Fontaines D.C., en attendant le printemps

Fontaines D.C., en attendant le printemps

En juillet dernier, les dublinois de Fontaines DC sortaient leur tant attendu deuxième album, A Hero’s Death, dans un contexte bien particulier, marqué par la crise sanitaire et l’annulation de l’ensemble de leur tournée. Digne successeur de Dogrel, cet album, dont la production a encore une fois été confiée à Dan Carey (black midi, Bat for Lashes…), oscille entre ballades mélancoliques et décharges électriques, et on crève déjà d’envie de le voir présenté sur scène. Nous avons pu rencontrer le groupe, en passage éclair à Paris début octobre. Rencontre avec Conor Curley (guitare) et Tom Coll (batterie) qui ont pu nous en dire plus sur cet album sorti chez Partisan Records, mais également sur leur tournée harassante passée en compagnie de leurs amis d’Idles.

Vous allez jouer demain dans l’émission de Michka Assayas, Very Good Trip, au studio 104 de la Maison de la Radio. Comment vivez-vous ce retour sur scène, malgré le contexte actuel marqué par l’annulation de dates à la pelle ?

Tom Coll : On est super contents, on ne pensait pas pouvoir jouer devant autant de monde avant pas mal de temps, donc ça va être excitant. En fait, pour tout te dire, on ne s’attendait pas à jouer devant un public pour cette émission.
Conor Curley : Ouais, on l’a appris hier seulement. Ça va faire bizarre de remonter sur scène depuis tout ce temps, mais on est très excités à l’idée de rejouer.

Dans le premier titre dévoilé de votre nouvel album, l’éponyme A Hero’s Death, Grian Chatten scande ‘don’t sacrifice your life for your health‘. Pensez-vous que les mesures de restriction actuelles (notamment pour le spectacle vivant) vont trop loin ?

Tom Coll : Ce morceau a été écrit il y a quelque temps, donc ça n’a pas vraiment de rapport avec toute cette épidémie. Je pense que c’était une déclaration soulevée comme ça, elle ne s’applique pas spécialement à la situation actuelle… À l’époque, nous étions dans le tourbillon de notre tournée, et c’est ce que nous avions en tête à ce moment là : profite à fond, ne sacrifie pas ta vie pour ta santé.

Votre deuxième album est sorti le 31 juillet dernier, en pleine crise sanitaire. Quel en a été l’impact sur la sortie du disque ? On imagine que ne pas pouvoir envisager de tourner pour le présenter doit être assez frustrant… A un moment, avez-vous envisagé de reporter la sortie ?

On s’est posé pas mal de questions mais, à ce moment là, les gens avaient aussi besoin de musique, et c’était important pour nous de leur donner quelque chose, de ne pas attendre un moment plus opportun qui n’arriverait peut-être pas. Nous étions prêts à sortir cet album, et notre public avait envie qu’il sorte. Et puis, personnellement, je tournais en rond chez moi, crevant d’envie de présenter l’album, donc…

Dogrel, votre premier album paru début 2019, a donné lieu à une tournée mondiale qui a été visiblement éprouvante pour vous, tant elle fut soudaine et monstre. Vous avez notamment fait deux passages aux Etats Unis pour une vingtaine de dates, dont quelques unes avec Idles… Quel souvenir gardez-vous de cette période ?

Conor Curley : Cette tournée avec Idles était assez bizarre… Il n’y avait pas vraiment de tête d’affiche, de première partie, nous étions juste deux groupes ensemble sur un même circuit. On se sentait comme des employés à part entière, comme si on avait un boulot normal, régulier : tout le monde se réveillait à la salle de concert comme on se serait réveillé au bureau, tout le monde s’asseyait, discutait avant que les choses ne se mettent réellement en place. A la longue, toute cette familiarité est source d’ennui. Même si les endroits changent tous les jours, c’est assez répétitif. C’est super d’avoir cette fraternité avec un groupe, pour autant nos souvenirs de cette tournée restent assez confus. C’est un mélange de pas mal de trucs…
Tom Coll : Un mélange entre se bourrer la gueuler et faire des concerts ? (rires)
Conor Curley : Avec le recul, ce fut une année assez floue, au point qu’on ne pourrait pas vraiment te sortir de souvenirs très spécifiques. J’ai l’impression qu’on pourrait à peine s’assoir et faire le bilan de tout ça. Pour nous, c’était à la fois la meilleure année, et la plus intense.

Pour A Hero’s Death, vous avez continué à travailler avec Dan Carey (black midi, Bat for Lashes…), dans son studio londonien. Cette collaboration vous a-t-elle ouvert des perspectives nouvelles ? Est-ce que le fait de quitter Dublin a eu un impact dans votre manière d’enregistrer ?

Le fait d’avoir enregistré l’album dans les même conditions que le précédent nous a conforté dans notre travail, on est rentré dans le studio un peu comme à la maison, chaque chose était à sa place. En plus, on a la chance d’entretenir de très bonnes relations avec Dan, donc c’était assez simple de se remettre à travailler ensemble. Je pense que sa principale contribution est la manière qu’il a de travailler avec nous. Dan est quelqu’un qui a un très bon relationnel avec les gens avec qui il travaille, et il sait tirer le meilleur d’eux-mêmes. Il a réussi à mettre en place cette atmosphère immédiate, en créant des règles du genre : tu dois jouer 3 morceaux d’un coup, et si tu en rates un, tu dois tout recommencer, ce genre de trucs … Il est très bon pour créer ce genre d’environnement de travail, et ça s’entend sur les enregistrements : les titres sonnent très live, cela donne beaucoup de place à l’immédiateté. C’est un peu sa marque de fabrique.

