Glen E. Friedman, l’oeil des pionniers

Glen E. Friedman, l’oeil des pionniers

Sans le savoir, vous connaissez Glen E.Friedman. Considéré comme un des photographes les plus actifs et influents des années 80 et 90 principalement, il fut d’abord l’oeil de tous ceux qui ont vécu et assisté à l’éclosion de la culture skateboard. En 1976, à l’âge de 14 ans seulement, il devenait le plus jeune membre de l’équipe de rédaction du magazine Skateboarder grâce à quelques clichés convaincants, avant d’étendre sa curiosité aux concerts. Par le biais de son travail, il témoigna alors de la naissance du courant punk/hardcore, signa la première photo de presse des mythiques Black Flag puis la pochette du Ep Salad Days de Minor Threat et, en 1982, lança son propre fanzine – My Rules : Photozine – dont il épuisa les 10 000 exemplaires.
Trois ans plus tard, il ne résiste pas aux charmes du hip hop naissant, et convainc les Beastie Boys de lui confier leur image. Auteur des photos les plus mémorables du groupe, Glen E.Friedman soigne alors sa réputation et étoffe son carnet d’adresse. LL Cool J, Public Enemy, Ice-T, Run-DMC le convoitent, et certains de ses clichés atterrissent en pochette de certains albums les plus influents de l’histoire de la musique contemporaine (It Takes a Nation of Millions to Hold Us Back de Public Enemy, Check Your Head des Beastie Boys…). Plus tard, c’est l’artiste Shepard Fairey qui collabore avec lui pour mettre au monde quelques tirages en édition limitée tirés de certaines de ses photographies.
Ce sont donc les monuments de jeunesse de plusieurs générations qui doivent un peu de leur image et de leur intemporalité à ce new yorkais intronisé en 2012 au Skateboarding Hall of Fame, qui s’est forcément un jour accaparé quelques centimètres carré des murs de votre chambre. Discussion passionnée avec un monument de son époque.

Tu as commencé la photographie très jeune, à l’âge de 13 ans. Comment le déclic est-il venu ?

Glen E.Friedman : Tout simplement en assistant à des choses qui se passaient devant moi et nulle part ailleurs sur cette Terre. C’était à la fois inspirant et excitant, et j’ai pensé que je pouvais décrire tout cela d’une manière unique, avec un appareil photo. J’ai donc essayé, et ça a marché.

Selon toi, quel pouvoir particulier possède la photo comparée à d’autres vecteurs de communication, d’information ou de message ?

Quand nous voyons des choses belles et intéressantes, ou quand nous voyons d’autres êtres humains accomplir des choses inspirantes, les visuels et les images qui en découlent touchent un sens très puissant. Elles nous remuent littéralement. Avant que Photoshop existe, voir les choses les rendait vraies et crédibles. ‘Je crois ce que je vois‘ dit le dicton. Les photos étaient plus importantes qu’aujourd’hui, elles en disaient souvent plus que les mots.

Tu considères la photographie comme un moyen de passer des messages, de défendre des opinions. Encore faut-il qu’elles soient bien interprétées. Penses-tu que c’est une expression d’engagement aussi forte que la musique ou le message passe à la fois par l’attitude et par les mots ? Glen E.Friedman peut-il être aussi influent que Fugazi par exemple ?

Les photos parlent aux gens, et elles peuvent les inspirer. De son côté, la musique parle aux gens également, et les musiciens peuvent inspirer par leurs activités comme par leur éthique. Si tu poses la question, c’est que la comparaison ne peut pas être totalement juste. Les deux inspirent de différentes manières, et chacun sera plus influent que l’autre suivant la personne à qui tu poseras la question. Au final, tout ce qui compte, c’est que quelqu’un pense, bouge, fasse ou ressente quelque chose quand il voit des photos ou écoute de la musique.

D’après toi, qu’est-ce qui te rend différent des nombreux autres photographes, qu’ils travaillent dans le monde du sport ou de la musique ? La patte Glen E.Friedman, c’est quoi ?

