04 Oct 24 Fat Dog, quand le chenil déraille
Selon la biographie fournie par Domino Records, le label de Fat Dog, un OVNI aurait atterri devant le groupe, un soir, sur un parking, et les aliens qui en seraient sortis lui auraient demandé de vénérer le ‘chien géant’. ‘C’était un parking à crottes, tous les chiens du quartier y allaient pour faire leurs besoins‘ nous précise, sans se démonter, Joe Love, guitariste et chanteur, bientôt relayé avec le même naturel par son acolyte aux claviers, Chris Hugues : ‘Le truc, c’est que l’on n’aime pas vraiment parler de cette expérience, parce que ce qui s’est passé alors était quand même assez étrange et obscur. Mais si un OVNI atterrit devant toi et commence à te demander de vénérer un être supérieur, tu vas probablement le faire, non ?‘. On n’aura pas l’occasion de répondre, car une discussion assez surréaliste, mais non dénuée de sens, finalement, commence :
Joe : Ouais. Eh bien, nous mourrons tous.
Chris :
Exactement. Nous mourrons tous un jour, et nous ne serons plus que poussière. Eh bien tu vois, quand je pense à ça, je me dis que ça vaut le coup de saisir la chance que nous offrent les extra-terrestres en atterrissant sur des parkings à crottes.
Joe : Tu veux dire que ça te plairait bien de rejoindre les portes dorées du paradis des grands chiens ?
Chris : Ouais, carrément. Le paradis des grands chiens, c’est là où nous irons un jour. Je ne veux juste pas sombrer dans le néant à ma mort. C’est une idée à laquelle on fait allusion tout au long de l’album, et c’est le sens de la dernière phrase ‘You can kill the man, but you cannot kill the dog’. Cela veut dire que même si tu peux tuer une personne, il y a une sorte d’esprit humain indomptable de la personne, qui est presque animal, qu’il est très difficile de tuer.
Bon, pour être tout à fait honnête, on ne s’était pas préparé à ce genre d’entretien – totalement imprévisible et parfois même, sur le moment, incompréhensible – , même si l’on pouvait facilement se douter, après avoir déjà vu Fat Dog sur scène, qu’avec de tels énergumènes le modèle de l’interview classique allait vite voler en éclats. C’est à La Route du Rock que l’on rencontre Joe Love, Chris Hugues et Morgan Wallace (saxophone, clavier), une date qu’ils attendaient particulièrement, puisque, selon Chris : ‘On nous a dit toute l’année que ce serait l’événement le plus important. C’est un super festival, avec plein de beaux arbres autour. J’ai l’impression que le pire des festivals français est probablement meilleur que le meilleur des festivals anglais‘. ‘Surtout par rapport à la nourriture’, rajoute Joe, ‘On a eu du fromage, de la bonne nourriture et de belles loges. A Glastonbury, ils nous ont juste donné des hamburgers minuscules après le concert, et il a même fallu batailler pour les obtenir‘.
L’heure à laquelle la conversation débute n’est pas encore trop avancée pour justifier des comportements inhabituels. Mais il faut croire que chez Fat Dog, c’est ce qui sort des habitudes de la majorité des gens qui constitue la norme. Plutôt chaleureux, Joe, Chris et Morgan sont tout sauf des individus formatés, aux réactions conventionnelles.C’est assez déstabilisant de discuter avec eux, chaque question les conduisant à enchaîner des blagues dont on perd rapidement le fil, mais au bout du compte, quoi de plus stimulant que de se remettre en cause face à autant de fantaisie, de spontanéité et de bonne humeur ? Savoir penser et vivre en dehors des normes explique sans doute cette capacité du groupe à générer rapidement la folie en live tout en résistant aux classifications trop rapides sur disque grâce à un goût de la synthèse azimutée – mais pourtant ultra efficace – des genres. Joe Love, pour tenter de définir son approche de la musique, avait déclaré vouloir faire quelque chose de ridicule pour échapper à l’ennui. Mais interrogé sur ce point, le principal intéressé révèle plutôt une intention de vouloir créer chez son public une forme d’indécision concernant le sérieux de sa musique : ‘J’ai toujours préféré les blagues que les gens ne parviennent pas à saisir comme des blagues. Il y a un truc marrant avec des groupes comme Radiohead, ils sont tellement sérieux que l’on finit par croire qu’ils plaisantent !‘. Finalement, vouloir atteindre le point critique où le sérieux se retourne en déconnade ou, inversement, la déconnade en sérieux, n’est-ce pas une preuve d’intelligence ? Peut-on vouloir être ridicule sans viser par là des intentions qui ne le sont pas ? Woof, le premier album de Fat Dog ne serait-il pas au bout du compte plus réfléchi qu’on ne le pense à la première écoute ? ‘Nous sommes des gens très sérieux‘ nous dit Joe, ce que confirme Chris : ‘Vraiment sérieux. Nous ne plaisantons jamais vraiment, tu sais. Nous passons des heures à essayer de chorégraphier le show, à penser notre musique pour qu’elle produise une forme de folie‘.
