06 Sep 24 Fugazi et Jem Cohen, conversation autour du film Instrument
Au début des années 80, Ian MacKaye et Jem Cohen sont potes de lycée. Tous deux devenus des acteurs reconnus de la scène musicale de Washington D.C., c’est tout naturellement que le réalisateur fait connaissance des autres membres de Fugazi quelques années plus tard. Passionné par le groupe, il s’applique alors à suivre les moindres faits et gestes de Ian Mackaye, Guy Picciotto, Joe Lally et Brendan Canty. De 1987 à 1998, que ce soit en studio, en tournée ou en répétition, il était toujours là avec eux, derrière son objectif, dans le but d’immortaliser un parcours qu’il savait déjà légendaire. Dans son coin, Cohen amassa les archives et, sans le dire à personne ni même aux principaux intéressés, ruminait déjà le projet de réaliser un documentaire. C’est quand il commença à montrer ses images au groupe que le film Instrument commença à se concrétiser. Jusqu’à sa sortie événement le 29 mars 1999 via le label Dischord. C’était il y a 25 ans : un quart de siècle que le fameux podcaster Vish Khanna (Kreativ Kontrol) n’a pas manqué de célébrer en s’entretenant avec tout ce petit monde. Avec son aimable autorisation, nous vous proposons ci-dessous une traduction de quelques morceaux choisis de cette passionnante discussion. Pour les anglophones jusqu’au-boutistes, le podcast est à retrouver en bas de page.
Vish Khanna : Instrument a un côté brut et immédiat qui le différencie des autres films. Ian, tu as dit que tu t’es tout de suite senti particulièrement concerné par les images de Jem, contrairement à celles d’autres réalisateurs. Peux-tu nous expliquer ce qu’elles ont de particulier ?
Ian Mackaye : Je parle de la façon de documenter Fugazi. J’ai vu beaucoup de vidéos live du groupe, certaines sont d’ailleurs très importantes, comme ce moment où Guy s’accroche au panneau de basket. Les gens venaient aux concerts avec leurs caméras géantes et j’étais très content de récupérer les images en VHS, de pouvoir les archiver. Seulement, en les regardant, elles étaient généralement banales et ne faisaient de nous que des musiciens en sueur, en train de sauter. Des images de sécurité auraient donné le même résultat. Certaines étaient bonnes parce qu’elles capturaient un moment, mais il a toujours été impossible pour moi de regarder un concert en entier. La plupart des vidéos ou photos live que j’ai vu n’ont jamais reflété ce que je ressentais sur scène. Pourtant, certains photographes sont arrivés à parfaitement transmettre cela, Jem en premier lieu. Ses images sont très différentes des autres : elles sont ralenties, ont ce côté impressionniste, avec un peu plus de dramaturgie. Il était aussi très sélectif dans ses prises de vue.
Jem Cohen : Pourtant, je n’avais pas les moyens de me procurer du matériel professionnel. J’avais des toutes petites caméras qui étaient surtout destinées à un usage familial, mais j’ai découvert qu’en filmant avec certains types de pellicules et de manière très particulière, je me rapprochais de la tradition de la photographie de rue. J’avais aussi une relation très particulière avec le groupe. J’étais sans cesse à quelques mètres d’eux, si près que ça me surprend encore. Je pense notamment au concert du Washington Monument ou je suis avec un grand angle sur les mains de Ian tournant les boutons de sa guitare. Aujourd’hui, je serais certainement plus timide. Mais à l’époque, dans cet univers punk, il n’y avait pas de barrière entre le public et le groupe. Certains fans s’asseyaient ou dansaient même sur scène. Moi, parmi eux, je me sentais très libre !
Vish Khanna : La différence que je ferais, c’est que le film de Jem dégage beaucoup d’intimité. On sent toute l’affection qu’il porte à Fugazi. Jem n’est rien d’autre qu’un ami qui documente le groupe…
Guy Picciotto : Oui, puis il connaissait la musique, le rythme des chansons, la dynamique du jeu, ce qui fait vraiment la différence quand tu filmes en live. D’autant plus que nous improvisions beaucoup, et de plus en plus avec le temps. De fait, il devait improviser lui aussi, ressentir l’énergie et la façon avec laquelle elle se diffusait, savoir sur quoi porter son attention. Quand je regarde certaines séquences, je suis impressionné : c’est incroyable comme Jem sait anticiper et saisit toujours le bon moment. Mais il nous a vus tellement de fois ! Un caméraman occasionnel ne peut pas saisir ce genre de choses. Tu sais, je suis quelqu’un d’assez gêné de nature, pourtant je ne me suis jamais senti mal à l’aise lorsque Jem était avec nous. Nous étions nous-mêmes, et lui réussissait à se fondre dans le décor comme personne.
