27 Oct 23 FACS, le changement c’est tout le temps
À l’instar de Buzz Osborne (Melvins) ou de Justin Broadrick (Godflesh, Jesu, Final), Brian Case fait partie de ces boulimiques de musique à la fois infatigables et foutrement créatifs. Non content d’avoir laissé une trace indélébile il y a un peu plus de vingt ans avec 90 Day Men, ce dernier a ensuite enchaîné les projets, dont Disappears avec Steve Shelley (Sonic Youth) présent un temps derrière les fûts. Mais c’est probablement avec FACS que le chicagoan est réellement parvenu à combiner quantité et qualité. Depuis 2018, le trio nous sert régulièrement un subtil mélange de post-punk, noise rock et indus, dont le pilonnage rythmique hypnotique serti de nappes de guitare rêveuses tend à nous faire perdre la notion de temps. Case n’a pas volé sa réputation de type adorable : on a pu le revérifier lors d’un échange qui a ratissé large…
Avec du recul sur tes expériences passées au sein de 90 Day Men et Disappears, dirais-tu que FACS est ton projet le plus abouti, ou en tout cas le plus satisfaisant, à ce jour ?
Brian Case : À vrai dire, j’essaie de ne pas trop les comparer. Quel que soit le groupe, nous essayions juste de jouer une musique aussi créative et artistique que possible. Et c’est encore le cas avec FACS. La différence désormais, c’est surtout que je suis le seul guitariste, et j’apprécie vraiment cet espace de liberté supplémentaire.
Votre nouvel album Still Life in Decay est encore plus sombre que les précédents. Quelles étaient vos principales inspirations cette fois-ci ?
J’ai beaucoup réfléchi au concept des ‘relations’, à la façon dont elles te changent ou te font évoluer, et aussi au fait que l’on est parfois amené à s’éloigner de quelque chose pour finalement y revenir des années plus tard. Quand on a composé ce disque, il y avait donc ce côté un peu plus optimiste, mais également analytique. Musicalement, je ne le trouve pas plus sombre, mais beaucoup de gens ont fait cette remarque, donc ça doit être vrai… (rires).
En fait, vous avez dit vous-mêmes que cet album traitait de sujets psychologiques comme l’amnésie, la résignation, le cynisme, la perte de sens dans notre société actuelle… Ça m’avait donc conforté dans l’idée qu’il y avait une intention d’aller vers des ambiances plutôt dark…
Je réfléchis beaucoup à ces différents sujets, et je ne les considère pas sombres. Je les vois plutôt comme des choses dont le sens change constamment, un peu comme la façon que nous avons de nous remémorer des souvenirs. Et ça a pas mal changé avec la technologie car, au-delà de notre mémoire, presque tout est maintenant ‘archivé’ avec le digital et internet. Parfois, je trouve ça vraiment frustrant, d’autres fois je me dis que ça peut s’avérer utile. J’essaie de faire le tri entre les aspects positifs et négatifs de tout ça. Ce disque parle donc beaucoup du fait d’accepter les choses qui se passent, d’accepter le changement, de le considérer comme quelque chose qui fait partie de nos vies.
Je trouve ta façon de chanter, en particulier ton phrasé, assez proche de Justin Sinkovich (The Poison Arrows) et Scott McCloud (Girls Against Boys, Soulside). Sont-ils des influences pour toi ? Qui d’autre t’inspire niveau chant ?
On a fait quelques dates avec Girls Against Boys. Ce sont des gars adorables qui ont sans aucun doute eu une grosse influence sur moi, effectivement. Avec Justin, on se connait depuis plus de vingt ans… Côté inspirations, je peux aussi te citer Mark E. Smith de The Fall. En l’écoutant, j’ai toujours le sentiment d’assister à une sorte de conversation : il commence à parler et tu as l’impression de rejoindre une discussion en cours de route, sans forcément savoir de quoi il en retourne. De manière plus générale, quand le post-punk a débarqué à la fin des années 70 – début des années 80, il y avait cette idée de ne pas forcément trouver un chanteur mais plutôt quelqu’un qui avait quelque chose à dire. Je suis donc pas mal inspiré par ces artistes qui ne sont pas forcément d’excellents chanteurs mais qui ont un message à transmettre, ou qui sont à fond dans un concept. Je pourrais également te citer Gang of Four !