On les imaginait volontiers fêtards, profitant de leur gloire naissante pour se livrer à tous les excès, mais il semble que que l’on se soit trompé. Joe : ‘Je n’aime pas vraiment faire la fête. J’aime juste me détendre, pour être honnête. Mais je pense quand même que la musique est un bon exutoire, surtout pour les Anglais qui se sentent souvent obligés d’être ce qu’ils ne sont pas, d’obéir à des règles de comportements qui ne cadrent pas toujours avec ce qu’ils désirent vraiment faire. Comme si, à chaque instant, ils étaient en contradiction avec eux-mêmes. Aller à un concert est, de ce point de vue, très agréable pour eux, car enfin ils peuvent y faire ce qu’ils veulent‘. ‘Quand on fait la fête pendant un concert, on n’a plus vraiment besoin de la continuer ensuite‘ complète, sagement, Morgan. Chris, lui, paraît au départ sur la même longueur d’onde, faite de modération ; ‘C’est un fait qu’en général, lorsqu’on est en tournée, on ne fait pas trop la fête‘ avant d’avouer, et on ne s’en étonnera pas, qu’il est toujours prêt à dévisser : ‘Mais si j’ai du temps libre, je perds un peu la tête. Je disparais et me réveille finalement, au bout de quatre jours, dans une maison inconnue…Ce n’est pas bon‘.
Fat Dog semble être le produit de ce mélange d’individualités assez différentes les unes des autres, un équilibre entre raison et folie qui, contre toute attente, parvient à une certaine stabilité. Woof est ainsi : à la fois hyper festif et frénétique, mais toujours cohérent, maîtrisant son énergie. Assument-ils complètement ce cadrage de leurs impulsions et aspirations déraisonnables ou regrettent-ils de ne pas pouvoir se lâcher la bride ? Joe : ‘Je pense que c’est une bonne chose. C’est bizarre que tu dises ça, parce que justement j’y pensais l’autre jour et je me disais que certaines personnes ont une vision très tranchée en ce qui concerne ce qu’il est bon de faire ou ce qu’il est mauvais de faire. Et ça ne sert peut être pas à grand-chose de les brusquer. Vouloir choquer en se laissant complètement aller n’est pas toujours une bonne chose. Il vaut mieux laisser les gens trouver leur propre voie‘. Cette attitude à l’égard du public se retrouve également en live. Joe va régulièrement au contact des gens, non pas pour faire une rapide séance de crowdsurfing avant de retrouver le confort de la scène, mais pour rester auprès d’eux, les fixant, se mêlant longuement aux premiers rangs. ‘Ça va se terminer au tribunal !‘, balance Joe, amusé, mais Chris explique : ‘Je vois ce que tu veux dire, il touche vraiment les gens. Je pense que c’est important lorsqu’on fait ce genre de dance music, de considérer le public comme une partie du concert, sinon tout ne va que dans un seul sens, le nôtre, et on peut facilement se retrouver déconnecté. Mais si tu intègres dans ton show les personnes qui sont juste en face de toi, alors tu peux t’appuyer sur leur énergie et aller beaucoup plus loin‘.
Le mélange des caractères est important pour former l’identité d’un groupe, mais ce que réussit particulièrement bien Fat Dog, pour un résultat des plus jouissifs, c’est le mélange d’influences très variées, l’électro côtoyant la Klezmer ou la musique Tzigane. Chris : ‘Tu sais ce que c’est, tu écoutes plein de choses, différentes sortes de musique, et finalement ça s’infiltre dans tout ce que tu fais‘. Joe complète: ‘C’est juste de la musique que j’écoute, et j’imagine que les gens vont aimer et perdre la tête en écoutant cela. J’aime écouter ce genre de choses. C’est également amusant d’importer d’autres types de musique dans ce que l’on fait. Tu écoutes une chanson et tu te dis, je peux faire ça aussi. Mais le truc, c’est que lorsque j’aime quelque chose, comme la musique des Balkans, je le réutilise de façon très stéréotypée, pour en exagérer les traits distinctifs. Je fais ça pour tous les genres que j’écoute et exploite. Ce qui explique que certaines personnes disent que nous sonnons comme un groupe de l’Eurovision !‘. ‘On commence à ressembler à Engelbert humperdinck !’ (chanteur anglais ayant connu son heure de gloire dans les années 60 et ayant représenté l’Angleterre à l’Eurovision en 2012, ndlr) conclut, hilare, Chris.
