Fire! Orchestra, un collectif et de multiples possibilités

Fire! Orchestra, un collectif et de multiples possibilités

C’est après un concert que, grisé par l’émotion, je tente d’interviewer une première fois Mats Gustaffson, la pierre angulaire de Fire! Orchestra. Suite à une prestation frisant le sublime dans une petite salle de Malines, en Belgique, les musiciens se congratulent, visiblement heureux de leur performance. Mats, un peu pris de court, me remballe gentiment et m’invite à le recontacter avant la sortie d’Arrival, nouvel album disponible ce 24 mai. Quelques mois plus tard, nous prenons donc rendez-vous plus formellement avec Mats. Et c’est d’une voix posée qu’il nous répond pour revenir avec nous sur la genèse de cette fantastique formation, son parcours, mais aussi ses envies…

Comment est né ce projet un peu fou de Fire! Orchestra ? Comment cette idée s’est-elle développée ?

Mats Gustaffson : C’est venu un peu soudainement. Comme tu le sais, on est originellement un trio et, alors qu’on achevait une tournée à Brest, on buvait un verre et, au cours de la discussion, est venue l’idée d’inviter des amis pour bien terminer l’année dans un chouette endroit à Stockholm où je travaille depuis 30 ans. Le trio Fire! s’intéresse à différents styles musicaux et le ‘faisons une petite fête gratuite avec nos potes’ s’est transformé en un concert avec 30 musiciens, dont 4 batteurs et 5 bassistes. Un line-up assez étrange donc. On a écrit des morceaux, répété et… C’est allé au-delà de toutes nos attentes. Le public a été choqué, positivement, les gens faisaient la queue dehors, ne pouvaient pas entrer parce que l’endroit était trop petit.

D’accord, et donc ?

Nous nous sommes dits qu’on avait finalement quelque chose à faire à partir de cette idée saugrenue qui avait tout d’une blague ! Ce projet, ce ‘blend’ de musiciens provenant du jazz bien sûr mais aussi du rock psyché ou alternatif, présentait en réalité beaucoup de possibilités musicalement et artistiquement. C’est une sorte de plate-forme ouverte – qui est d’ailleurs notre attitude de manière générale en tant que trio Fire! – autour de laquelle gravitent beaucoup de musiciens.

Qu’est-ce qui a changé avec cet album ?

Ce qui est important, ce sont les parties vocales assurées par Mariam et Sofia. Elles sont là depuis le début, mais le reste n’a cessé d’évoluer en fonction de nos désirs. À chaque album correspond un line-up. Maintenant, tu en as un 5ème lié au projet Penderecki, je ne sais pas si tu connais…

Si si, j’ai un album dans ma discothèque…

Il a écrit ce projet Actions for Free Jazz Orchestra dont on a fait une nouvelle version. C’est encore autre chose, sans partie vocale, mais un projet parallèle à Arrival. L’ambition est d’ailleurs de conserver ce line-up durablement et d’arrêter de changer.

Pour en revenir aux musiciens justement, ils vivent quasiment tous en Suède. Comment faites-vous pour alimenter un line-up aussi bon?

On travaille tous de manière très ouverte et on partage une même vision de la musique et du travail. On se respecte et on discute régulièrement concernant notre formulation de la musique. Tout le monde quasiment vit à Stockholm, ce qui est une décision logistique. Auparavant, répéter était complexe vu que nous étions répartis dans toute l’Europe. Cette édition est plus acoustique, avec des cordes et de la clarinette. Pour des raisons logistiques et économiques, on a tenté de trouver d’excellents musiciens à Stockholm, et on a trouvé 14 ! En dehors de la Suède, on en aurait trouvé davantage, mais tout est plus simple ainsi. Imagine le cirque que c’est de tourner avec tout ce monde !

Ca doit être cauchemardesque en effet…

Ca l’est d’autant plus qu’on veut payer nos musiciens. Certains festivals peuvent te le permettre, mais pas tous. En réalité, la première année, on le faisait gratuitement, mais on vit en Suède où il est difficile de vivre et de se payer en tant que musicien. Ce serait nettement plus simple en Norvège. En Suède, c’est devenu impossible, et je dois dire que notre agent fait un boulot incroyable. Il parvient à trouver des clubs qui peuvent payer 14-16 musiciens, ainsi que les hôtels, etc. On tient vraiment à ce que tout le monde soit rémunéré. Bien que ce soit complexe, ça en vaut la peine !

Ca m’a toujours interpellé. Les deux fois où je vous ai vus en Belgique, les salles que je ne connaissais pas étaient fantastiques, avec un son proche de la perfection.

Oui, dès le début, on a décidé de bosser avec notre propre ingénieur. Le son est important et difficile, surtout maintenant avec les cordes et la clarinette.

Toujours à propos de cet album… En live, je l’ai adoré, mais il semble complètement différent des précédents…

On essaye d’autres choses. On a voulu retirer les claviers, les guitares, etc. Il y a toujours autant de voix, mais on les entend mieux. Vu que c’est plus acoustique, elles ont plus de place. Par rapport aux albums précédents qui étaient composés de pièces, on a voulu construire des chansons individuelles. C’est un changement important. Les deux morceaux qu’on a repris, on espère les faire sonner comme Fire! Orchestra, leur donner une nouvelle vie. Et les cordes colorent la musique.

Tout en laissant davantage de place aux voix… Parmi tous ces projets, qu’est-ce que celui-ci t’apporte spécifiquement ?

C’est particulier. Comme tu le sais, il implique beaucoup de gens. Ce projet apporte de l’équilibre, en termes de personnalités et de musique. On a éprouvé beaucoup de difficultés en travaillant à 30 musiciens. Ça a été un long voyage pour parvenir à cette version, mais cette tournée et l’enregistrement en studio ont été tout simplement incroyables. On a atteint une sorte de calibration où chacun se sent bien, rassuré tout en étant ‘challengé’. Mais ça a été un processus long et difficile.

