27 Avr 11 Interview – Aucan, mutation par l’hybride
Ce n’est pas une surprise pour qui suit Aucan depuis ses débuts, son premier album éponyme comme le maxi « DNA Ep » ne s’étant pas privés de souligner la personnalité grandissante de ces italiens trop rapidement comparés à Battles à leurs débuts. « Black Rainbow« , deuxième album très attendu par tous, aura confirmé la direction prise récemment, quitte à lâcher une partie de son public rock au profit d’un autre, plus attiré par le monde électronique, et plus particulièrement ce galopant dubstep qui n’en finit plus de sévir en Europe. Toujours plus fort sur disque comme sur scène, le trio proposait de le vérifier début mars à La Flèche d’Or, à l’occasion de la quatrième édition des soirées Mind Your Head initiées par vos humbles serviteurs. Giovanni, Francesco, et Dario répondent à nos questions.
Ca fait plus d’un mois maintenant que « Black Rainbow » a été publié. Comment vous sentez-vous, et comment le public a t-il réagi à cette évolution musicale?
Jusqu’à maintenant, nous n’avons fait qu’un seul concert en Italie. La « release party » s’est tenue à Milano. C’était une belle façon de commencer la tournée, et la réponse du public a été super. L’album a également été très bien accueilli par la presse spécialisé: nous avons eu des chroniques très positives en Italie comme dans toute l’Europe, comme par exemple la couverture de Noise Mag en France! Nous sommes donc très satisfaits!
Est-ce que, d’un point de vue musical, vous avez atteint ce que vous cherchiez à obtenir? Êtes-vous satisfaits du travail accompli?
En réalité, le résultat est très différent de ce à qu’on s’attendait. Seul le titre « Black Rainbow » existait déjà avant qu’on commence à composer ce disque. Pour le reste, nous nous sommes uniquement laissés guider par la musique.
A partir de quoi et quand Aucan considère donc avoir terminé un morceau?
Tant qu’un titre n’est pas définitivement enregistré, il peut changer jusqu’à la dernière seconde. En général, on le valide donc définitivement au moment du mixage.
Le Ep « DNA » a finalement été une très bonne introduction à « Black Rainbow ». On pourrait même dire qu’il s’agissait presque d’un test. Est-ce que les bonnes chroniques de ce maxi vous ont incité à persévérer dans cette voie?
Même s’ils sont liés entre eux, « DNA » et « Black Rainbow » sont assez différents. Et en tous cas, nous nous ne sommes pas laissés influencer par la presse. L’album n’est certainement pas une version plus longue de « DNA », mais une suite!! On a plutôt pris en considération les réactions du public pendant les concerts: on avait proposé beaucoup de nouveaux morceaux en live, et les gens réagissaient, semblaient être enthousiastes!
Passons aux guitares. Elles sont nettement en retrait cette fois. Est-ce une décision que vous avez prise avant de commencer à enregistrer?
La chose la plus intéressante, c’est que nous n’utilisons pas d’amplis, ce qui fait le son est beaucoup plus électronique, plus dissimulé. Les guitares sont donc toujours là, mais elles sonnent presque comme des synthétiseurs.
On vous entend même aller puiser dans le hip hop. Comment en êtes-vous arrivés là? N’y avez-vous pas senti comme un risque?
Non, je ne pense pas que c’était risqué. C’est souvent via le hip hop que les choses les plus intéressantes arrivent en musique. Il suffit d’écouter Dalek ou Cannibal Ox pour en être persuadé.
Qu’appréciez vous dans l’approche de tels groupes?
Leur côté noise. Des groupes comme eux, mais aussi comme CloudDead sont apparus durant les années 90 en mélangeant vibe hip hop, arrangements bruitistes, une ambiance sombre, et une atmosphère profondément émotionnelle. Ils ont enrichi le hip hop pur et dur via une approche beaucoup plus instrumentale. Quasiment au même moment, des groupes européens comme Massive Attack ou Portishead utilisaient les beats hip hop au profit du trip hop. Ces deux manières de repenser la culture hip hop nous ont beaucoup marqués.
La presse vous a souvent critiqué pour vos ressemblances avec Battles à vos débuts. Maintenant, certains vous considèreraient presque comme des opportunistes à suivre la mode dubstep. Qu’avez vous à leur répondre?
On était très jeunes quand on a sorti notre premier disque. C’était le premier album, et c’est sûr qu’à cette époque Battles nous a influencés. Mais c’est normal, ils ont joué un tel rôle au sein de la musique électronique et instrumentale! Pour « Black Rainbow », le discours est différent. Nous ne sommes pas des Djs dubstep, mais un groupe qui joue une musique hybride, entre electro, rock, rap, et dubstep effectivement. Nous ne nous fixons pas de limite. On ne veut surtout pas devenir un groupe qui se cantonne à un seul genre. C’est trop dangereux, c’est le meilleur moyen de disparaitre quand un style de musique ne fonctionne plus. Nous, nous voulons être éternels! (rires)
Cette approche est pourtant à double-tranchant: soit le groupe est libre, réussit tout ce qu’il entreprend, et ca passe comme une lettre à la Poste dans le cas d’un disque réussi. Soit il s’adapte aux attentes du public, et se reprend son opportunisme dans les dents dans le cas d’un album moyennement accueilli. C’est une autre manière de vous pousser dans vos ultimes retranchements?