Ca, ce n’est pas à moi de le dire, ce sont aux autres de juger. Ma perspective personnelle, c’est de partager et d’inspirer de la même manière que j’ai moi-même été inspiré, que ce soit d’un point de vue personnel, intime ou artistique, même politique. J’essaye d’amener ça dans mon travail de la façon la plus respectueuse qui soit. Avec coeur et intégrité. Non pas comme un documentaliste mais en tant qu’artiste, interprète et collaborateur de ceux qui m’amènent à prendre les photos que je fais.

Tu t’es lié au skateboard, puis au punk rock, puis au hip hop en tant qu’activiste local, ce qui t’a permis de te connecter facilement avec ces trois communautés. Avec l’âge, considères-tu toujours en faire partie ? Continues-tu de les suivre avec attention ?

Bien sûr que je les suis encore ! Ces cultures coulent dans mes veines, et le temps que j’ai passé – et passe encore – en leur sein a laissé une marque indélébile et m’inspirera toujours. Aujourd’hui, les cultures spécifiques de ce genre ont une influence plus importante que jamais sur la culture en général. Je reste donc très attentif, mais à un niveau différent du fait de mon âge et de là ou j’en suis dans mon accomplissement. L’évolution de nos activités ne peut jamais être prédite lorsqu’on les démarre, et même si j’espère parfois que des rebondissements ouvrent de nouvelles directions, l’influence des pionniers est toujours là pour ceux qui restent en quête de ‘la vérité’.

Tu dis toi-même que c’est l’énergie et l’engagement de la jeunesse des années 80 qui t’a inspiré. Penses-tu que la jeunesse actuelle est plus passive, donc moins inspirante ?

J’ai été jeune dans les années 60, 70 et 80 (il est né en 1962, ndlr). Mon entourage m’a constamment inspiré et, s’il y avait aussi des gens passifs, ils n’étaient pas parmi ceux avec qui je trainais. Mes potes et moi étions des jeunes progressistes et réfléchis, nous faisions et réalisions beaucoup de choses autour de nous, par nous-mêmes, sans qu’aucun adulte ne vienne mettre son nez dans ce qu’on entreprenait. Donc oui, si l’on compare et que tu es adulte aujourd’hui, la jeunesse actuelle peut paraitre plus passive. Mais qui suis-je pour avancer cela avec certitude ? Les gosses feront ce qu’ils voudront, loin du regard des ainés. C’est comme ça que les vraies différences se font, que les cultures progressent. Il se passe forcément quelque chose, et ce n’est pas parce que je ne les constate pas aussi clairement qu’à mon époque, que les choses ne se font pas.

Au même titre que les groupes de l’époque, tu incarnes véritablement les scènes punk et hip hop des années 80 et 90. Pourquoi ne pas avoir fait en sorte d’imposer ton identité de photographe au sein des générations suivantes ? At The Drive In, Kendrick Lamar ou Kanye West par exemple ne sont pas des artistes qui t’auraient inspiré ?

Parce que ces artistes ne m’ont pas inspiré autant que ceux de l’époque, et parce que les choses sont devenues trop professionnelles. J’ai travaillé toute ma vie avec des amis. Les groupes qui sont arrivés ensuite avaient tous des managers, et se sont tous intéressés à des trucs merdiques qui n’avaient rien à voir avec la façon que j’avais moi de dealer avec les artistes. Puis, je pense que les jeunes artistes ont leurs propres potes avec qui alimenter leur art, avec qui inspirer les gens. Depuis mon heure de gloire, j’ai apprécié pas mal de musiciens et autres artistes qui ont émergé ensuite mais, le plus souvent, j’ai pensé qu’il était préférable de les laisser évoluer dans leurs propres cercles, pour des raisons d’inspiration pure et véritable.

Instagram prend depuis quelques temps une ampleur phénoménale en faisant de chacun de ses utilisateurs un photographe en herbe. D’après toi, est-ce que ce genre de média sert ou dessert la photographie en tant qu’art ?

