25 Mai 18 Insecure Men, un plan sans accroc
Après une première tentative avortée, il a encore fallu braver quelques épreuves pour interviewer les deux têtes pensantes d’Insecure Men. Accent du Yorkshire à couper au couteau, phrases entamées puis perdues à jamais, blagues imbitables, combo sono et travaux du Point Ephèmére à deux doigts de nos oreilles… Quelques semaines plus tard, je fais encore la liste dans ma tête sans parvenir à démasquer un coupable.
Et pourtant, le jeu en valait la peine tant l’album d’Insecure Men a pris des allures de premier de la classe au fur et à mesure des écoutes répétées. La faute à un songwriting sublime qui puise dans la mauvaise vie et l’humour grinçant de ses protagonistes, pour se glisser sournoisement dans nos têtes à l’approche encore lointaine des promotions 2018. Le concert du soir et la classe du groupe éclipsaient finalement les derniers doutes, plongeant Ben Romans-Hopcraft et Saul Adamczewski (échappé de Fat White Family) dans une capsule intemporelle mémorable. Avant cela, il fallait bien leur poser quelques questions sur la vie en tournée, les protest songs et leur première rencontre autour d’un pack de 6.
Comment se passe la vie en tournée jusqu’à maintenant ?
Ben Romans-Hopcraft : Bien ! On était en tournée en Angleterre. Ça s’est très bien passé, à ma grande surprise.
Saul Adamczewski : Ouais, c’était cool, assez reposant.
Saul, tu as dit que tu n’aimais pas trop les tournées. Qu’est-ce que ça fait d’avoir une nouvelle expérience de ce type avec de nouveaux musiciens et de nouveaux morceaux ? Est-ce que ça a fait évoluer ta réflexion ?
Oui, c’était une autre ambiance, il n’y a pas eu de disputes ou de bagarres, aucun problème. Ça a été relativement calme.
Ben : Dans le groupe, on est juste une bande de mecs relax. Tout le monde a du respect pour les autres. On est neuf, et on doit passer du temps ensemble, alors autant que tout se déroule sans accroc.
Saul : Oui, et on apprend à se connaître et à s’apprécier pendant qu’on est en tournée. On tombe amoureux les uns des autres (rires)
Est-ce que tu ressens plus de pression qu’avant, du fait qu’Insecure Men est plus ton groupe que ne l’était Fat White Family ?
Non, je ne ressens pas ça, je n’ai pas plus d’obligations qu’avant. J’en ai pour moi, mais sinon c’est la même chose, je me soucie juste de moi-même.
Tu es ami avec Ben depuis l’école primaire… Comment vous êtes-vous rencontrés ?
Ouais, c’est ça. Probablement autour d’une partie de foot, après l’école, ou autour d’un pack… Je ne me rappelle pas exactement, on avait sept ans.
Ben : On se connait depuis un moment oui, mais on a toujours été dans différents cercles d’amis, pas forcément dans la musique. On s’est toujours dit qu’on devrait collaborer. D’ailleurs, on n’est pas passé loin de le faire plusieurs fois par le passé.
Saul : On a exploré chacun des choses différentes sur plusieurs périodes. On a vraiment plongé dans la musique quand on avait 15 ans, et c’est là qu’on est devenus très proches. Ça va bien au-delà de notre amour mutuel pour la musique d’Harry Nilsson.
Saul, Ben est présenté dans votre bio comme une influence qui te stabilise. Est-ce qu’on peut dire que votre relation actuelle est basée sur une opposition mutuelle de vos caractères ?
Je ne sais pas. J’ai dit ça une fois, et maintenant je suis coincé. Je crois que c’est le label qui a gardé cet argument, mais je sais aussi que Ben a eu une influence destructrice sur moi plus d’une fois, donc maintenant je ne suis plus trop sur. (ils se marrent) Il est plutôt du genre à me pousser en fait.
Ben : Je pense que ça a plus à voir avec la place que j’occupe au sein d’Insecure Men, et avec le fait que je ne faisais pas partie de Fat White Family. Au moment de la transition, je représentais une autre option.
Quel impact cette relation spéciale a t-elle eu sur l’enregistrement de l’album ?
Saul a écrit la plupart des morceaux, et j’ai juste rajouté quelques touches de production.
Saul : Le prochain album que nous faisons ensemble, et qui est presque fini, sera plus collaboratif. J’ai écrit la moitié des chansons, et Ben l’autre moitié. Il va m’aider, je vais l’aider, ça va être totalement égalitaire. Le but est de ramener Ben toujours plus dans le processus d’écriture. Le groupe a maintenant sa propre voix, et Ben apporte quelque chose de marqué.
Est-ce que vous voulez continuer à collaborer avec Sean Lennon ?
