Gwendoline, affranchis losers

Gwendoline, affranchis losers

Dix années à jouer dans des groupes de rock et de pop, et à participer au jeu de l’industrie musicale sans forcément y trouver de l’intérêt, en comprendre le sens ou s’y sentir bien. C’est là tout le point de départ et la naissance de Gwendoline, duo breton créé lors d’un été, accoudé aux comptoirs des PMU de sa région, avec comme seul exutoire l’envie profonde de cracher sur tout le monde et voir la société s’écrouler en la jugeant avec mordant.
Sur fond de cold wave 80’s façon The Cure, Gwendoline dépeint la société avec un mélange de dégoût et d’humour, mais sans jamais faire la morale, le but étant – s’il y en a un – de pouvoir librement faire des blagues sur des sujets sociétaux pas foncièrement marrants. Ici le cynisme et l’autodérision l’emportent volontairement sur l’engagement, et on se délecte de cette morphine sonore où l’ont fait le récit de la France d’en bas qui se fait exploiter au boulot mais se satisfait du Ricard avec les copains après le travail, et de tous ceux qui pensent avoir une vie de merde mais retrouvent le sourire quand on leur offre des chèques vacances.
Gwendoline, c’est la beauté dans la déprime et le sarcasme comme pansement à tous les maux de la société et à tous ces reportages anxiogènes que les médias diffusent 24h/24h. Ici la frontière est mince entre le premier et le millième degré, et on se retrouve à surfer entre le spleen et la verve de FAUVE, la loose d’un Yolande Bashing, et la liberté inconditionnelle de La Femme.
Devenir accro à cet album, c’est comme cracher dans la soupe, mais la manger par ailleurs. En grands gourmands que nous sommes, nous avons plongé dedans, avec le groupe qui commente chacune de ses cuillerées.

TRACK BY TRACK

VOLDEBIÈRE

On a essayé de se regarder un peu dans le miroir sur ce morceau. On voulait se moquer des groupes qu’on a aussi pu avoir ensemble par le passé, de ce truc labellisé ‘artistes indépendants’. De toute une scène musicale qui se réclame de l’underground tout en s’acoquinant dans un entre-soi. Il y avait un peu cette idée qu’on n’échappe pas à sa condition, qu’on en fait des caisses pour se démarquer et que ça nous rend bien ridicules parfois. Tout le monde rêve de postérité, cherche à nourrir son égo même s’il revendique le contraire. Il y a pas mal d’auto-dérision… On chante : ‘Ouverture de la chasse au pigeons, chargez vos carabines à plomb‘ sur le refrain , comme pour prévenir qu’on va tailler sur cet album. C’est aussi pour ça que ce morceau figure en premier sur l’album. Après, qui sont les pigeons ? Ca reste ouvert. Le public qui va se précipiter sur des artistes indés pour se vanter dans une pseudo-hype d’avoir découvert des trucs avant tout le monde ? Les projets artistiques qui n’échappent finalement pas vraiment aux règles du milieu musical pour exister (liens sponsorisés, participation à des tremplins et événements mainstream, auto-promotion sur les réseaux sociaux…) ? Nous, qui essayons de prendre une posture en marge tout en sortant notre album sur une plateforme web ? Il y a sûrement un peu de tout ça.

CHEVALIER RICARD

Cette chanson, c’est un peu un ON/OFF. Ca exprime une attitude qu’on peut avoir quand on est au fond du trou, qu’on laisse tout couler… Les ‘j’en ai rien à foutre’ scandés sur les couplets renvoient clairement à ça. Tu me montres tes photos de vacances à la mer, ma poubelle déborde, j’ai plus rien à bouffer, les petits problèmes de ton frère, tes chaussures pour me plaire… Ecoute, j’en ai rien à foutre de tout ça, je suis épuisé ! Laisse-moi déprimer tranquillement. Le Chevalier Ricard, ce serait un peu ce pauvre type qui n’est plus en phase avec le quotidien, qui a la flemme de se battre pour ce qui l’entoure, de s’impliquer dans la société. Quand la nuit tombe, il ressent l’appel de la boisson et va se saouler au bar. Le seul endroit où il se sent encore exister, encore vivant. On était dans ce mood là quand on l’a composé.

ÂMES SOEURS

La seule chanson d’amour de l’album. L’ambiance est un peu glauque, il y a une tension palpable. Deux êtres enfermés dans un carcan (le couple), qui sont toxiques l’un à l’autre, qui s’empoisonnent et se font du mal. On se pose la question du sens que ça a de rester avec quelqu’un, de continuer à vouloir sauver les meubles qui ont déjà pris feu… On finit d’ailleurs le morceau par ‘Ses âmes sœurs sont-elle seules ? Ses âmes seules sont-elle sœurs?‘. Est-ce que c’est encore de l’amour quand on en vient à se détruire mutuellement, qu’on n’arrive plus à communiquer, qu’on se se sent seuls quand on est ensemble ? On évoque ces désillusions qui semblent toujours finir par arriver. Ce truc de mythe romantique auquel on a été biberonné, qui nous encourage à trouver cette âme-soeur qui serait là quelque part autour de nous sur cette planète. Pas sur que ça existe…

CHÈQUES VACANCES

Dans ce morceau, on évoque la vie des gens qui triment toute l’année pour pouvoir profiter de cinq semaines de congés payés. Sur les couplets, on pose l’ambiance pesante de nos quotidiens en centre-ville, nourris de bruits stridents, de rencontres blasantes, d’un stress général oppressant qui nous rendrait presque parano. Coincés dans des cages à poules, loin de la nature, à tourner dans des roues comme des hamsters. Et puis d’un coup, miracle : c’est l’été ! Tout va bien. On va aller claquer nos chèques vacances qu’on nous a filé en guise de cadeau. On a bien travaillé, on nous offre le droit d’aller consommer hors de la ville , de se vider du poids du taff pour mieux y revenir… C’est ironique, sûrement un peu cynique. On essaie de rendre hommage à nos parents, de questionner tout ce schéma classique du monde du travail qui te fait accepter beaucoup de choses en tenant la carotte ‘Vacances’ au bout de son bâton. On ne se reconnaît pas là-dedans, ça nous angoisse. On a composé l’album pendant l’été, ça nous a inspirés.

