Interview – Adam Kesher nage dans la plénitude

Interview – Adam Kesher nage dans la plénitude

C’est dans un joli loft parisien que nous avons pu rencontrer les Adam Kesher à l’occasion de leur deuxième opus « Challenging Nature » sorti deux ans après le très bon « Heading For The Hills« . Un album qui, tout en explorant la pop dans ce qu’elle a de plus précieux, partage notre rédaction autant qu’il nous emmène dans des recoins crados et disco, vers des mélodies de haut vol et un songwriting toujours plus maitrisé. Reste qu’on reparlera certainement beaucoup de ces jeunes gens dans la famille des formations françaises qui comptent. Rencontre avec Julien (chanteur), Yann (batterie), Gaétan (guitare) et Pierrick (basse).

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Y a-t-il un rapport entre le titre « Heading For The Hills, Feeling Warm Inside” du premier album et le nouveau « Challenging Nature »?

Julien: Le premier était une déformation d’un poème de Lou Reed, je ne me souviens plus lequel (rires). Pour « Challenging Nature », on cherchait un titre, ce qui est toujours super chiant. C’était au moment de la rétrospective Werner Herzog à Beaubourg où on a vu notamment « Burden Of Dreams », le documentaire sur le tournage de son film « Fitzcarraldo ». Et il y a une scène assez drôle où il (Herzog) explique qu’il ne voit dans la jungle que de l’obscénité, alors que Klaus Kinski y voit du romantisme. Il conclut son monologue par « ce qu’on essaie ici c’est de « Challenging Nature ».

Vos titres ont toujours un rapport avec la nature non?

Gaétan: Dans cet album oui, et ça vient aussi du fait qu’à ce moment là, on a vu et revu beaucoup de films d’Herzog.  Il y a aussi cette période où on écoutait très intensément les Beach Boys et on s’est pas mal inspiré de leur univers en rapport avec la nature, un peu hippie, mais sans tomber dans les travers que ça peut avoir (rires).

C’est aussi en rapport à Bordeaux et votre enfance provinciale?

Gaétan: Oui, ça joue plus où moins.
Julien
: On a toujours été dans la nature quand on était gamins. Si ça se trouve, c’est le retour du refoulé… (rires)
Yann: On a toujours apprécié cet environnement. En y étant et en le sachant, mais aussi en n’y étant plus et en s’en rappelant! Genre tous les coins d’eau, de forêt, ce que tous les Toulousains nous envient d’ailleurs! (rires) On a une campagne riche à Bordeaux. Pas au niveau bourgeois, mais des vignobles, des forêts, de la Dune du Pyla par exemple. On a d’ailleurs tourné le clip de « Hundred Years Later » là bas, même s’il faut le deviner. Puis, il y a quand même des décors assez féériques avec les Pyrénées pas loin, etc…
Julien: C’est vrai qu’on retrouve les images qui nous plaisent bien dans certains films ou séries. Je pense à Twin Peaks de Lynch, aussi à Badlands de Terrence Malick, Délivrance, des trucs comme ça. Tous se passent dans la nature américaine que, forcément, on fantasme. Ça nous arrivait souvent de tracer aux alentours de Bordeaux et d’imaginer la réinterprétation de ces paysages et ce qu’il y a autour…


J’imagine que vous êtes plus à Paris maintenant?

Yann: En fait, on y a toujours beaucoup été du fait de notre entourage, et puis aussi pour la musique. On a toujours fait beaucoup d’allers-retours en tant que Kesher, en jouant ou sans jouer.
Pierrick: Moi, je ne connais pas Bordeaux, je suis d’ici quasiment… (rires).
Yann: On a toujours plein de copains à Bordeaux, notamment les clubs où on a trainé et joué – avec leurs patrons dégénérés – des petits endroits hyper drôles à faire. Donc c’est cool.

La naissance d’Adam Kesher? Est-ce que vous vous attendiez à en arriver là?

Julien: On fait ça depuis 2004.
Gaétan: Et en 2006, on a sorti notre premier EP, puis un autre en 2007, et l’album en 2008.
Yann: On ne s’y attendait pas spécialement mais, pour chacun d’entre nous, on fait de la musique « réellement » depuis toujours comme une activité. Après, avoir fantasmé de le faire professionnellement pour Kesher, je ne sais pas. Disons que c’était en voie de professionnalisation, et que ça s’est fait naturellement. A part pour Pierrick qui était déjà dans le milieu.
Julien: Et ça fait deux ans que Pierrick joue avec nous. Avant, il y avait deux autres membres dans le groupe qui sont partis depuis.
Yann
: Là, il manque Mathieu qui joue du clavier. On est cinq en tout.