Vish Khanna : Justement, concernant l’anticipation, la caméra sur le morceau d’ouverture – Shut The Door (vidéo ci-dessous) – filme comme si on voyait le concert à travers le regard d’un homme. La caméra semble aussi surprise que le public et saisit parfaitement la tension qu’il peut y avoir entre Guy et Ian lorsqu’ils se traquent. Jem, tu savais ce qui allait se passer à ce moment-là ?
Jem Cohen : Non mais je ressentais les choses. Comme lorsque le groupe était entre deux chansons : j’entendais quelque chose et je savais qu’ils allaient partir sur tel ou tel titre. De là, je savais de quel côté me placer. En fait, quand je suis avec ma caméra, je me mets aussi proche que possible des musiciens. Je suis probablement frustré de ne pas en être un, ou de ne pas l’avoir été. Moi, ma liberté, mon improvisation, je la trouve dans la réalisation. J’ai toujours aimé ce groupe et, ce que les gars ne te diront jamais, c’est que leurs prestations étaient toujours d’un niveau extrêmement élevé. Ils avaient beau sortir de scène déçus parfois, j’assistais toujours à quelque chose d’extraordinaire. Et des groupes, j’en ai vu beaucoup ! Pour certains, il fallait s’arracher pour obtenir de bonnes images. Avec Fugazi, c’était un orage qui s’abattait tous les soirs. Quoi de mieux à filmer ? (…)
Ian Mackaye : C’est seulement quand Jem nous a montré toutes ses séquences que nous avons envisagé de les exploiter et d’en faire un film. Nous avions d’un côté toutes ces images muettes en super-8, et d’un autre des heures de musique, des démos que nous avions enregistré et que nous n’avions jamais pu utiliser. En fait, on avait déjà une bande-son qui collait avec les images ! Ensuite, nous avons décidé d’enregistrer et de filmer quelques trucs en live. C’est là que Jem a acquis une caméra 16mm avec laquelle il a fait des images en studio ou en répétition. Au fur et à mesure de la réalisation, on s’est demandé s’il fallait qu’on parle, et on a rapidement décidé que non. Enregistrer en studio, c’est notre travail. Faire un film, ça ne l’était pas du tout donc on essayait seulement de trouver la meilleure façon de le faire.
Jem Cohen : Faire un documentaire, c’est un peu être un voleur. Le but est le même que pour la photographie de rue : capturer le monde tel qu’il est, et non pas le monde tel qu’il réagit face à l’objectif. Je n’ai jamais trop aimé les caméras vidéo, je ne savais pas trop comment les faire fonctionner. Mais je suis content de m’y être mis parce qu’elles m’ont permis d’immortaliser des conversations en studio qui sont en quelque sorte inestimables aujourd’hui. J’étais comme un voleur donc, mais aussi un ami, donc pas seulement un voleur. Ça me rappelle cette conversation intéressante à Guilford pendant laquelle j’ai simplement posé la caméra sur la table, sans la tenir…
Ian MacKaye : Tu avais mis du ruban adhésif noir sur le voyant lumineux.
Jem Cohen : Non, je n’avais pas mis de ruban. Je pouvais désactiver le voyant en allant tout simplement dans le menu.
Vish Khanna : Tu avais enregistré la conversation à l’insu du groupe ?
Jem Cohen : Non…
Ian MacKaye : Si. Je crois bien que tu as collé ce scotch… (rire).
Jem Cohen : Bon, c’est possible. Peut être que je n’avais pas trouvé la fonction dans le menu.
Ian MacKaye : Nous étions dans la maison de Guilford, dans le Connecticut, et nous travaillions sur des démos. Jem était venu nous filmer et nous avons eu cette discussion sur le fait de se laisser interviewer pour le film ou non. Nous avons fait une réunion à ce sujet. Nous étions autour de la table de la salle à manger, Jem était au bout, avec la caméra sur la table. Il nous soutenait que c’était une bonne idée de parler face caméra tandis que nous, nous lui soutenions le contraire : nous préférons faire les choses plutôt que les dire. A un moment, je me suis aperçu qu’il ajustait et déplaçait la caméra. C’est comme ça que j’ai réalisé qu’il filmait. On me voit d’ailleurs à gauche de l’écran mettre ma main devant mon visage tant je suis consterné. Je me suis alors dit que si les autres membres du groupe s’en apercevaient, ça pourrait mal finir. C’était un moment gênant parce qu’on parlait devant la caméra du fait de parler ou non devant la caméra. Tu vois ?