Le clip de A Hero’s Death met en avant l’acteur irlandais Aidan Gillen, mondialement connu notamment pour son rôle dans la série Game of Thrones. Comment s’est faite cette rencontre, et comment est née l’idée de ce clip ?

Je crois que notre manager connaît Aidan, ils sont du même coin. Quand on a décidé de faire appel à un acteur pour ce clip, il lui a tout de suite proposé, histoire de voir s’il serait partant. Il était disponible et ça s’est plutôt bien passé, il était pas mal intéressé par le projet. En fait, c’était assez surréaliste de travailler avec un acteur de cette envergure… L’idée derrière cette vidéo était de mettre en scène une satire d’un show télévisé britannique, avec un présentateur qui ne connaît même pas le nom du groupe qu’il invite, ce genre de trucs…

Vous disiez avoir exprimé de nouvelles influences sur cet album, notamment celle des Beach Boys dans les harmonies vocales, mais également Broadcast, Leonard Cohen… Qu’est-ce que ces artistes vous ont fondamentalement apporté dans l’écriture de A Hero’s Death ? Je parle en termes de textes, de sonorités, d’arrangements…

Tom Coll : Je pense que c’est essentiellement des groupes que nous écoutions en tournée. J’imagine que ça a forcément eu un impact inconscient sur notre musique.
Conor Curley : Broadcast, par exemple, est un groupe génial qui a réinterprété magnifiquement le passé, dans un spectre très orienté 60’s, en ajoutant des éléments électroniques. Ce genre de développements sur de la musique passée, c’est quelque chose que nous essayons également de faire avec nos guitares… Il y a tellement de choses qui ont été faites que tu ne peux que réinterpréter ces choses à ta manière.

Les textes de Dogrel nous avaient plongés dans la ville de Dublin. Ils y dépeignaient une certaine nostalgie des années passées. Sur ce nouvel album, la ville est encore très présente, ne serait-ce que dans le visuel choisi. Pour autant, il semble que vous n’ayez pas voulu vous répéter. Quelles ont été les thématiques que vous avez voulu aborder sur ce nouvel album ? La tournée monstre passée avec Idles ou votre expérience aux USA ont-elles été une de vos inspirations ?

Tom Coll : J’ai l’impression que ce deuxième album n’est pas centré spécifiquement autour d’un endroit. Contrairement au premier où nous étions tous à Dublin, nous avons énormément voyagé durant le genèse de A Hero’s Death. Pour autant, les paroles ne parlent pas spécialement de ça, elles sont davantage introspectives, peut être également plus surréalistes. J’ai l’impression que nous avons été continuellement en transit pour ce disque là.

Vous dites avoir puisé pas mal d’inspiration dans vos pubs fétiches à Dublin. Selon vous, qu’est-ce qui fait la définition d’un bon bar ?

(leurs yeux s’illuminent littéralement)
Ah, alors ça, c’est une bonne question… Déjà, je pense que tu as besoin d’avoir une bonne pinte de Guiness, un paquet de clopes à proximité, euh… C’est dur de trouver la définition.. C’est quoi pour toi un bon bar Curley ?
Conor Curley : Its’ a feeling, man… (rires)… Être à l’étranger, le plus loin possible de chez toi, est peut-être la meilleure des réponses. En face de l’hôtel par exemple, il y a un petit PMU qui ne paye pas de mine, on ne peut pas vraiment appeler ça un pub, mais c’est un endroit où l’on se sent très bien, les gens qui y bossent sont sympas…

Une des thématiques qui vous semblent chères est la gentrification de votre ville. Selon vous, quand ce phénomène a-t-il débuté ? À quel moment Dublin a évolué au point que certains de ses habitants ne la reconnaissent même plus ?

Je crois que nous n’étions même pas à Dublin quand la ville a réellement commencé à changer. Ca a été un phénomène lent, graduel : petit à petit, tout est devenu plus cher… Mais la gentrification n’est pas un phénomène lié à Dublin essentiellement, tu retrouves cela partout dans le monde. Ce thème est important pour nous car cela nous affecte tous. Les loyers grimpent, et les seuls boulots que nous pouvons trouver (à moins de travailler chez Google) sont des jobs qui ne nous permettent même pas de nous loger au sein de la ville… Quand nous avons écrit Dogrel, nous travaillions pour être musiciens à plein temps, et on a eu la désagréable sensation d’être foutus dehors car nous n’avions pas les moyens d’y vivre, avec notre groupe. Et les gens n’en avaient pas grand chose à foutre. Mais encore une fois, ce n’est pas spécifique à Dublin, malheureusement. C’est peut-être la raison pour laquelle beaucoup de gens s’identifient à nos textes. Ce thème doit forcément trouver un écho ailleurs.

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