Il y a du bon et du moins bon dans tout cela. J’ai vu du super boulot sur Instagram mais, vraiment, je trouve ça frustrant de le voir en petit format, sur petit écran, plutôt que dans un livre, un magazine ou même sur un écran d’ordinateur. Ca craint vraiment quand c’est fait sans réflexion, quand ça fait perdre le temps de tout le monde, quand les gens finissent par penser que chaque putain de truc doit être partagé avec tout le monde. Je n’aime pas ça. Mais avec un peu plus de raison, ça pourrait être assez cool.

Qu’elles soient de Fugazi, des Beastie Boys, ou de Public Enemy, certaines de tes photos sont devenues mythiques et ont accompagné beaucoup de personnes toute leur vie. Est-ce la plus grande récompense pour un photographe ?

C’est génial quand une des photos que tu as prises devient celle la plus associée à une personne. Cela valide tout le coeur et l’âme que j’ai mis dans mon travail depuis le début de ma carrière, alors que peu de gens y prêtaient attention et que mes images étaient visibles quasiment nulle part. La récompense, c’est surtout de les voir résister au temps qui passe, de les voir devenir ‘iconiques’ et qu’elles continuent à inspirer. C’est ce niveau d’inspiration qui définit l’importance de la récompense.

Les Beastie Boys ont récemment sorti un livre qui rencontre un grand succès, et tu as édité celui de Fugazi. Ces deux groupes resteront éternellement dans les mémoires…

Keep Your Eyes Open, c’est mon livre de photos de Fugazi. En octobre prochain, je vais sortir Together Forever, un livre similaire comprenant mes meilleures photos de Run-DMC et des Beastie Boys. Tous ces groupes sont restés des amis encore aujourd’hui. Si je devais leur apposer quelques mots, je dirais intégrité et inspiration pour Fugazi, humour et art pour les Beastie Boys.

Je suppose qu’il est plus facile désormais de convaincre les artistes étant donné ta renommée. Mais à l’époque, quelles étaient les clés pour gagner la confiance de groupes aussi prestigieux ?

Quand j’ai commencé à être publié, à l’âge de 14 ans, mon travail a toujours parlé pour moi. J’ai su gagner le respect pour avancer et donner envie aux gens de collaborer avec moi. Je n’utiliserai jamais aucun autre moyen pour convaincre.

En 2012, tu as été intronisé au Skateboarding Hall of Fame. Trouves-tu injuste que ce ne soit pas encore le cas pour celui de la musique ?

(il éclate de rire). Je m’en fous, et je ne crois même pas être dans le radar de ceux qui accordent de telles récompenses. Elles sont parfois de belles reconnaissances, mais elles n’affectent aucunement mon travail ou ma vie d’une façon qui m’importe.

Tu déclares prendre beaucoup moins de photos qu’avant. Pourquoi ?

Il y a plusieurs raisons à cela, mais la plus importante est sûrement que je ne suis plus autant inspiré que j’ai pu l’être.

Quelle est ta plus grande fierté aujourd’hui ?

Mon intégrité, et la façon dont j’ai conduit ma vie et mon business au fil de toutes ces années. Être un artiste compatissant et progressiste. J’aime tous mes livres. MY RULES et THE IDEALIST sont indéniablement de grands ouvrages. Je suis très heureux de les avoir sortis, pour continuer d’inspirer les gens, de partager avec eux tout ce que j’ai pu faire avec un nombre infini de personnes. Je suis plus satisfait que fier.

Plus d’infos sur le site www.burningflags.com

LES LIVRES DE GLEN E. FRIEDMAN
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KEEP YOUR EYES OPEN : FUGAZI
GLEN E. FRIEDMAN : MY RULES
TOGETHER FOREVER : THE RUN-DMC & BEASTIE BOYS PHOTOGRAPHS
DOGTOWN : THE LEGEND OF THE Z-BOYS
FUCK YOU HEROES : GLEN E. FRIEDMAN PHOTOGRAPHS, 1976-1991
FUCK YOU TOO : THE EXTRAS AND MORE PHOTOGRAPHS BY GLEN E. FRIEDMAN

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