Vish Khanna : Ian, tu as donc réagi de manière viscérale quand tu t’es aperçu de ce qui était en train de se passer. Qu’en a-t-il été pour les autres ? Comment avez-vous réagi quand vous avez vu la séquence ?
Ian MacKaye : Je leur ai dit après coup.
Guy Picciotto : Je savais que Jem pouvait parfois être sournois. Ça n’a donc pas dû me surprendre plus que ça. Je pense qu’il y avait comme une suspicion. Ce qui est étrange quand nous sommes filmés, c’est qu’on a l’impression de nous forcer à être nous-mêmes, d’être une version correcte de nous-mêmes, ce qui amène des réactions améliorées. Je me souviens notamment d’un moment en studio pour Red Medicine. On avait vraiment du mal sur une partie d’une chanson, alors l’ambiance est devenue un peu plus houleuse que d’habitude, mais la présence de la caméra a eu un effet civilisateur. Cette session a été paradoxalement la plus litigieuse et la plus agréable de toutes, et la présence de la caméra y est certainement pour quelque chose. Je n’aurais jamais cru cela ! Cette sensation d’être épié a été propice à la création et à la bonne humeur. Tout ça pour dire que j’étais dans cet état d’esprit au moment de la scène en question et que les arguments que nous avions étaient très spécifiques au film que nous étions en train d’essayer de faire. Nous étions très attentifs à la façon de tourner tout ça, à ce qu’il n’y ait aucune contradiction avec notre discours. Il était hors de question que ce film soit une présentation. On voulait qu’il représente exactement ce que nous étions, que notre travail parle de lui-même. Il s’agissait d’écouter des chansons, de regarder des performances, de nous voir évoluer dans le monde et de s’en tenir à ça. Je crois que c’était mon argument lors de cette discussion. (…) Le film comprend différentes sources d’images et je pense que la plus importante est celle de l’Eastern Middle School (vidéo ici). Beaucoup de gens ont souligné le côté comique de cette jeune fille qui nous interviewe, du fait de cette atmosphère très bizarre, alors que cette séquence est finalement plus astucieuse qu’il n’y parait : c’est grâce à elle notamment que nous avons pu saisir l’opportunité d’utiliser ce genre de documents afin de répondre de façon détournée aux questions que Jem voulait nous poser.
Ian MacKaye : Il se trouve qu’avant cette séquence, nous avions plus ou moins envisagé de nous servir de ce genre d’interviews comme script d’un film ou nos rôles auraient été joués par des gosses. Or il se trouve qu’on nous a demandé de faire cette interview lors de laquelle il n’y avait aucun adulte : un adolescent tenait la caméra, les techniciens son et image étaient très jeunes également. Il devait tous avoir environ 13 ans. J’avais gardé les images pour nos archives et il était évident qu’il fallait les utiliser tant elles servaient parfaitement le film. Cette gamine était nerveuse, c’était sans doute sa première interview. Pour nous, c’était très bizarre de nous retrouver à 8h30 le matin dans une salle de classe. Je me souviens que j’avais dû faire un aller retour en train pour New-York, qu’il neigeait… Tout était surréaliste ! Nous n’avons pas demandé l’autorisation d’utiliser ces images à l’école, mais j’ai obtenu l’accord de la demoiselle, et c’est ce qui me semblait le plus important parce que je ne voulais pas qu’on la jette en pâture comme ça. C’était une enfant fascinante à l’époque puis, après le lycée, elle est devenue une dure à cuire, une révolutionnaire ! Intéressant ! Elle était embarrassée quand on lui a demandé mais je l’ai convaincue que, dix ans plus tard, elle trouverait ça cool. C’est une scène incroyable.
Vish Khanna : Parlons de la bande-son. C’est incroyable comme elle est aussi instructive au sujet du groupe que le film en lui-même. Il y a dedans des sons, même des façons de chanter, que nous n’entendons pas dans d’autres albums de Fugazi…
Brendan Canty : Quand j’y repense, je ne me souviens pas qu’on ait enregistré des choses spécifiquement pour le film. Ian notamment possède beaucoup de trucs que nous avons capturés nous-mêmes. Je ne sais plus comment nous enregistrions à la Dischord House mais je me souviens que nous avions 4 micros et un 4 pistes chez la mère de Guy. Puis, quelque temps après, nous avons acheté un 8 pistes. Ou que ce soit, à chaque fois que nous enregistrions, on expérimentait et on sortait des sons qui n’étaient pas forcément destinés à nos disques mais qui nous aidaient dans notre processus d’écriture.