Du côté des influences, tu as parlé de jazz, de psyché mais, dans le cadre de cet enregistrement, qu’écoutiez-vous ?

On écoute plein de choses au sein du trio Fire!. Sur cet album, Mariam a pris également une part importante dans le processus créatif, notamment du point de vue de l’écriture. Impossible de te dire qu’on écoutait quelque chose en particulier. On est tous très curieux musicalement, donc ça va du hip-hop au folk suédois en passant par le hardcore ou le métal. Ça va dans tous les sens et on pioche à gauche à droite, mais sans jamais répéter quelque chose d’existant. Nous sommes des gens curieux, bien au-delà de la musique ou de l’art. La clé est de combiner nos points de références musicaux. Mariam et Andreas ont ce duo pop-rock Wildbirds & Peacedrums par exemple. On apporte tous différentes influences mais tout est agencé, discuté, de manière très démocratique.

Ces temps-ci, on entend de nouvelles choses en jazz, notamment via Shabaka Hutchings, The Comet Is Coming… On a l’impression de vivre un moment particulier. Est-ce que vous suivez aussi ces groupes qui explosent le concept de jazz ?

Je suis d’accord avec toi. Il y a un grand changement dans le public d’ailleurs. Les ‘Jazz Bears’ (littéralement les ours jazzeux), qui ont entre 50 et 60 ans et viennent aux concerts habillés en noir et pensent tout connaitre, ne sont plus les seuls. Non pas qu’on essaye de les éviter, mais ce n’est pas vraiment le public qu’on désire toucher. On a probablement ça en commun avec The Comet Is Coming qui est proche de la culture hip-hop ou R&B, beaucoup plus que n’importe qui avant, à part Miles Davis. C’est prometteur et va amener une vision plus mélangée du jazz attirant un public plus jeune. Avec le trio Fire!, on tourne depuis 2 mois, mais on le remarque déjà. On n’est pas loin du 50-50, surtout dans l’Est de l’Europe, aux USA ou en Scandinavie. C’est super ! On voit toujours les ‘jazz bears’, mais plus seulement. Et je pense que la scène jazz londonienne attire cette audience plus jeune. On a besoin de ça sinon le jazz va mourir. Je dirais qu’il y a beaucoup d’éléments qui m’attirent au sein de cette scène, d’autre moins mais on doit rester ouverts et s’entraider puisqu’on fait plus ou moins partie de la même équipe.

C’est un moment important donc ?

Oui, c’est un moment où tout part en couille. Les humains qui s’auto-détruisent, la corruption des médias, la politique égocentrique… C’est énervant, et je pense que notre musique peut aider à changer les choses.

C’est marquant effectivement. De tous les albums que j’ai chroniqué l’année passée, la moitié désirait amener des idées, ou plus simplement abordait ces thèmes et questions.

Oui, beaucoup de choses se passent et il faut se supporter mutuellement. Il y a quelques années, les critiques fusaient dans le monde de la musique, on montrait la merde commerciale du doigt. Au contraire, on doit se soutenir, bien que les dialectes soient différents. Tant qu’il s’agit de musique créative…

Autre sujet sensible, le streaming qui est devenu prégnant. Quel est ton feeling à ce propos ?

Tu aurais des réponses différentes selon les différents membres du trio ou de l’orchestre. Pour moi, Spotify est la plus grande rip-off de l’histoire de la musique, ça me rend dingue. Pour le consommateur, ça semble bien, ça permet de découvrir, mais la qualité du son est exécrable et… rien ne revient aux artistes. Tu peux avoir 10,000 écoutes et ne recevoir que 40 cents. Bien sûr, ça permet de toucher des gens mais seulement si ceux-ci viennent en concert, ou achètent un objet physique ou un téléchargement de bonne qualité !
C’est difficile pour les musiciens… Prends cet album, Arrival… On est en studio pendant 3 jours, on doit le mixer, le masteriser pour un coût exorbitant, et puis… des gens vont l’écouter en streaming. Comment peut-on faire un nouvel album deux ans plus tard dans ces conditions ? Je suis un fan de disques, j’adore les toucher, les écouter, être inspiré, et je déteste l’idée qui consiste à écouter un morceau unique sur Spotify. Si on fait un album, c’est qu’il y a une raison. On prend divers paramètres en compte : l’énergie, l’équilibre, etc. Mais tu devrais demander aux autres musiciens, car je suis le plus dur envers le streaming. L’idée est bonne mais c’est tout…

Ca permet aussi de vous découvrir. Dans mon cas par exemple, je vous ai découvert quand je vivais à Singapour, puis j’ai acheté les albums en revenant en Europe.

Oui, c’est ça qu’il faut faire. Et encore, nous avons de la chance avec Fire! et Fire! Orchestra parce que nous vendons plutôt bien, mais le marché du disque physique diminue et les bons studios restent chers ! Imagine, on a du faire cet album en 3 jours, ce qui est super court pour un projet aussi large ! On aurait besoin de 10 jours, mais on ne peut pas se le permettre. On ne vend pas autant qu’on devrait.

Pour finir, allez-vous encore tourner ?

Il y a quelques festivals cet été et une tournée prévue en Novembre. En ce qui concerne 2020, on en discute actuellement, mais il y aura des tournées en bus, ce qui nous impose de nous focaliser sur certaines régions d’Europe. On est en train de regarder lesquelles. Pour l’instant, il y a beaucoup d’activité pour le trio Fire! mais, vu qu’il y a aussi beaucoup d’intérêt pour l’Orchestra, nous allons tourner.

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