DU LUNDI AU VENDREDI

C’est compliqué de parler de cette chanson, il n’y a pas beaucoup de texte, c’est plutôt un mood général. On a essayé de synthétiser rapidement qui était Gwendoline. Je crois que c’est un des derniers morceaux qu’on ait fait d’ailleurs… Bon, on ne va pas se mentir, on était un peu au fond du trou quand on s’est retrouvé pour composer l’album. Tellement que ça nous faisait rire d’ailleurs. On picolait tous les jours et on voulait personnifier tout ça dans une entité qui s’appellerait Gwendoline. Cette personne qui serait assez dangereuse, sur un fil, parfois violente, parfois effacée. Quelqu’un qui ne foutrait rien de ses journées, qui regarderait la vie passer sans y participer. Ce serait un peu un mix de nous deux, comme ce projet en fait. On était comme ça, on geekait en buvant du wiskey-coca et des bières, puis parfois on se mettait à écrire des conneries, à chercher des phrases qui nous faisait autant marrer que déprimer. On écoutait de la cold-wave en fermant bien les volets toute la journée, et on filait au bar le soir. Puis on rentrait bourrés et on se remettait à composer. C’était finalement assez léger et agréable, on en garde un bon souvenir.

AQUARIUM

C’est plus ou moins la ballade de l’album. Il ne se passe pas grand chose, il y a beaucoup de vide. On témoigne de cette sensation de se retrouver paumé dans un aquarium avec plein d’autres gens paumés eux-aussi. A remonter prendre de l’air à la surface pour retourner sans cesse sous l’eau. Tous un peu morts finalement, ce serait peut-être plutôt un funérarium. Le morceau est coupé en deux, le chant est assez lancinant et dramatique. On a hésité à le remplir, à rajouter des choses mais on s’est arrêté en chemin. Chanson sans intérêt pour vie sans intérêt.

SPA TRANQUILLE

‘Va te jeter à la mer’, citation de Geoffrey Jourdren, ancien gardien de but de foot de Montpellier. On est content d’avoir pu la placer dans une chanson. Sinon, on voulait parler ici des comportements masculins, de ce truc d’être ‘en chien’. On scande des ordres comme à un chien, ça revient pas mal dans le morceau. C’est une discussion qu’on a souvent eu tous les deux : on trouve abominable la manière dont se comporte beaucoup d’hommes avec des femmes. Cette espèce de course à la virilité, de combat de coqs qui nous dépasse tellement… Ces stéréotypes à la peau dure qui engendrent pas mal de souffrances. On avait envie de cracher sur tout ça avec nos mots.

AUDI RTT

Cette chanson, on avait commencé à l’écrire bien avant de se lancer dans l’album ! C’est un peu notre point d’ancrage. On est retombé dessus et on s’est sentis inspirés pour terminer de la composer durant l’été où l’on a fait Après c’est Gobelet !. A la base on voulait faire une parodie de rap auto-tuné pour s’amuser. Puis on a complètement remodelé le bordel, et c’est devenu une chanson qui sonne plus Gwendoline. On voulait décrire nos quotidiens de losers à Rennes, dans une ville où l’on a pu voir la gentrification opérer au fil des années. On était là, au milieu de tout ça, comme deux merguez, à se dire qu’on n’avait pas notre place dans ce nouveau cadre de centre-ville, que tout disparaissait. On braille comme des supporters de foot sur le refrain en donnant rendez-vous au PMU à 8 heures du matin pour tous ceux qui le veulent. Se dire qu’ensemble, on se barre en mobylette, on prend notre retraite, on se casse. Il y a de l’auto-dérision forcément, on se fout de notre immobilisme. De ces grands projets qui surviennent quand t’es bien alcoolisé, au petit matin. Tu vas te coucher et quand tu te réveilles de ta cuite avec une barre au crâne, t’es toujours là. Dans la même ville, le même quotidien.

LA FIN DU MONDE

C’est la fin, dernier morceau de l’album. On a parlé de tous nos petits problèmes insignifiants de blancs hétéros de la classe moyenne. On était là, à se plaindre comme des merdes et à déprimer sans se rendre compte que c’était la fin du monde. C’est l’idée de ce texte, c’est assez métaphorique quand on parle de fin du monde. On se met en perspective, et on se dit que tous les petits malheurs sont rien quand il arrive quelque chose de grave. Quelque chose qui nous dépasse. C’est aussi une manière de questionner notre légitimité à déprimer, de relativiser. Dire à l’auditeur que, d’accord, on a raconté des trucs dans un mood assez dark, mais qu’on est conscients que ce n’est rien par rapport à plein d’autres choses. On ne veut pas se positionner en victimes, ce n’est pas le propos de l’album. Mais il y a quand même un truc assez no future qui demeure… ‘La fin du monde a commencé au moment où je suis né‘. Ce truc un peu dramatique où donner la vie, c’est donner la mort. Vivre, c’est mourir.

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