J’ai vu que tu avais un projet electro ambient en parallèle de FACS. Est-ce qu’il arrive qu’il influence tes compositions à destination du groupe ?
Oui, je fais un peu de musique abstraite sous mon propre nom. J’essaie d’utiliser ma guitare au travers d’un synthétiseur, dans un état d’esprit différent de d’habitude. Ça me permet d’explorer, de créer en ayant moins de pression qu’avec FACS. C’est aussi un peu plus ludique et extravagant. Et effectivement, ça m’amène parfois des idées que je peux également proposer au groupe et que les autres peuvent ensuite reprendre et transformer en quelque chose de bon. Pour moi, c’est surtout un moyen supplémentaire de rester créatif. Le cerveau est comme un muscle, c’est important de l’entretenir… Jouer un peu tous les jours permet de continuer à avoir des idées qui ont du sens, même s’il arrive qu’elles n’en aient pas vraiment sur le moment. Ça a d’ailleurs été le cas du premier titre de Still Life in Decay : c’était une combinaison de quelques éléments proposés aux autres et qui n’a pas fonctionné tout de suite. J’ai donc continué à les jouer de mon côté en restant persuadé qu’il y avait un truc à faire. Je suis revenu à la charge et ça a fini par marcher. Ce projet solo me permet donc de pousser des idées d’une manière différente. Ça m’aide non seulement à conserver ma créativité, mais aussi à garder une certaine productivité au niveau du groupe.
Quand je réécoute le dernier album de ton groupe précédent, Disappears, je vois quelques similitudes avec les atmosphères de FACS. Pourquoi ne pas avoir gardé votre nom à l’époque ?
En fait, Disappears s’est arrêté parce que Damon (Carruesco ndlr), notre bassiste, a souhaité poursuivre sa route avec d’autres projets. Nous avons alors pensé qu’il serait plus logique de recommencer quelque chose. On avait fait des disques et des choses dont nous étions vraiment fiers, et il était temps de mettre tout ça de côté. En quelque sorte, FACS est né pour donner une suite à tout cela, tout en essayant de faire quelque chose de neuf. Mais notre façon de communiquer nos idées, d’échanger, reste sensiblement la même qu’avant, d’où peut-être ces similitudes. Je pense que sur notre premier album, nous avons en quelque sorte essayé de pousser un cran plus loin les idées que nous explorions avec Disappears avec qui nous ne nous focalisions pas trop sur les mélodies, pour mieux sonner comme une ‘machine’. Avec FACS, on essaie de travailler un peu plus les mélodies, même si elles restent souvent abstraites, subtiles, et ne représentent toujours pas la partie la plus importante de notre musique. Elles se cachent un peu derrière le groove.
Dès le deuxième album de 90 Day Men, les claviers ont pris une place importante. N’as-tu jamais eu envie d’en incorporer dans FACS ?
J’y ai effectivement déjà pensé. J’aime beaucoup les claviers, mais je les utilise surtout pour trouver de nouvelles idées que je transpose à la guitare. Ma manière de jouer est très abstraite, expérimentale et non conventionnelle, du coup les claviers me permettent d’explorer mon instrument de manière différente, de trouver des combinaisons d’effets intéressantes. En fait, j’aime vraiment la simplicité du trio guitare-basse-batterie ! Les autres sont très concentrés sur la section rythmique, ce qui me laisse de la place pour développer le côté plus atmosphérique des morceaux. En tout cas, si on devait inclure un synthé, je ne suis pas sûr qu’on en jouerait sur scène.