Guy Picciotto : Étrangement, certains sons auraient pu finir sur nos disques tant ils étaient meilleurs que ce que nous avons fait ensuite. La démo de Guilford Fall (vidéo ci-dessous), par exemple, sonne infiniment mieux que la version de l’album. C’est ce que j’aime particulièrement dans Instrument. Je crois que c’est l’un de mes albums préférés. On y entend toute la liberté qu’on s’accordait à ce moment-là, toute l’aisance que nous avions acquise à force de nous enregistrer.
Joe Lally : Oui, le fait de posséder notre propre matériel nous a rendu plus relax et plus enclins aux expérimentations. On découvrait les choses par nous-mêmes. On aime tous ce disque parce qu’on y entend des trucs différents de quand nous jouions les titres plusieurs fois de suite jusqu’à obtenir la bonne prise.
Brendan Canty : Est-ce que Jem peux nous parler des portraits de fans qui sont, pour moi, très importants. D’où t’es venue cette idée ? T’es tu inspiré de quelque chose ? Et pourquoi les avoir présentés de manière si austère ?
Jem Cohen : Disons que j’ai toujours été imprégné de certaines traditions familiales. Parmi elles, il y a ces photographies vernaculaires que l’on trouve dans les magasins de cadeaux. Tu sais, ce genre de portraits faits à la maison, dans les années 20 ou 30, sur lesquels les gens se tenaient le plus normalement possible. A l’époque, les personnes prises en photo ne souriaient jamais car les expositions étaient longues et le sourire pouvait gâcher la photo. Il y avait dans ces portraits une gravité que j’ai toujours aimée. Donc je suis heureux que tous ces portraits occupent une place importante dans le film.
Guy Picciotto : Le problème de la plupart des documentaires, c’est qu’ils traitent souvent du divorce entre le groupe et sa communauté. Ce que nous faisions n’était pas seulement le produit de notre imagination, mais avait aussi un lien direct avec la communauté, la scène au sein de laquelle nous évoluions, comme avec les gens qui en faisaient partie et ce qu’ils représentaient. En quelque sorte, le groupe est un comme un entonnoir pour beaucoup d’impulsions, d’énergies… En gros, le film n’est pas seulement sur Fugazi, mais aussi sur tous ces gens. D’autant que chaque fois que nous étions sur scène, notre volonté était de ne faire qu’un avec la foule, de créer quelque chose ensemble. Ces portraits concrétisent un peu cette idée.
Vish Khanna : D’ailleurs, à la fin du film, on entend quelques membres du public et il est clair que certains sont très familiers du groupe, quand d’autres savent peu de choses au sujet de Fugazi. C’est fascinant…
Guy Picciotto : C’est tout le charme d’appliquer un prix d’entrée très abordable. Quiconque avec le moindre intérêt pour nous, pouvait venir. Nous n’avions pas que des gens qui nous étaient totalement dévoués. Cela rendait l’échange beaucoup plus intéressant.
Ian MacKaye : Avoir des images du public est une demande que l’on a faite à Jem. Il était hors de question que, comme beaucoup de vidéos des années 80 et 90, il ne s’agisse que d’un groupe sur scène. Jem a bien pris ça en compte et a poussé l’idée plus loin encore. Avant que l’on joue, il squattait les parkings, parlait avec les fans et les filmait.
Vish Khanna : Ian, il y a aussi cette scène où tu es amené à virer quelqu’un de la scène (vidéo ci-dessous). Est-ce que ce genre de chose arrivait souvent en tournée ?
Ian MacKaye : Ca arrivait, oui. En fait, nous avions toujours avec nous une enveloppe de billets de 5 dollars au cas où nous soyons amenés à rembourser des gens que l’on veuille dégager de la salle. On leur filait leur billet, et on les virait par la porte de derrière. Ça arrivait donc, mais ce n’était pas surprenant non plus. Il y a toujours des gens qui, parce qu’ils ont payé 5 dollars, se croient autorisés à gâcher le moment d’une, de cinq, de dix personnes, ou même de toute une salle. Il est même arrivé que nous devions éjecter dix ou quinze imbéciles d’un coup.
