23 Nov 18 Flavien Berger, vers l’infini et au-delà
Flavien Berger est un curieux personnage. Un être aussi attachant qu’imprévisible, et qui ne cesse depuis ses débuts il y a quelques années, de démontrer l’envie qu’il a de faire évoluer son univers et sa musique. Contre-Temps, son nouvel et second album paru en septembre dernier, ne déroge pas à la règle. Entre sensibilité et fantasmes, expérimentations sonores et textes intimistes, le français nous a probablement offert parmi ce qui s’est fait de mieux cette année dans l’hexagone en terme de musique pop. Aller à sa rencontre semblait donc une évidence. Ça s’est déroulé durant sa tournée, lors de son passage au Rockstore de Montpellier, avec un entretien oscillant entre l’espace et le temps. Magique.
Comment te sentais-tu lors de la sortie de ton nouvel album ?
Flavien Berger : Pour moi en fait, ce disque, il est sorti lorsque je l’ai terminé. Le plus gros soulagement, ça n’a pas été de le sortir mais plutôt de le finir. Parce qu’il y a toujours ce truc compliqué du deuxième album où le système te met un peu la pression et, par conséquent, tu te la mets aussi un peu. Quand je l’ai terminé, on l’a directement fait écouter à mes proches et à des professionnels, donc pour moi il n’y a pas vraiment eu d’effet de surprise lors de sa sortie, mise à part la rencontre avec le public qui a été ouf. C’est comme ça que je l’ai ressenti en tous cas.
Plutôt comme un soulagement donc…
Oui un peu, en tous cas je me suis dis ‘ça y est, c’est fait‘. Ce que j’ai compris avec le temps, c’est qu’un disque c’est comme n’importe quelle œuvre, comme un bouquin ou un film, c’est un instantané. C’est ce que tu es à une période précise, avec tes références du moment, ta sensibilité, ta fragilité ou ta force, ce que tu es à ce moment là. Ça, je l’ai compris assez tardivement parce qu’à la base, je cherchais à faire un album qui montre le meilleur de moi, alors que finalement me mettre des défis et tenter d’aller dans des territoires que je ne connaissais pas, c’était ça le mieux pour pouvoir me dévoiler à moi même à ce moment là précis de ma vie.
Après avoir apprivoisé le Léviathan du premier niveau, tu passes finalement aujourd’hui au second level, un peu comme dans un jeu vidéo. Comment vis-tu cette nouvelle étape de ce qui ressemble petit à petit à une aventure personnelle, une sorte de quête ?
C’est drôle que tu dises ça. Effectivement, sur mon premier disque, j’essayais d’apprivoiser ce monstre tentaculaire qu’est la musique. Cette fois-ci, c’est le temps que j’essaye de dompter. Et le temps, c’est finalement un peu la substance principale de la musique, donc je tente de comprendre le lien entre tout ça. Il y a effectivement cette idée de quête de l’inconnu, mais aussi l’idée de me révéler en tant qu’humain, de me surpasser.
On parle de quête parce que finalement il y a toujours une correspondance entre tes disques, non ? Une thématique qui fait écho à une autre sur le disque suivant ou le précédent. Tout se suit on dirait ?
Je pense que c’est beaucoup lié au fait que j’ai été étudiant, et que j’ai pendant longtemps étudié autre chose que la musique. J’ai sans doute appliqué cette structure de travail, ce genre de contraintes ainsi que ces cadres à mon travail musical. Si tu veux tout savoir, je pense que Contre-Temps est le deuxième volet d’une trilogie. En tous cas, je le sens comme ça. Ces deux premiers volets se bouclent un peu en kyrielle: la fin de Leviathan parle de voyage dans le temps, puis on le poursuit avec Contre-Temps… Je ne sais pas encore exactement où ça va me mener, mais je pense qu’une trilogie pourrait clôturer ce cycle, ou du moins cette manière de travailler que j’ai, tout seul. Peut-être qu’après, j’irai vers des choses plus lâchées, vers plus de collaborations avec d’autres musiciens… Je ne sais pas en fait. Pour le moment, je sens que j’ai quelque chose à dire, mais qu’il ne faut pas que j’épuise ce système là. Un jour, il faudra que j’aille vers autre chose.
