Fireside, mieux vaut tard que jamais

Fireside, mieux vaut tard que jamais

Acteur majeur de la scène post-hardcore des années 90, Fireside a signé trois premiers albums de haut vol avant de laisser libre cours à des influences plus pop, rock et expérimentales jusqu’en 2003, date à laquelle Kristofer Aström (chant, guitare) et Pelle Gunnerfeldt se sont promis, à la dernière descente de bus, de composer de nouveau ensemble dès que leurs agenda coïncideraient. Quasiment vingt ans plus tard se concrétisent enfin les retrouvailles des deux hommes, entre temps trop occupés par une trajectoire folk pour le premier, par une carrière de producteur pour le second apparu aux crédits de nombreux albums, de Refused à Viagra Boys en passant par The Hives. Connexion avec Kristofer pour dépoussiérer tous les sujets qui nous taraudent, des raisons de cette reformation, aux comparaisons pesantes, en passant par ce nouvel album, ou les principes d’antan qui ont mené le groupe à refuser les services du producteur Rick Rubin.

Comment en êtes-vous arrivés à cette reformation de Fireside ?

Kristofer Åström : Il y a deux façons de voir les choses car nous ne considérons pas forcément cela comme une reformation étant donné que nous nous sommes jamais séparés. Nous nous sommes plutôt octroyés une longue pause, on préfère dire ça comme ça. En fait, notre dernier concert remontait à 2005 et, dès 2006, nous avons commencé à composer de nouveaux morceaux. Certains, ou du moins quelques parties de ces compositions, sont d’ailleurs sur le nouvel album. Mais je comprends que les gens voient les choses ainsi puisque nous avons disparu de la circulation pendant 19 ans. En 2016, on a refait quelques concerts en guise de vraies retrouvailles, puis on a progressivement pensé à enregistrer un nouvel album. C’est ainsi que Pelle et moi, qui sommes les seuls membres désormais du line up originel, avons rallumé la flamme.

En quoi ces concerts de reformation ont joué pour votre confiance et dans votre volonté de revenir pour de bon ?

On s’est vraiment amusés lors de ces concerts. Le public était évidemment beaucoup plus âgé que la dernière fois où nous avions joué, mais les gens ont répondu présents et ont apprécié, semble t-il. Donc, ça nous a rassurés et nous a poussés à aller de l’avant, à écrire de nouvelles chansons.

Pelle Gunnerfeldt et toi êtes-donc les deux survivants de Fireside. Pourquoi Frans (basse) et Per (batterie) ont-ils choisi de ne pas vous suivre ?

Là encore, il y a plusieurs points de vue. Je pense que la raison principale, c’est qu’ils ne le souhaitaient pas, tout simplement, surtout parce qu’ils n’avaient pas vraiment le temps de s’investir. Per a un podcast qu’il enregistre quotidiennement et qui marche très bien. Frans, lui, a un autre groupe, Big Bird, donc il ne se voyait pas non plus accorder du temps à Fireside, pour la composition comme pour l’enregistrement. Puis, il faut le dire, quand nous avons joué ces quelques concerts de reformation, on a tous senti qu’on se replongeait dans la même ambiance, dans la même façon d’être que 14 ans auparavant et ça, personne a trouvé cela très agréable. On s’apprécie les uns et les autres mais, quand nous sommes tous ensemble, l’alchimie est différente. C’est plus fort que nous. Ce n’était pas sain, au point que cela faisait de nous des gens que nous n’aimions pas vraiment. Tout cela a évidemment joué dans leur décision. En fait, tout le monde trouvait cool d’être réuni mais, en tant que personnes, on ne voulait plus être le Fireside d’avant. Donc ils nous ont laissés faire cet album tous les deux, en nous souhaitant qu’il soit le meilleur possible. Nous ne sommes absolument pas fâchés, nous sommes toujours amis. Pelle et moi avons respecté leur décision.

Kate et Jacob sont donc arrivés pour les remplacer. Qu’apportent-ils au son du Fireside de 2022 ?

Ils apportent de l’énergie, celle que nous avions à l’époque, surtout Jacob à la batterie. Je crois que cette énergie est communicative et qu’elle nous pousse à vouloir faire mieux, à jouer plus fort. Surtout, ils apportent un sentiment de groupe, ce qui facilite le travail de composition que Pelle et moi faisons, mais aussi l’enregistrement. Nous n’avons pas de problème avec eux, et ils n’en ont pas avec nous, donc on ne se chamaille pas pour chaque note.