Jem Cohen : Je dois dire que j’ai vu beaucoup de concerts et ce n’est pas arrivé tant de fois. Concernant cette scène de Knoxville, elle ne fait pas des gars des héros. D’ailleurs, pour ce film, Ian ne m’a jamais censuré, et c’est tout à son honneur puisqu’il peut y avoir des séquences qui ne donnent pas forcément de lui l’image que les fans voudraient avoir. Rien dans ce film n’a été retravaillé pour donner une meilleure image de Fugazi. Au contraire, je me souviens de discussions que nous avons eu, où les gars me disaient qu’ils voulaient plus de gens qui les dénigrent. Ils adoraient ça, mais j’ai réussi à leur rappeler qu’il y avait plus de personnes qui les aimaient, ce qui les mettait un peu mal à l’aise. J’ai dû faire des pieds et des mains pour ne pas tomber là-dedans (rire).
Brendan Canty : On avait quand même beaucoup de critiques à l’époque, et pas toujours de bonnes chroniques. D’ailleurs, le film nous a aidés dans ce sens. Il nous a aidé à paraître plus cool.
Jem Cohen : C’est vrai que beaucoup de journalistes de gros médias étaient souvent sarcastiques au sujet de Fugazi. Ils pointaient le côté politique et donneur de leçon du groupe, ce qui me répugnait. Avec ce film, mon but était donc plus que jamais de les montrer comme ils étaient, et de souligner notamment leur humour parce que ce sont des mecs très drôles. En conclusion, un journaliste qui ne parle pas vraiment de musique quand il aborde un groupe n’est pas un bon journaliste. Moi, j’ai voulu souligner leur façon de travailler, d’improviser, de ne jamais faire de setlist. Fugazi avait un terrain de jeu délimité sur lequel il évoluait totalement librement.
Vish Khanna : Enfin, il faut qu’on parle de cette séquence du panneau de basket (vidéo ci-dessous). Je ne sais pas si un scout de la NBA était dans la salle… Guy, comment as-tu vécu ce moment ?
Guy Picciotto : C’était au début du groupe. On jouait à Philadelphie et c’était un des premiers concerts qu’on donnait en dehors de Washington D.C. C’était dans un gymnase où il y avait peut être 50 personnes, et nous nous sommes installés sous ce panier de basket. A l’époque, je ne jouais pas encore de guitare au sein de Fugazi, que j’avais rejoint un peu en décalé. Auparavant, j’avais eu 5 groupes en tant que guitariste et c’était la première fois que j’étais seulement chanteur. Je n’avais donc qu’une seule chose à faire : me lâcher et me laisser habiter par la musique. Glueman, avec son groove, s’y prêtait particulièrement bien. Mais il y a eu d’autres concerts où j’ai fait des choses plus dangereuses que ça, seulement il n’y a pas d’images. Je me souviens notamment du Tacoma World Theater ou j’ai monté une échelle d’une quinzaine de mètres qui est tombée. Bref, pris dans le moment, je me suis accroché à ce panier et ce qui devait arriver arriva. Je n’avais d’ailleurs aucune idée que j’étais filmé. Ce n’est que lorsque nous avons joué plus tard à Fort Reno et que Todd Crespi est venu nous voir avec ces images que j’ai su que ça avait été immortalisé. C’est drôle parce que la vidéo est coupée avant la fin donc je ne me souviens plus si je suis tombé. Je crois que j’ai atterri dans la batterie de Brendan.
Vish Khanna : Brendan, tu te souviens de ce qui t’est passé par la tête ? A l’image, tu sembles complètement conscient de ce qui se passe au-dessus de toi…
Brendan Canty : Ca m’a rappelé l’énergie de Rites of Spring qui y allait toujours à fond. Du coup, ça ne m’a pas surpris plus que cela, même si c’était très ambitieux venant de Guy.
Guy Picciotto : Ca me met un peu mal à l’aise que ce moment soit devenu si emblématique. Je reconnais que c’est très photogénique et que c’était un super moment, mais ce n’était qu’un délire. A cette époque là, je m’intégrais au groupe et prenais conscience du pouvoir de création de ces mecs. Je me suis laissé déborder par l’énergie dégagée. Je comprends que ces images aient marqué mais elles ne dégageront jamais toute l’émotion que j’ai ressenti à ce moment-là. C’est une des centaines d’interprétations que nous avons fait de Glueman, un morceau très emblématique pour nous car, grâce à lui, on atteignait une sorte de catharsis lorsque nous le jouions. Aujourd’hui, cette photo se retrouve sur un t-shirt qui génère des fonds pour une oeuvre de charité vraiment importante, donc je l’assume d’autant plus.
Traduction : Matthieu Choquet
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