Vous faisiez quoi avant Adam Kesher?

Gaétan: On a fait pas mal de trucs différents. Avec Julien, on avait un groupe de hardcore, enfin plutôt de metal/hardcore… (rires)
Julien: …qui s’appelait Metronome Charisma, et Yann a fait pas mal de groupes de hardcore aussi.
Yann: Ouais, du hardcore oldschool. Quelques trucs pop aussi, mais le hardcore c’était plus rigolo à l’époque…
Pierrick
: Et moi avant, je jouais dans Cassius.

adam21Vous êtes toujours proches de ces styles/scènes?

Gaétan: On peut dire tous les deux qu’on a décroché de la scène hardcore. C’était à Bordeaux, et on avait d’ailleurs tourné un peu en France.
Julien: Il y a encore quelques trucs qu’on aime bien. Notamment ce qui est sorti récemment chez Southern Lord: SUNN O))), Khanate…

Le nouvel album « Challenging Nature » présente de nouvelles collaborations qui ont bien sûr eu une influence sur votre son: Dave One de Chromeo, A-Trak, Zdar…

Gaétan: Pour Dave One, Matthieu Couturier – un des boss de Disque Primeur – le connait depuis hyper longtemps. Il avait déjà sorti une mixtape sur le label. Au départ, on avait plus de morceaux qu’à l’arrivée, et ça partait un peu dans tous les sens. Il lui a donc proposé de réaliser le disque. Nous, ça nous parlait, lui aussi, et finalement ça s’est fait assez naturellement. Il a énormément éclairci le propos. On voit bien la différence avec le premier où le son est un peu plus fouilli, même si d’une certaine façon c’est quelque chose qu’on a pu rechercher à l’époque. Là, pour le nouveau, on va plus droit au but, dans les idées qui sont proposées, dans la façon dont les morceaux sont agencés et leurs différents éléments intrinsèques. Il nous a vraiment obligé à faire avec le strict minimum, le strict nécessaire surtout.
Yann
: Oui, avec son regard plus pop, il a rendu le tout beaucoup plus clair, dans les lignes et dans les gammes des instruments.

« Heading For The Hills, Feeling Warm Inside » sonnait assez shoegaze je trouve…

Gaétan: Oui, et c’est aussi énormément lié au contexte dans lequel tu composes et prépares un disque. A l’époque, c’est vrai qu’on écoutait pas mal de trucs shoegaze ou noisy pop. Là, on écoutait aussi d’autres choses.

Votre regard sur celui-ci aujourd’hui?

Yann: On l’adore, mais c’est comme un mec qui fait son premier bouquin de photos, un premier film ou un premier disque. C’est toujours une sorte de compilation de tout ce que tu as fait en gardant le meilleur, de façon un peu bordélique. Là, c’était un peu ça. Il est assez riche et part un peu dans tous les sens.
Pierrick
: Et l’évolution sur « Challenging Nature » est logique car on ne voulait pas refaire le même disque.

Vous saviez quelle direction prendre avant de le composer?

Julien: Pas vraiment, car au départ on avait fait tout une série de démos qu’on a commencé à enregistrer à droite à gauche avant de rencontrer Dave One, et c’était assez fouilli. Durant toute cette période, on écoutait plein de trucs: ce qu’on écoute tout le temps comme les Beach Boys ou le Velvet, mais aussi pas mal de disco mainstream, les premiers Prince, Michael Jackson… Il y a un morceau de Sylvester, « I Need Somebody To Love Tonight », qu’on écoutait tout le temps. Egalement les premiers groupes disco d’Arthur Russell (Dinosaur L, Loose Joint) et beaucoup de musiques de films à la John Carpenter.
Pierrick: DFA aussi.
Yann
: Même des trucs disco radicaux et dansants, comme Green Velvet par exemple, qui nous faisaient vraiment marrer. C’était pas vraiment des influences mais bon…. (rires)

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Qu’est ce qui vous plait dans cette disco? La production?