On se demande malgré tout si cette science du mélange n’aurait pas un lien avec le fait que Joe ait travaillé en cuisine, ce sur quoi s’appuie d’ailleurs certaines photos promotionnelles du groupe, représentant ses membres dans un restaurant, en tenue de cuisiniers. ‘J’étais assistant de cuisine, , je ne peux pas dire que j’ai beaucoup cuisiné. Je n’étais pas un chef, définitivement pas‘ répond Joe. Chris précise toutefois : ‘Il cuisine le calamar. C’est le chef dans le studio, il faut le laisser cuisiner‘. Cooking in the studio, donc, mais d’où viennent les éléments de base ? Joe : ‘Tout peut m’influencer. L’autre jour, j’ai vu un volcan en éruption, et je dois dire que c’était plutôt effrayant. Mais bon, je n’ai pas écrit de chansons tout de suite après. Ça te fait te sentir insignifiant. Quand on pense qu’à Pompei, les gens n’ont pas eu le temps de bouger au moment où le volcan s’est déchaîné‘.
S’ensuit une nouvelle conversation improbable, oubliant la question des influences…
Chris : Si ça t’arrivait, il retrouverait ton corps dans une centaine d’années. Tu prendrais la pose si tu savais que ça allait t’arriver ?
Joe : Probablement que j’aurais l’air vraiment, mais vraiment, stupide, avec mes yeux involontairement paresseux.
Pensent-ils déjà à l’après Woof, ou cherchent-ils simplement à profiter du moment présent, des opportunités que la sortie de l’album leur a procurées ? Joe : ‘Je pense que l’on doit toujours avoir une longueur d’avance sur ce qui se passe, même si celle-ci est très courte. Mais parfois, toutes les projections que l’on fait ne servent à rien ; il suffit d’écouter un nouvel album pour se dire : ‘J’ai fait de la musique d’un certain type toute ma vie, mais c’est ça que je veux faire‘. Quels sont donc les groupes dont ils se sentent le plus proches et qui peuvent éventuellement influencer leur direction musicale ? Avec le rythme infernal de concerts qu’ils s’imposent depuis de longs mois, ils ont fréquenté pas mal d’artistes, lesquels les ont le plus marqués ? Joe : ‘Je pense que tout le monde sera d’accord pour dire les Viagra Boys. Là, J’ai l’air d’être habillé avec un survêtement, mais en fait, regarde (il ouvre sa veste de survêtement bleu ciel, et exhibe un T. Shirt des Viagra Boys, ndlr). Ils sont super bons‘.
Sont-ils conscients de leur originalité en tant que groupe ? ‘Je ne pense pas que l’on sonne comme tout le monde‘. Et cette singularité fait du bien, il faut bien le dire, car faire la fête à partir d’une bande-son agrégeant des influences musicales d’horizons culturels différents, n’est-ce pas la meilleure des réactions dans un monde qui perd les pédales ? Selon Chris : ‘Oui, on se met en mouvement, et cela nous éloigne de la violence. Mais je pense que notre intention première n’était pas politique. Quand Joe a commencé à faire de la musique, le seul but était d’écouter ce qu’on avait envie d’écouter. Je ne suis pas un bon danseur, (s’adressant à Joe) tu n’en es pas un non plus, mais tes morceaux m’ont aidé, et c’était une bonne chose. Alors oui, faire danser les gens peut-être un remède à la violence. On arrive en concert et c’est comme si tout le monde se disait en même temps : ‘allons-y, laissons nous aller, amusons-nous’. Mais bon, on a quand même vu des trucs bizarres, comme ce type au Luxembourg qui a écrasé un ballon sur la tête d’un autre gars‘. Il n’en fallait pas plus pour lancer une discussion loufoque à propos de la manière de faire sonner en anglais le nom des luxembourgeois (Chris s’amusant à le prononcer à la manière d’un alien, avec une grosse voix bien exagérée)…
Fat Dog est comme ça, bien barré à certains moments, très carré à d’autres. Et ce qui étonne et s’avère franchement réjouissant, c’est que la seconde attitude est au service de la première, ce que confirme, sérieusement, Chris : ‘Nous pensons constamment à la manière de créer une sorte de chaos contrôlé sur scène‘. C’est sans doute cela l’essence même du groupe : canaliser sa tendance au n’importe quoi, pour la transformer en folie à partager, laquelle, sous cette forme, peut devenir constructive, et même créative. On peut comprendre alors pourquoi, au bout du compte, Joe Love nous avoue avec une sincérité désarmante : ‘On fait quelque chose de vraiment bien, tu vois ?‘.
Photos header et live : Titouan Massé
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