Oui, je le veux. C’est une très bonne équipe, et son ingénieur est super.
Quel est son rôle ? C’est parfois vague… Il a un grand studio avec beaucoup d’instruments ?
Il a un grand studio, mais ce n’est pas son rôle. Il produit, c’est un excellent musicien, il joue de tout.
Ben : Oui, il fait un peu partie du groupe, dans le sens où il fonctionne un peu comme un producteur de soul music, ou plusieurs équipes construisent bout à bout une chanson.
Tu as enregistré sur un vieux Tascam. Quelle est l’étape suivante, une fois que tu as amassé toutes ces couches de sons ? Qu’est-ce qui est le plus difficile à faire ?
Saul : Je pense que, ce qui est le plus difficile, c’est d’ordonner nos idées. Il se passe tellement de choses pendant l’enregistrement qu’il faut essayer de simplifier les choses au mieux.
Ben : Et arriver à revenir en arrière, parce que le studio essaye de te retenir.
Oui, tu peux te perdre dans la composition de manière infinie.
Saul : Oui, on s’est perdu quelques fois.
Ben : On veut toujours changer quelque chose, et c’est dur de se dire qu’il faut parfois en rester là avec un morceau.
Vous auriez pu rester dans le studio pendant plusieurs années !?
Saul : On a presque réussi en fait, mais Sean me disait de sortir, et l’ingénieur me rappelait l’heure quelques fois. (rires)
Lias Saoudi (frontman de Fat White Family) a écrit la moitié des paroles sur l’album…
Il en a écrit plus de la moitié oui, mais c’est plus globalement notre collaborateur. Il y a des chansons dont il a écrit les paroles, et d’autres auxquelles il a juste participé. C’était vraiment une collaboration, dans le sens ou il me disait parfois ce que je pouvais changer sur certains de mes textes. Ça a été une bénédiction de pouvoir compter sur lui pour ça ! Les siens sont drôles, intelligents, poétiques. Mais ce que j’aime surtout, c’est cet humour très noir qu’il a.
C’est quelque chose que tu as hérité de lui finalement…
Oui, mais le truc c’est que c’est dur de dissocier notre travail. Il arrive souvent que, quand je n’écris pas les paroles, j’ai l’impression que ce sont quand même les miennes. On partage beaucoup d’idées tous les deux. Mes paroles sont plus simples, alors que les siennes ont plusieurs sens, sont plus profondes. J’écris de manière plus directe, ce qui peut être un avantage quelques fois…
Tu penses que ça peut être vu comme une manière de communiquer entre vous deux, un nouvel épisode de votre relation ?
Non, rien à foutre de ça.
Il y a quand même une continuité entre tes textes et d’autres de Fat White Family. Je pense à des morceaux comme Goodbye Goebbels, Hits Hits Hits et sur cet album, Mekong Glitter ou Whitney Houston And I. Écrire des morceaux sur des figures controversées, ou avec un angle particulier, est-ce que c’est une opportunité d’interroger la morale ou le politiquement correct ?
Je ne sais pas. A la fin de la journée, ce sont juste des gens ordinaires, des personnages… On écrit juste a propos de certaines figures de la culture pop sans y voir de connexion. Je ne sais pas, c’est le monde que nous voyons, alors pourquoi ne pas écrire à propos de ça ? Je peux comprendre que les gens puissent y voir de la provocation, mais je m’en branle. Ça n’en est pas.
Est-ce que tu as l’impression que ce type d’humour est absent de la pop culture de nos jours ?
Ben : Oui, définitivement.
Saul : Aujourd’hui, les gens veulent faire de la politique mais sans humour. Du coup, on voit de jeunes groupes chanter leur engagement de manière très honnête, mais à travers des morceaux merdiques. Ca, ce n’est pas possible. Tu peux chanter sur des sujets politiques, mais il faut soigner l’angle avec lequel tu les abordes. Si tu commences à déclamer des arguments complètement foireux que tout le monde connaît déjà, on va te traiter d’hypocrite, et ça va être embarrassant. Je préfère chanter au sujet de divers personnages, c’est pour moi la meilleure manière de fonctionner.
Avec quand même un sens de l’humour étrange en ce qui te concerne...
Oui, pour moi, c’est une règle d’or.
Quels sont vos prochains projets ?
Je veux faire un album de musique méditative.
Quelle est la pire question que quelqu’un vous ait posé en interview ?
C’est la pire question celle-ci. Non, c’est la question sur notre rencontre avec Sean Lennon, qui a du tomber déjà 70 fois. Ou lorsqu’on te demande comment ça va. C’est ça, la pire question.
Ben : C’est-ce que tu nous as demandé au début non ?
Oui
(Ils éclatent de rire tous les deux)
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