dans ce que l’on appelle la «street culture». Je trouve que c’est seulement un terme à la mode qui est beaucoup trop utilisé aujourd’hui. Pour moi, la musique c’est la musique. Le hip-hop n’est qu’une appellation. D’ailleurs à la campagne, les gens ont l’électricité, donc qu’est-ce que la musique électronique a à voir avec les villes, les rues et les buildings? La musique est humaine, peu importe le lieu où tu habites.

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Je trouve que ton titre «Fire Ant» contient l’influence des productions de Jay Dee, mais en l’écoutant, on peut aussi penser à plusieurs groupes de hip-hop US comme Gangstarr. Pourrais-tu revenir sur l’histoire de ce morceau?

J’aime le sampling depuis de nombreuses années. Je pense que le sample est la plus grande invention musicale de tous les temps. Le travail de gens comme J Dilla n’est à mon sens que l’extension d’une forme d’art qui relève du sampling. Sans forcément que ce soit du hip-hop, j’aime la musique qui me fait hocher la tête. Pondre un beat qui arrive à faire bouger les têtes des gens est une forme d’art, et beaucoup de ces groupes des States sont des pionniers en la matière. Mais cela remonte à beaucoup plus loin. Quand tu écoutes de la soul des années 60 et 70, tu entends du hip-hop… Pour moi, les productions des sixties et des seventies, c’est la crème de la crème. Mais il y avait aussi à l’époque de la merde totale, et à côté de ça des pionniers, des gens fous qui faisaient des trucs de fous. Pour «Fire Ant», je suis parti d’un enregistrement de guitare que j’ai découpé et réarrangé. Au départ c’était juste comme ça, pour m’amuser, jusqu’au moment où j’ai réalisé que c’était de la musique tout à fait sortable! De toutes façons, on devrait toujours faire de la musique pour le plaisir.

Dans ton nouvel album, tu parviens à mélanger de nombreuses influences différentes pour créer un son vraiment original. Que penses-tu des styles musicaux? Penses-tu que les classifications entravent le processus de création?

Je ne suis pas du genre à raisonner en termes de styles. J’aime juste la musique. Je me fiche complètement de comment on la nomme. Certains ne peuvent pas écouter de la musique s’ils ne parviennent pas à l’identifier clairement. Mais c’est comme ne pas être capable de profiter d’une promenade dans un parc parce qu’on ne connaît pas le nom des arbres…

Tu as déjà collaboré avec Clark. As-tu des projets prévus avec d’autres artistes, signés sur Warp ou pas?

J’aimerais beaucoup. Je suis suffisamment occupé en ce moment mais je voudrais vraiment, même si rien n’est planifié pour le moment…

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