Restons sur 90 Day Men… Avez-vous déjà discuté de l’option de rejouer ensemble ?
On en a discuté oui. Nous avons un coffret qui sortira l’année prochaine et qui comprendra tous les albums, des morceaux inédits, des Peel sessions… Que notre musique puisse être à nouveau disponible est le plus important pour nous. Une histoire orale du groupe – sur le contexte de notre formation, notre manière de travailler, etc – va aussi accompagner ce coffret. Lorsque nous avons bossé ensemble sur cette sortie, on a forcément un peu abordé le sujet d’un retour. Nous n’avons pas dit non, mais nous n’avons pas dit oui non plus ! (rires) Nous avons donc décidé de nous retrouver dans la même pièce pour jouer et voir où ça nous mènera. Nous sommes prudents, et une chose est sûre : si nous nous reformons, ça doit être encore mieux qu’à l’époque. On ne veut surtout pas détériorer ni nos souvenirs ni l’esprit du groupe. Parfois, certaines choses ont fait leur temps et c’est bien ainsi. Ce qui est sûr, c’est que ce ne sera pas une question financière, car ça n’a jamais été un sujet avec ce groupe… (rires) Voyons ce que l’avenir nous réserve… (rires)
Votre bassiste, Alianna Kalaba, a quitté FACS. Est-ce en raison de son emploi du temps trop chargé vu qu’elle est aussi la batteuse de Cat Power ?
Oui… À l’époque, elle avait remplacé Jonathan (Van Herik, également membre de Disappears ndlr) qui nous avait quittés pour des raisons familiales, ce que nous avons bien sûr totalement compris. C’est à ce moment-là que l’opportunité de jouer avec Alianna s’est présentée. Nous sommes amis depuis 20 ans et nous l’admirons vraiment. Juste après avoir enregistré Still Life in Decay, elle a dû se concentrer sur d’autres choses de sa vie, et il est vrai que Cat Power l’occupe également pas mal. Elle ne savait donc pas si elle pouvait s’engager avec nous cette année. Nous avons eu de la chance que Jonathan soit à nouveau disponible et revienne dans le groupe. On n’a donc pas vraiment l’impression d’avoir remplacé Alianna, mais plutôt de voir Jonathan de retour avec nous !
Vous avez quelques dates prévues en Europe à l’automne prochain. Est-ce que vous pensez pouvoir revenir plus souvent désormais ?
Nous ne sommes venus jouer en Europe qu’une seule fois, en 2018. Nous étions censés revenir en 2020 mais l’année a été ‘un peu’ compliquée (rires). On va donc effectivement revenir jouer dans quelques mois, pour une tournée de deux semaines en France et au Royaume-Uni. Espérons que ces concerts se passent bien et que nous puissions en refaire d’autres ensuite, parce que c’est vraiment une priorité pour nous de venir jouer en Europe. Nous avons l’impression que notre musique est bien connectée avec le public ici, nous avons généralement de bons retours de nos disques de ce côté-ci de l’Atlantique. On va avancer progressivement : nous sommes des gens très réalistes et patients, donc nous viendrons quand et où les gens voudront de nous ! (rires)
J’ai malheureusement l’impression que vous êtes encore assez méconnus ici pour l’instant…
Oui en effet, et c’est difficile de savoir ce qu’il en est exactement. Il n’y a plus autant de magazines de musique qu’à l’époque, la façon d’écrire et de lire des chroniques d’albums a changé, tout comme la diffusion de la musique : quand tu sors un nouvel album, il est maintenant disponible dans la seconde via n’importe quel smartphone. Avec cette surabondance d’informations, se faire une place est devenu plus difficile. D’un côté, sortir ta musique est plus facile, mais d’un autre, réussir à capter l’attention des gens est devenu une vraie mission. Je ne pense pas que tout cela change, du coup on essaie de rester focalisés sur notre musique, de continuer d’écrire de nouveaux morceaux et de faire des concerts. Ça nous va bien comme ça.
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