Gaétan: Oui, il y a ça. Pour la disco qui vient de New York par exemple, c’est le fait que dans la production tu as des véritables batteries, des super beaux sons de synthé et des lignes de basse hyper cool. En même temps, ce que je trouve fascinant, c’est de vouloir faire de la musique à danser et finalement d’essayer de trouver la bonne recette, le point qui sera le plus lumineux. On parlait d’Arthur Russell: dans « Wild Combination », le documentaire sur sa vie, il fait son titre phare avec Dinosaur L (« Go Bang »), et son petit ami explique qu’il essayait de faire un morceau qui serait imparable sur un dancefloor. Et je suis assez fasciné de voir comment cette musique conduit, oblige à danser.
Julien: Avec le recul, c’est un style qui a acquis une sorte de gravité. Au départ, c’est une sorte de fête, mais après il y a toute l’histoire: les drogues, le sida qui ternissent le truc. Donc tu vas avoir toute cette dégénérescence disco, ces morceaux hyper bizarres et hyper dépressifs, mais qui gardent cette sorte de rythmique dansante. Ca, c’est aussi quelque chose de super intéressant.

Vous avez enregistré où?

Pierrick: Dans un studio qui s’appelle le Hameau, près d’Alençon ou Chartres ou pas loin, et aussi dans des endroits un peu sauvages. Le mixage, on l’a fait au Motorbass avec Zdar. Philippe a d’ailleurs mixé deux titres: « Hour Of The Wolf » et « Attraction ».

Pierrick, tu as travaillé sur le mix et la production?

Pierrick: Oui, j’ai travaillé avec Philippe (Zdar) avant et, quand je lui ai fait écouter les mises à plat, il était assez motivé pour mixer quelques titres. L’idée était d’utiliser son talent de mixeur pour pouvoir nous ouvrir la voie sur la manière dont pouvait sonner le disque, car il est très fort pour ça. Il m’a aussi aidé pour le mixage des autres titres dont je me suis occupé. C’est un peu une référence, notamment par rapport à ses méthodes de travail. Il y a aussi le frère de Dave One, A-Trak, qui a mixé « Kiss Me Kinski » et « Knock Myself Out ».

adam4Ces nouvelles collaborations ont donc été bénéfiques, ce n’était pas juste un name dropping imposé?

Pierrick: Non, car c’était notre intention au départ.
Yann: Et puis c’est hyper agréable d’être enfin entouré, de travailler avec des gens, ce dont on n’avait pas encore eu la chance. Ça a permis à Pierrick d’avoir aussi un peu de recul, bien qu’il n’en ait pas eu tant que ça (rires)…
Gaétan: Ça a apporté beaucoup de cohérence au disque.
Julien: C’est super bien d’avoir quelqu’un qui est un peu dépassionné par rapport au projet car, quand on doit décider à cinq, il y en a toujours un de nous qui ne veut pas enlever tel ou tel truc. On a toujours une relation super affective avec ce genre de chose.

Gérer les compromis, ce qui est souvent dur à trouver dans un groupe, vous l’aviez plus ressenti sur le premier?

Julien: Ouais, il y a beaucoup de trucs surchargés car aucun de nous ne voulait lâcher sa position. Et là, c’était bien d’avoir Dave One, un peu comme une sorte d’autorité.
Yann
: On disait souvent du premier disque qu’il était très épars. Sur le dernier, ça se suit. Sur les dix titres, il y a une unité, même si c’est assez différent, de « Gravy Train » à « Attraction » par exemple. Mais au final, tout se tient.

Quand vous faites un album, vous voyez toujours ça comme un produit complet? Est ce que, par exemple, il y a un travail sur le tracklisting?

Gaétan: Oui bien sûr. Déjà sur la longueur, on est assez d’accord sur le fait qu’on écoute rarement un disque trop long en entier. On voulait quelque chose de concis et dense. C’était la base. C’est-à-dire que, quand on est arrivé avec les quinze morceaux, c’était évident qu’on allait pas tous les garder. Notamment parce qu’ils étaient trop longs. On a construit le disque avec Dave en cherchant une cohérence. Il parlait de familles de morceaux et c’est vrai qu’on peut analyser le disque comme ça. En gros il y a dix titres, et ça marche à peu près par trois ou quatre morceaux qui fonctionnent bien ensemble.
Yann: C’est ce qu’on développe en live également.

Et vous en avez fait quoi des cinq morceaux restant?

Julien: On ne les joue plus. On pourra peut être en récupérer des idées, je ne sais pas.
Yann
: On les a revendus à des chinois (rires).

Vos chansons et textes sont très référencées. Je pense à « Hour Of The Wolf »: c’est par rapport au film de Bergman non?