Nous sommes prêts à prendre ce risque. Comme nous l’avons expliqué de nombreuses fois déjà, le changement ne se calcule pas. C’est un besoin naturel que l’on ressent en tant que musiciens.
En composant des titres moins complexes cette fois, n’avez-vous pas eu peur d’être moins originaux?
C’est plus difficile de sonner original quand tu simplifies ton travail. On y a donc vu un défi plus intéressant.
Au final, vous vous sentez plus rock ou plus électro?
C’est difficile de répondre à cette question. Normalement, on se considère plutôt comme un groupe electro. Mais nous jouons comme un groupe de rock classique, dans le sens ou nous ne sommes pas trois mecs derrière des ordinateurs. Ce qui donnerait toute autre chose, même en jouant le même disque!
Avez-vous déjà une idée de la direction que vous voudriez donner à votre musique à l’avenir?
A Milan, nous avons eu le plaisir de rencontrer Spex MC, ancien chanteur de Asian Dub Foundation. Il nous a proposé de collaborer avec lui. Après avoir parlé à son manager, nous lui avons donc envoyé un morceau la semaine dernière. Il dit qu’il est à fond dedans. A voir. Ensuite, nous travaillerons sur des remixes, avant de nous remettre calmement à la composition d’un nouvel album… Car en faire un bon, ça prend beaucoup de temps!
Par qui aimeriez-vous être remixés?
(Tous ensemble) Aphex Twin!!
Vous vous imposez un contrôle total de tout ce qui touche au groupe, interviews et captations comprises. Vu de l’extérieur, ça en devient presque paranoiaque parfois. Pourquoi une telle crainte? N’est-ce finalement pas le meilleur moyen d’aseptiser et de fausser sa véritable image?
Ta question est bizarre. Que veut dire « véritable » dans ce sens? Chaque groupe a une image publique qui n’en reflète que certains côtés. On ne donne pas par exemple de photos de nos vacances d’été pour une couverture de magazine. L’année passée, beaucoup de journalistes musicaux – italiens surtout – nous ont envoyé des questions par email, puis ont changé les choses que nous avions dites. C’est un vrai problème. Nous voulons juste nous assurer que notre image reflète ce que nous sommes vraiment. Quant aux captations audio et vidéo de nos concerts… En 1972, Robert Fripp a quitté King Crimson, et a décidé de monter Frippertronics avec la collaboration de Brian Eno. Le but de ce projet était de défendre et de promouvoir le contact humain pendant les performances. Un des points clés était justement de privilégier une écoute attentive en refusant qu’un moment unique et multi-sensoriel, tel que peut l’être un concert, soit enregistré… En 2011, c’est difficile de ré-adopter ces idées radicales et intéressantes du live, mais nous essayons en revanche de défendre cette espèce d’écoute attentive. Regarder un concert sur YouTube n’est qu’une approche fausse et partielle d’un moment que nous considérons comme très important.
Écoutez-vous les mêmes choses ou pas du tout?
Giovanni: Entre nous, il y a un feeling musical, mais nous écoutons des choses différentes. Nous avons eu des parcours différents, ceci explique peut être cela. Étant donné que je travaille en tant qu’ingénieur du son dans un studio d’enregistrement, ça fait quelques années que je n’écoute plus beaucoup de Cds. Le soir, après le boulot, j’écoutais plutôt des choses tranquilles. Des trucs comme Rachel’s par exemple. Rien de plus « aggressif ». Maintenant, j’écoute beaucoup plus d’electro parce que je suis en train de mixer des disques à la maison.
Francesco: Le dernier disque que j’ai acheté, c’était celui de Mulatu. Je l’ai trouvé à Berlin chez un disquaire où on va souvent quand on passe là bas…
Est-ce qu‘il vous arrive d’écouter « Black Rainbow »?
Giovanni: En réalité, comme je l’ai aussi enregistré, je n’en peux plus! Blague à part, je trouve cette fois que notre disque peut être assez agréable à écouter. Je n’ai pas développé cette répulsion typique qui te frappe d’habitude après avoir enregistré un album.
Francesco: Moi par contre, je me souviens de l’avoir écouté quand on l’a eu physiquement entre les mains. Mais maintenant, c’est difficile, on le joue tous les soirs, et on a travaillé dessus pendant un an et demi donc… Il faudra encore du temps avant de pouvoir le réécouter avec plaisir.
Et vos autres disques?
Nous avons ecouté « DNA » dans le van il y a tout juste un mois!
Où préférez-vous jouer?
Il n’y a pas un lieu en particulier, ça dépend. Quand le concert est bien organisé, que la salle est bien gérée, et que la promo a été bien travaillé, c’est toujours un plaisir de jouer. Cette année en Pologne, nous avons joué dans les mêmes salles que lors de la dernière tournée, et le public était trois fois plus nombreux. Ça a donc été une belle satisfaction.
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