20 Mai 16 Interview – Arm & Tepr, résurrection synthétique
L’été 2015 signait la fin du projet Psykick Lyrikah dont Arm (Loïc Renault de son vrai nom) restait seul maître à bord, après plus de dix années à tenir la barre d’un rap sombre et littéraire écarté des standards commerciaux. A travers un post sur Facebook, le breton nous avait malgré tout prévenus : ‘Je n’ai peut-être jamais eu autant de projets en cours’. A peine le temps de réviser sa discographie qu’il revient avec ‘Psaumes‘, un album composé en compagnie de son ami de longue date, Tepr (Tanguy Destable), bien connu des clubs pour ses productions dance ou ses collaborations avec Yelle et Woodkid. Disque paradoxalement aussi efficace que déroutant, ‘Psaumes’ ne souffre pas de la collision entre les parcours pourtant opposés de ses deux auteurs. Histoire d’en savoir un peu plus sur leur bromance musicale, nous sommes allés rencontrer les deux protagonistes juste avant leur release party au Silencio, club de la rue Montmartre à Paris. L’occasion aussi de remonter le temps jusqu’au début des années 2000 à Rennes.
Ça fait déjà quelques temps que vous travaillez ensemble de façon ponctuelle. Pourquoi avoir voulu étendre cette collaboration sur un disque entier ?
Arm : On avait déjà évoqué l’idée de faire un album ensemble il y a quelques années. Je crois que c’était juste après la sortie de ‘Derrière Moi‘ [album de Psykick Lyrikah paru en 2011, ndlr]. Mais comme nous avions aussitôt repris nos projets respectifs, les choses ont traîné en longueur.
Tepr : De mon côté, j’attends toujours que Loïc vienne vers moi pour me demander ‘Hé Tanguy, t’as pas une prod’ qui traîne ?‘. On a ce rythme là depuis des années. Mais cette fois, c’est moi qui suis revenu vers lui parce que j’avais accumulé pas mal d’instrumentaux de rap, de trucs qui cognaient avec un aspect très brut, que je ne pouvais pas sortir seul parce que cela n’aurait eu aucun sens. Je savais que Loïc allait les capter. Je l’ai appelé, il est venu à Paris, et les choses sont allées très vite à partir de ce moment là.
Vous vous êtes rencontrés comment ?
Arm : On s’est rencontré via Lionel, un ex-Abstrakt Keal Agram [premier groupe de Tepr, ndlr] et le label Idwet dont on était tous assez proches. On se croisait souvent au début des années 2000 à Rennes, via l’Ubu, Radio Campus… On avait vingt piges. Je rappais dans mon coin faute de trouver des producteurs capables de sortir des sentiers battus. A l’inverse, les mecs qui produisaient des instrus n’avaient pas beaucoup de rappeurs sous la main, donc rapidement je me suis retrouvé à maquetter des trucs avec Abstrakt. Ce devait être en 2001 et, depuis, on ne s’est jamais perdu de vue. Tanguy fait partie des gens que je vois peu, mais régulièrement. Entre nous, il y a zéro prise de tête. Si l’un n’aime pas un truc que fait l’autre, il le dit, et on passe à autre chose.
Tepr : Bosser ensemble est un plaisir, déjà parce qu’avec les années nous avons pu travailler avec d’autres personnes et voir ce qui nous allait ou pas. De mon côté, j’ai beaucoup appris de l’écriture pop, notamment avec Yelle. J’ai compris qu’on pouvait faire de la musique assez pointue instrumentalement, tout en restant accessible.
Vous aviez un objectif précis, une ligne directrice pour cet album ?
Arm : Non. Comme, je vis à Rennes et que Tanguy est à Paris, nous savions que nous devions aller vite. D’autant que nous avons désormais des impératifs familiaux. Nous avons fait deux sessions de trois-quatre jours pour la composition et l’écriture, puis une nouvelle session pour les prises de voix et le mix, et tout était terminé.
Tepr : On a tous les deux tendance à travailler rapidement, d’autant que je sortais d’un projet laborieux qui m’avait pris deux ans. Je voulais repartir sur quelque chose de fluide. Ça faisait un moment que Loïc me parlait de rappeurs qu’il aimait et qui se rapprochaient de ce que moi aussi je pouvais apprécier dans ce type de musique : des trucs US un peu bizarres où les mecs rappent sur de l’ambient par exemple…
Arm : On a aussi beaucoup écouté le ‘Yeezus‘ de Kanye West. James Blake également.
Tepr : Je sentais que Loïc voulait s’éloigner de ces sonorités plutôt rock qu’il avait développées avec Psykick.
Arm : Ce qui n’est pas du tout la musique que j’écoute ! Mais il y a toujours eu un fil conducteur pour me ramener au rock, déjà parce que pendant les tournées on fonctionne en trio avec de la guitare et de la basse.
Tepr [il s’adresse à Arm] : Je n’ai j’ai jamais compris pourquoi tu es parti dans cette formule là. Quand je t’ai connu, tu rappais sur de l’electronica, des choses dans ce registre…
Arm [il coupe] : C’est la rencontre avec Olivier Mellano qui a été déterminante et qui a orienté Psykick pendant des années. Il y a eu ‘Acte‘, l’arrivée de la guitare en live… Ce qui n’était qu’un accompagnement au début pour ‘Des Lumières Sous La Pluie‘ a pris une place très importante au fur et à mesure dans Psykick. Si cela m’a satisfait pendant un temps, j’avais besoin de me retrouver musicalement, de retrouver mes premiers amours musicaux à savoir le rap et des musiques un peu plus dépouillées.