Gaétan: Oui, c’est un film qu’on a beaucoup aimé, je sais plus comment on est tombé dessus. Le cinéma, c’est quelque chose de très important et qui nous influence beaucoup. On grandi avec, et on a tous des films qui comptent énormément pour nous.
Julien: Ici, c’est un peu comme pour l’histoire de « Challenging Nature », mais plutôt par rapport à toute la musique dansante et l’atmosphère qui règne autour.

« Kiss Me Kinski », c’est pour Klaus ou Nastassja Kinski?

Gaétan: Ouais, c’est un peu la blague de ne pas préciser si c’est pour le père ou la fille (rires). La belle et la bête… On joue sur l’ambigüité.

Et la dernière et très belle « Julien, Julie »?

Julien: Alors, au départ, je crois que c’est parti d’une fois où on parlait de la tique.

Gaétan: En fait, on avait lu beaucoup de textes de (Gilles) Deleuze et, sans rentrer dans les détails, on a vachement aimé cette histoire au sujet de la tique, de milieu, de demeure, qui a très peu d’affect. Et donc le morceau, c’est clairement la description des affects de la tique. En même temps, c’est aussi sur tout ce travail du devenir qui se passe en chacun de nous… Un peu compliqué mais, en rigolant, c’est devenu « Julien, Julie ». On imaginait Julien engagé dans son devenir femme, comme tout homme qui se respecte (rires).

Et elle sonne différemment du reste en revenant à votre son rock?

Julien: Oui, c’est pour ça qu’elle est en dernier. C’est un des premier morceaux qu’on a fait pour le disque et qui, pour le coup, n’a pas trop bougé. Ça nous faisait chier de l’enlever car on la trouvait chouette.
Pierrick: Elle ne devait pas être sur le tracklisting au départ mais on a insisté pour la mettre. Et on ne regrette pas.
Julien
: Ça fait aussi une fin de disque où il y a une sorte de retour des guitares avec également le morceau précédent (« Waterfall ») qui a une fin un peu shoegaze justement…

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Vous vous êtes nommés Adam Kesher par rapport au personnage de Mulholland Drive de Lynch, en gros un réalisateur subissant des pressions du milieu Hollywoodien. Qu’en est il de votre évolution par rapport à la symbolique de ce personnage et votre statut actuel?

Gaétan: On n’a pas de pression extérieure, de mafia (rires). Après je ne sais pas ce que fait Mathieu Couturier de Disque Primeur ou notre manager quand on n’est pas là. Mais ce n’est pas tellement sur des histoires de pression qu’on trouverait un rapport avec le personnage. Plutôt sur cette idée où il devient acteur de son propre film. Je pense qu’il y a toujours ce basculement à un moment donné quand on fait de la musique ou de l’art. Soit on est un peu happé par ce que l’on produit, soit on devient l’outil de ce qu’on fabrique. Et je pense que ça peut être aussi gênant que positif à certains moments.

Et ce n’est pas compliqué de s’exporter en étant français?

Gaétan: Non pas vraiment. Il y a toujours un certain charme français et, en général, on est assez bien vus en tant que musiciens. Il y a aussi pas mal de bons groupes qui ont déblayé avant nous. Par exemple, quand on était en Allemagne, plein de gens nous parlaient de Justice, des trucs sur Institubes ou de groupes comme Zombie Zombie.

Vos side projects, Beat Mark et Fight For Love notamment… C’est important pour vous?

Julien: Oui complètement. Chaque groupe nourrit l’autre. Pour Adam Kesher, ça fait un an qu’on n’a pas tourné. Donc, ne faire que du studio et attendre pour la promo, ça peut être un peu frustrant. Ce qu’on aime faire avant tout, c’est de la musique… C’est également sain car on s’est rendu compte – et c’est peut être le problème du premier album – qu’on ne peut pas mettre tout ce qu’on veut dans un seul projet sinon ça devient rapidement n’importe quoi…
Gaétan: Ça permet d’ouvrir les vannes. Si on veut faire du garage, on le fait dans Beat Mark, et ça permet de se concentrer beaucoup plus sur le fond des projets.

Vos ambitions pour « Challenging Nature »?

Julien: On aimerait bien voyager beaucoup. Ca fait un an qu’on n’a pas trop bougé, alors qu’on y avait bien pris goût. Après, on verra…
Yann: Ça revient aussi à ce qui nous influence, dans les films, les photos. Je pense aux tournées aux USA ou autre ou, pour un concert qui dure une heure, tu as tout le reste du temps où tu attends et tu es ailleurs, où tu vois les paysages etc… C’est vraiment cool.


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