Contre-Temps a été réalisé en un an et demi si je ne me trompe pas. Pourtant, trois ans séparent concrètement tes deux albums, et tu sembles n’avoir jamais vraiment disparu des radars. On a pu t’apercevoir dans certaines collaborations ou dans d’autres domaines. Est-ce que tout ça a apporté quelque chose au disque ?
Fondamentalement ! Toutes les expériences corollaires ont d’une manière ou d’une autre influencé Contre-Temps. Déjà tu sais, quand j’ai sorti mon premier disque, j’ai été vachement bien accueilli, et assez bien admis dans le monde de la musique. Moi qui me considère souvent comme un imposteur, ça m’a donné pas mal confiance en moi.
Ce coté imposteur, c’est quelque chose qu’on se dit souvent au début non ?
Je pense que je me le dirai toute ma vie. Sans doute parce que, au fond, je n’ai jamais eu la volonté d’être musicien. Ça m’intéresse énormément, mais ce n’est pas forcément quelque chose par lequel je pense me réaliser. Ça ne veut pas dire que je ne suis pas sincère dans ce que je fais, je le suis à fond, j’y crois et j’en ai besoin. Mais je suis conscient que je passerai peut-être à autre chose un jour, parce qu’il y a énormément de choses qui m’intéressent, c’est très large. Je n’ai pas le sentiment de vivre ça comme une carrière, je n’aime d’ailleurs pas trop cette idée là. Je le vis plutôt comme une expérience, un projet à creuser. Ça doit rester un partage, c’est comme ça que je le vois, et c’est pour ça que ça tend toujours vers de la collaboration, que ce soit pour les clips vidéos, pour le site internet, pour les pochettes, etc.
Pourtant j’ai cru comprendre en lisant certaines interviews que tu préférais surtout travailler seul lorsque tu réalises un disque, que tu aimes bidouiller dans ton coin, et que tu n’as aucun problème à l’idée de te perdre en solo hors des sentiers battus. Tu n’a pas l’air très fan du studio et du fait d’être entouré. Tu penses que tu pourrais travailler avec des producteurs extérieurs à l’avenir, ou tu te vois évoluer exclusivement seul dans ce domaine ?
Travailler avec un producteur, je ne pense pas, parce que je sais exactement ce que je veux dire dans un disque, j’en ai un peu la vision avant qu’il existe. L’important, ce n’est pas le but mais le chemin parcouru, le process comme dirait Brian Eno. Travailler avec un producteur, ça me semblerait bizarre parce que ça voudrait dire que je veux être autre chose que moi-même, que je veux avoir la vision de quelqu’un d’autre sur ce que je fais. Et concernant le studio, je sais que je ne suis pas très à l’aise effectivement. J’entends par là, le studio dans le sens classique du terme, où tu payes à la journée, t’as des techniciens, etc. J’en ai fait un peu et ça allait, mais c’est juste que, comme je sais ce que je veux faire, je ne veux pas que la chose m’échappe. Je veux pouvoir défendre ce que je fais jusqu’à la fin de mes jours, et là il y aurait cette idée de donner les clés à d’autres gens. Du coup, ça sortirait de mon intuition première.
Et tu n’as pas peur justement de manquer de recul parfois sur ton travail ?
Non, pas vraiment car, malgré ce que je viens de te dire sur les producteurs, il y a toujours plus ou moins quelques personnes à qui je vais faire écouter certaines chansons, avec lesquelles je vais peut-être collaborer sur une idée, et qui me donneront un ou deux conseils par ci par là. Ça permet justement d’avoir un peu de recul de temps en temps. J’essaye aussi de prendre le temps de réfléchir à ce que je fais, de mettre parfois de coté certaines idées ou certains morceaux pour les ressortir quelques mois voire quelques années plus tard. Et puis, c’est bien d’avoir des doutes aussi, même si on sait où on veut aller. Contre-Temps est un disque encore jeune, j’ai le sentiment de le découvrir par moments et tant mieux. Je l’adore et je suis content du chemin qu’on a parcouru lui et moi pour en arriver là.