Après Fireside, tu t’es lancé dans une carrière folk. Est-ce qu’on doit interpréter ce retour comme une volonté de ta part de renouer avec l’énergie du rock n’roll ?

J’y pensais déjà depuis un moment. J’ai même essayé de former plusieurs fois de nouveaux groupes de rock ou de punk, mais ça n’a pas marché. Tu sais, tu fais la fête, tu rencontres des gens, puis vient l’idée de jouer ensemble, et ça ne se concrétise finalement pas. Parfois tu y arrives, donc tu répètes, tu écris quelques morceaux, puis tu arrêtes… Je crois que je voulais jouer le rock de Fireside, donc ça a été une bonne décision de remettre le groupe sur les rails.

Cette conversion au folk n’a pas été très surprenante finalement. La mélancolie a toujours fait partie de ton chant, même au sein de Fireside. Ca se vérifie d’ailleurs encore aujourd’hui avec un morceau comme The Burlyman

C’est vrai que cette chanson est un bon exemple. Chez Fireside, j’ai toujours été celui qui appréciait le plus la musique calme, mélodique. J’ai toujours aimé la country aussi, la musique indie plus douce, alors que les autres étaient branchés par d’autres trucs. Ce contraste, je l’ai toujours apporté à Fireside, et je pense que ça contribue à notre identité, à notre originalité, même si tu peux évidemment entendre des influences d’autres groupes.

Ce chemin folk, c’était une suite logique pour toi à l’époque ?

Oui. On a beaucoup tourné aux Etats Unis au milieu des années 90, surtout en 1996 et 1997. Après la dernière tournée, on en a eu marre. C’était difficile de voyager dix heures par jour pour jouer chaque soir devant deux personnes. Quand je vois les groupes tourner là-bas, je les admire. En rentrant, on a donc décidé de faire une pause. J’avais quelques chansons qui n’étaient pas vraiment destinées à Fireside, donc j’en ai parlé à ma maison de disque, puis j’ai décidé d’aller en studio. J’ai enregistré avec Per, et un autre gars au piano, Peter Hermanson. On ne savait pas vraiment où on allait, mais ça s’est avéré plutôt bon, donc on a continué. Du coup, mon prochain album sera le dixième ! Fireside a beau rejouer, je continue mon parcours.

Le tournant de la carrière de Fireside a été cet album, Do Not Tailgate, qui est sorti chez American Recordings, le label de Rick Rubin. Comment s’est faite la connexion avec lui ?

Il a entendu le disque qui était sorti en Europe chez Startracks, et il l’a aimé. Quand nous sommes allés aux Etats-Unis en amont de la tournée Lollapalooza, il a pu venir à un de nos concerts, et c’est là qu’on l’a rencontré la première fois. Il était debout dans le public, en train de pleurer parce qu’il adorait. C’est un sacré souvenir de voir ce barbu pleurer ! Il était convaincu, et voulait nous signer. Il était vraiment sympa, on est allé chez lui, il nous a invités à diner… Mais, avec Fireside, on a toujours voulu faire les choses nous-mêmes, pour le meilleur comme pour le pire. Donc quand il a émis le souhait de produire Uomini d’Onore, l’album suivant, on a dit non parce qu’on pensait faire mieux. Je pense que c’est le fait d’avoir grandi dans le nord de la Suède, une région où tu étais habitué à te suffire à toi-même, à ne pas dépendre des autres. Ça a été une décision stupide avec le recul mais, à l’époque, elle nous semblait être la bonne.

Il faut quand même oser refuser Rick Rubin ! Avec le recul, tu penses que c’était un peu prétentieux de votre part ?

Je ne sais pas, je ne suis pas sûr qu’on ait réfléchi ainsi. En y repensant, ça l’est, mais à l’époque, je pense qu’on en a discuté, et qu’on s’est vraiment demandé ce qu’il allait faire de nos morceaux. On avait toujours tout enregistré nous-mêmes, donc on a continué dans cette voie, en pensant que personne ne pouvait connaitre notre musique mieux que nous (rire).

Elite est sorti en 2000. Ça a été un quatrième album très expérimental, très libre en quelque sorte. C’était votre état d’esprit à ce moment-là ? Est-ce qu’un album comme The Shape of Punk to Come de Refused, sorti deux ans auparavant, a servi de détonateur et vous a incités à vous défaire d’influences plus classiques ?