Mais tu comprends que ce virage esthétique vers des sons plus électro puisse diviser les fans de Psykick ?
Tant mieux ! Ce n’est pas parce que les critiques sont négatives que je vais me réfugier derrière le sempiternel ‘ils n’ont pas compris le disque‘. Je comprends qu’on puisse ne pas l’aimer. Mais le public de Psykick n’est pas un public issu du rap. Ce sont majoritairement des fans de rock, de musiques indés, d’électro, qui sont venus au rap par le biais de certains groupes comme Cypress Hill, les Beastie Boys puis Anticon ou El-P… Des trucs qui restent rock dans l’énergie. Si on prend Run The Jewels par exemple, leur son plaît à tous les rockeurs à qui je le fais écouter. Par contre, des trucs comme Drake ou Franck Ocean, là ça ne passe pas. C’est mort parce qu’il n’y a pas cette énergie rock justement.
J’ai l’impression qu’il est beaucoup question de la création et de l’idée d’aller toujours vers l’avant, qu’importe la réception critique, dans les paroles de cet album. Je me trompe ?
Je t’avoue que ce n’est pas forcément le cas. J’imagine que tu penses à cette phrase du morceau ‘Totem’ : ‘On est des éclaireurs / Comme d’hab’ on prendra les coups‘. Là oui, en effet, il s’agit d’une pique adressée aux chroniqueurs qui vont trouver le disque trop mainstream ou au contraire, trop spé. Cela fait déjà dix ans que j’ai le cul entre deux chaises et je n’y vois pas de problème. On n’a pas peur de tenter de nouvelles choses.
Tepr : Pour avoir évolué dans l’univers des majors, je peux t’assurer que les producteurs ne vont vraiment pas trouver notre disque mainstream. Au contraire, pour eux c’est le gouffre.
Ce titre, ‘Psaumes’, il faut l’appréhender avec une dimension mystique ?
Il faut savoir que, lorsqu’on enregistre un morceau avec Loïc, je dois lui donner un titre rapidement. Généralement, je prends le mot qui revient le plus souvent dans le refrain.
Arm : Sans vouloir te décevoir, on a simplement voulu prendre un mot avec une résonance forte. J’aime beaucoup l’iconographie religieuse et comme en plus le graphiste nous a fait une proposition de visuel avec cet orgue, les choses tombaient bien. C’est plus l’esthétique qui nous plaisait qu’une volonté spirituelle. On a même failli appeler tous les titres ‘Psaume 1’, ‘Psaume 2’, etc. Qui sait, peut-être que si nous n’avions pas fait de musique nous serions devenus prêtres comme Scorcese l’aurait fait sans le cinéma !
Vous n’avez prévu que deux concerts ensemble pour le moment [Un au Casino de Paris, l’autre à l’Ubu, à Rennes]. Vous ne souhaitez pas en faire plus ?
Tepr : On n’est pas sûr. Il est probable qu’on refuse quelques dates parce que nous sommes déjà partis sur d’autres disques.
Arm : ‘Psaumes’, c’est un album qu’on a fait rapidement et qu’on va défendre un peu sur scène, sur les deux grandes bases que sont Rennes et Paris. Mais il ne faut pas que cela devienne une corvée. Avec tout le respect que j’ai pour le public, c’est parfois fatiguant de se taper seize heures de camion pour jouer devant cinquante personnes et vendre un disque.
Le rap occupe toujours une position étrange en France. D’un côté, il est la musique la plus écoutée par les jeunes générations, de l’autre, il fait encore l’objet de tout un tas de craintes et de débats crispés.
Je pense qu’il n’y a pas de fumée sans feu. Quand t’entends des mecs te dire d’aller niquer ta mère, et que tu les voies cuisiner de la coke dans leur clip, il ne faut pas s’étonner que cette musique soit encore marginale. Et puis on est dans un pays de culture littéraire. Le rap à textes comme Oxmo Puccino passe bien, en dehors c’est plus compliqué. Aux États-Unis, ils invitent Kendrick Lamar en prime time et tout se passe bien. En France, si un rappeur arrive sur le plateau du Grand Journal, il ne sourit pas, il garde ses lunettes de soleil et il ne sait pas répondre aux questions. Je pense qu’il y a du travail à faire des deux côtés, celui des rappeurs comme celui des médias.
Mais si je suis ta logique, dans le métal aussi les paroles, les clips peuvent s’avérer choquants pour une audience non-avertie. Pourtant le métal ne suscite plus autant la méfiance.
Oui mais le métal, c’est du second degré ! Tu sais bien que les mecs ne dorment pas dans des cimetières et n’égorgent pas des chèvres les nuits de pleine lune. C’est du folklore… Tandis que dans le rap, l’ambiguïté est omniprésente. Les flingues existent, la drogue, la violence aussi… Et puis c’est la variété des gamins d’aujourd’hui. Quand j’écoute Kaaris, ça me fait marrer. Je mets ça à fond et j’ai l’impression de regarder un film de Chuck Norris ! Mais quand je fais des ateliers d’écriture dans les écoles primaires et que des petites filles qui pourraient être la mienne me disent qu’elles écoutent ce rappeur, là oui, ça me dérange.
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