Difficile d’ailleurs de ne pas remarquer son penchant beaucoup plus pop, bien plus que tout ce que tu as pu faire auparavant, de part les structures, les textes. C’était important, voire évident, de tisser ce lien avec la pop ?
Ce n’était pas vraiment une évidence non, plutôt une contrainte que je m’étais fixé d’aller sur ce terrain là pour voir ce que je pouvais y faire. Et le fait de rencontrer des musiciens lors de la tournée de Leviathan, le fait de discuter et de collaborer avec certains d’entre eux, ça m’a ouvert. Et puis la pop, ça reste un vrai fantasme, il faut le dire ! Je pense que si tu écoutes Ocean Rouge sur mes premiers EP, ça reste de la pop même si c’est un morceau très long. Mais là, on parle de pop comme celle pratiquée par les Beatles ou Michael Jackson, avec des morceaux de moins de quatre minutes, un couplet et un refrain, une structure, etc. L’idée, c’était de faire des chansons qui paraissent simples à la première écoute, mais qui en réalité sont complexes à l’intérieur, que l’auditeur continue à découvrir des choses au fil des écoutes.
Même s’ils ne sont peut-être pas des influences directes, je trouve que ce disque établit des connexions évidentes avec des artistes comme Etienne Daho ou encore Christophe qui ont contribué à changer la pop en France. As-tu parfois le sentiment de reprendre un peu le flambeau ?
En vérité, je ne m’en rends pas compte… Je n’ai pas vraiment ce sentiment là non, mais celui de faire ma musique qui, par la force des choses, arrive à la suite de celle des autres. Ce sont des artistes que je peux écouter, mais je ne me sens pas avoir une responsabilité vis à vis d’un quelconque flambeau. Si ma musique apporte de nouvelles choses, tant mieux, mais ça n’a jamais été un contrat avec moi-même de ‘révolutionner’ la pop. Mon seul but personnel, c’est de m’amuser et de me surpasser, de me surprendre.
Le thème principal du disque, c’est le temps, et notamment le voyage dans le temps qui reste aujourd’hui une idée de science fiction. Mais cette notion, tu la caractérises aussi par de petites parenthèses comme des instants à deux, un petit déjeuner en couple, une ballade en voiture, des moments de nostalgie… C’était ça le but ? Créer un lien entre le fantastique et certaines banalités du quotidien ?
Oui effectivement, il y a cette idée de montrer des instants de vie, des choses simples. Je pensais, en commençant ce nouvel album, que j’allais partir dans quelque chose de très compliqué, de très cryptique avec beaucoup d’effets et de technologies. Mais au final, c’est effectivement un disque qui parle du moment présent, des sentiments dans l’instant.
Je ne sais pas pourquoi mais, ce dont on est en train de parler, ça me fait penser à Daft Punk, au coté ‘Human After All’. Parce que ta musique a quelque chose de parfois futuriste, voire même de robotique, et finalement tu parles du quotidien de n’importe quel être humain…
Ben ouais, c’est hyper intéressant je trouve de prendre ou de considérer un projet musical comme une véritable histoire qu’on raconte. Daft Punk, ils sont complètement dans une grande fiction ! J’aime bien cette idée là.
Et ça t’inspire quoi aujourd’hui la notion du temps justement ? Là, actuellement, en 2018 ?