Peut être dans un sens, mais c’était surtout naturel pour nous. Au début du groupe, on trainait pas mal avec les groupes de hardcore suédois comme Refused. On jouait avec eux, mais on n’a jamais vraiment considéré faire partie de la même scène. On était ni un groupe de hardcore, ni un groupe de pop, donc c’était difficile de nous mettre dans une case. Avec Elite, on a touché au post rock, à des groupes plus expérimentaux comme Mogwai ou Tortoise. C’était assez spécial car nous nous sommes jamais retrouvés au même moment en studio pour l’enregistrer. On y allait chacun notre tour. J’y allais pour mes parties de guitare, pour le chant, Pelle était parfois là. On était amis, mais on ne trainait plus trop ensemble à ce moment-là. Il y avait comme un ras-le-bol général. Pourtant, quand l’album est sorti, on a fait l’une des tournées les plus amusantes que j’aie jamais faites. On avait essayé de rendre le concert spécial, avec un son particulier, on a fait en sorte que ce soit une expérience pour le public. Aussi, nous étions plus nombreux sur scène, parce qu’il y avait notamment un claviériste qui s’était greffé. Mais c’était le début de la fin, et quand Get Shot est sorti, c’était déjà quasiment terminé, et on a décidé cette pause qui s’est éternisée.

Vous avez très souvent été comparés à Quicksand, une influence que vous avez d’ailleurs toujours revendiqué. Est-ce que ça a parfois été lourd ? Est-ce que l’évolution musicale de Fireside au début des années 2000 a été une façon de prendre vos distances avec ces comparaisons systématiques ?

On ne peut pas nier que Quicksand a joué un rôle important dans la création de Fireside puisqu’on a décidé de jouer après avoir écouté leur premier 45t. Mais Fugazi ou Dinosaur Jr ont aussi été des groupes qui nous ont inspirés. Pendant un moment, oui, ça a été un peu chiant, on devait sans cesse rappeler que nous n’étions pas Quicksand, bien que nous jouions le même genre de musique. On les adorait mais je me souviens que, pour embêter la presse, on avait même dit des choses sur eux qui n’étaient pas vraies. Ce n’était pas toujours très cool mais, maintenant que nous sommes plus vieux, la comparaison me dérange moins. J’aime encore beaucoup Quicksand, y compris le dernier album. Donc oui, à un moment donné, notamment avec Uomini d’Onore, tout cela a du nous inciter à tenter de nouvelles choses.

Bin Juice, votre nouvel album, a deux faces très distinctes : une première très post-hardcore qui rappelle vos premiers albums, et une seconde plus pop, plus proche de ce que vous faisiez sur Get Shot. Est-ce que ce disque a été pensé ainsi ? Est-ce que Bin Juice est comme un condensé de la discographie de Fireside ?

Quand on a commencé à écrire les chansons et à les enregistrer, on parlait de faire un Do Not Tailgate 2.0, avec un son de 2022. Mais en avançant, on s’est rendu compte que, avec tout ce temps passé, on ne pouvait plus composer comme avant. Nous avons évolué, et ce qui venait naturellement était plus pop. D’ailleurs, on a composé d’autres titres très pop mais qui n’ont pas fini sur l’album car ils ne collaient pas à l’ensemble, qu’on voulait quand même le plus proche possible de Do Not Tailgate. Au final, ça a donné ce mélange involontaire qui représente un peu notre évolution effectivement.

J’ai remarqué que, à l’époque, tu ne t’étendais jamais trop dans tes paroles. Qu’en est-il aujourd’hui ?

Encore aujourd’hui, j’écris toujours sur les mêmes sujets, mais d’une manière différente. Quand ils sont destinés à mon projet solo, ils ont tendance à être plus longs et plus poétiques, tout en restant faciles à comprendre. Pour Fireside, c’est plus direct, plus simple. Ça a toujours été comme ça, et c’est ce que j’apprécie avec ce groupe. Si tu prends un morceau comme Mean People Suck de NOFX, ils ne disent rien d’autre que ‘people suck’ tout du long mais il n’y a pas besoin de plus. Ça va à l’essentiel, et ça suffit pour faire passer le message (rire). J’aime ce genre de morceau qui dit beaucoup de choses avec peu de mots.

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