Le luxe ! Aujourd’hui, le luxe c’est d’avoir du temps. Il y a énormément de gens qui n’en ont plus pour eux-mêmes. Bon après, c’est politique ça, je ne vais pas forcément rentrer là dedans… Mais le temps, c’est les cycles aussi ! Je suis très attentif à ça, aux cycles du temps, des matières. Je ne veux pas tomber dans l’ésotérisme mais, je sais que le temps, c’est de la matière qui bouge. Et la matière, c’est des humains, des pays, mais c’est aussi des planètes. Quand t’as une éclipse par exemple, et bien il se passe quelque chose. Le temps c’est comme une substance, quand tu vis un truc pas cool dans ta vie et qu’on te dit ‘ça se réglera avec le temps‘, là tu te dis ‘ok mais, du coup, c’est quoi le temps ?‘. Ben, le temps, c’est toi qui te déplace dans l’espace et qui traverse la matière qui change et qui évolue.
C’est peut-être ça finalement la notion de luxe, non ? Le fait que le temps est indéfinissable et que le luxe serait finalement de savoir.
Ah c’est une grande énigme oui ! On ne sait pas vraiment en parler, on ne sait pas vraiment ce que c’est, et on va encore chercher très longtemps. Tout comme les abysses d’ailleurs ! On connaît mieux les planètes aux alentours que les abysses de notre propre planète. C’est quand même marrant ça.
Quels sont les artistes qui t’inspirent aujourd’hui ? Qu’écoutes-tu en ce moment ?
Là, je viens de prendre une très grosse claque sur le dernier Connan Mockasin, Jassbusters. C’est un super bel album, assez protéiforme en fait car c’est un disque dont la musique s’intègre dans un sitcom qu’il a réalisé, et dont Jassbusters est le personnage qu’il incarne et qui est un prof disons assez vicieux. Mais Jassbusters, c’était aussi son groupe quand il était jeune, du coup chaque morceau est une des chansons du groupe fantasmé. Ça j’aime beaucoup comme projet car le mec se marre, il se fait plaisir, c’est créatif, et les morceaux sont hyper simples mais tellement beaux… Et sinon, à part ça, je me suis mis aussi en playlist pas mal de musiques du monde, du Mali, etc. De manière générale, j’essaye de me tenir un peu au courant de se qui se fait. Il y a des trucs supers mais, en réalité, je suis beaucoup plus curieux de la musique qui s’est faite il y a très longtemps.
Et à part la musique ? Tu as d’autres sources d’inspirations ?
Grave ! Je n’ai pas trop le temps en ce moment d’aller voir des expos mais j’aimerais beaucoup… Mais sinon, récemment, j’ai regardé une vidéo sur le meilleur artisan boulanger de France. Je ne sais plus son nom mais, sur la vidéo, c’est juste lui qui explique comment il fait son pain. Il en fait juste pour des particuliers, pas pour d’autres boulangeries. Et le mec, il est trop trop bon en fait ! Il t’explique comment il fait ça, comment il distille son eau parce que l’eau du robinet ce n’est pas possible, et que les eaux minérales sont souvent trop minérales. Il commence tout à la base et c’est vraiment trop stylé, t’as l’impression de voir un truc qui a toujours existé.
C’est moi ou on en revient à la matière ?
Ouais, à fond (rires) ! La matière, mais aussi la culture des hommes et comment ils traversent les âges en donnant du sens aux choses. A un moment dans la vidéo, c’est trop beau car il explique que pour connaître la bonne température de son four, il l’entend, tout simplement. Parce qu’il dit qu’à ce moment là, on entend les braises chanter. Donc ça n’est pas qu’une simple métaphore ! C’est vrai qu’elles se mettent à chanter car le bruit de la résonance dans le four, sous la voûte, devient harmonieux. Et finalement, il disait que la chaleur, ce sont des ondes, c’est comme tout. Donc à un moment donné, si le tout semble en harmonie, c’est que c’est le bon moment. Et ça, il l’entend via les crépitements et les résonances qui sont harmonieuses. Là, tu te dis ‘bordel, en fait la chaleur c’est comme les notes de musique, si c’est harmonieux c’est que c’est bon‘… C’est complètement ouf.
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