
22 Oct 18 Emma Ruth Rundle, thérapie par les cordes
Deux ans après une magistrale première partie acoustique pour Wovenhand, Emma Ruth Rundle était de retour à Lille, en haut de l’affiche cette fois, entourée du groupe de son mari et camarade de tournée, Jay Jayle. C’est une femme fragilisée, mystérieuse et introvertie qui a répondu à nos questions au sujet de son dernier album, quelques minutes avant de donner paradoxalement la chair de poule au public de l’Aéronef grâce à ses mélodies puissantes et sa voix prodigieuse…
Ce soir, il y a Jay Jayle qui joue avant toi. Vous avez sorti un Ep ensemble… Comment vous êtes-vous nourris l’un de l’autre ?
Emma Ruth Rundle : The Time Between Us est composé de faces B de mon précédent album Marked For Death, et de celui de Jay Jayle, House Cricks and Other Excuses to Get Out. En fait, nous n’avons pas joué ces chansons ensemble. J’étais supposée sortir un 45t avec ces morceaux, mais mon label Sargent House a signé Jay et a préféré sortir un Ep. J’étais d’accord car j’adore ce que fait Evan (Patterson, aka Jay Jayle, ndlr), et je tourne depuis 10 ans avec lui. C’est ainsi que ça a débuté. Nous avons enchaîné une grosse tournée en Europe l’année dernière autour de ce disque, puis j’ai participé à leur nouvel album, nous avons commencé à jouer ensemble, et ils sont devenus mon groupe en tournée. Je suis tombée amoureuse d’Evan, et nous sommes mariés maintenant. C’est une belle histoire d’amour !
Tu as joué dans plusieurs groupes tels que Marriages, Red Sparowes ou The Nocturnes. Tu as mis un certain temps à sortir de la musique sous ton propre nom. Pourquoi te cachais-tu ?
J’ai mis ma propre musique entre parenthèses en jouant pendant sept ans avec Red Sparowes en tant que guitariste. Puis, avec le bassiste, on voulait monter un groupe. C’était un vrai groupe de rock avec un processus d’écriture démocratique (elle fait une pause ndlr). Désolé, je suis très fatiguée, nous venons juste d’arriver après trente heures de voyage, je n’ai pas dormi… Je pense que j’ai eu plus de succès au sein des groupes. Là, je sors mon quatrième album solo, et ça commence à venir.
Entre ta carrière solo et ta carrière en groupe, laquelle est la plus confortable ?
Dans un groupe, c’est une communauté qui écrit une chanson, tu dois te rendre au lieu de répétition trois fois par semaine, il y a un planning… Aujourd’hui, j’écris tout moi-même, je me sens plus libre d’une certaine manière car je peux aller où je veux pour écrire et travailler. Par contre, j’ai beaucoup plus de pression sur mes épaules !
Et comment la gères-tu cette pression ?
(elle me montre sa bière, ndlr)
Tu as aussi sorti un projet ambient intitulé Electric Guitar : One. Est-ce que ça signifie qu’il y aura un volume deux ?
Oui je pense, d’ailleurs j’ai déjà quelques morceaux pour celui-là. Mais je sens que je ne dispose pas du même espace pour l’écrire qu’à l’époque du premier. Je suis très fière de cet album, je crois que c’est le projet que je préfère parmi tout ceux que j’ai fait. Je veux faire une suite, mais il faut qu’elle soit d’un certain standard.
Tu parles beaucoup de tes expériences personnelles dans tes chansons, en particulier dans ton album précédent Marked For Death qui a été écrit dans la douleur. Était-ce une thérapie pour toi d’écrire et de chanter ces moments et sentiments difficiles ?
Pour moi, faire de la musique est définitivement un processus thérapeutique. C’est une façon de découvrir ce qui se passe en moi, et de chercher une manière de compartimenter mes différents états. Mon nouvel album est toujours très personnel, le contexte d’écriture n’était pas tellement différent, mais je vais plus en profondeur au sujet de ma famille notamment. La nouveauté, c’est que j’ai écrit des chansons à l’attitude un peu plus positive pour éviter que cela ne devienne une espèce de mantra sans espoir à force de les chanter tous les soirs sur scène.
C’est vrai que chanter ce type de paroles sur scène peut s’avérer difficile. Comment fais-tu pour les surmonter, sans ressasser ces moments ?
Ça rejoint ce que l’on disait à propos de la thérapie. Le fait de les écrire et de les chanter est justement une manière de les outrepasser et d’y trouver un espoir. Après la sortie de Marked For Death, je n’avais pas imaginé ni planifié que j’allais tourner autant et me répéter à ce point. Quand je me suis posée pour écrire le nouvel album, je savais qu’on allait tourner, c’est pourquoi je suis partie vers des choses plus positives. C’est dur, mais j’ai maintenant cette capacité à surmonter cette espèce de douleur sur scène, d’autant plus que je suis entourée de musiciens fantastiques qui me rendent encore plus forte.
Peux-tu me raconter ce qui se cache derrière le petit cheval noir de la pochette ?
J’ai pris des photos au polaroïd pour l’artwork, et il s’agit de l’une d’elles. J’ai trouvé ce petit cheval dans le studio d’enregistrement, il appartient à Kevin Ratterman (le producteur de l’album, ndlr). Sur l’album, il y a une chanson qui s’appelle Darkhorse, qui dit ‘In the wake of strange beginnings, we can still stand high‘. Pour moi, c’est comme si le cheval était la personnification de ces paroles. Il lui manque des pattes, et quelqu’un a essayé de les fixer à nouveau pour qu’il tienne toujours debout. Kevin me l’a donné, j’ai continué à interagir avec ce cheval, et il y avait quelque chose de magique. J’aimais cette photo, j’ai décidé que ça serait la pochette.
… et le titre.
Il s’agit de la chanson principale, oui. Quand j’écris, c’est comme si je chevauchais un sujet, d’où le titre On Dark Horses. C’est le concept.
Sur la pochette de Marked For Death, tu poses de la manière la plus naturelle possible, habillée comme à la maison, sans dissimuler les poils sur tes jambes… Y-a-t-il un message ?
Je prenais régulièrement des autoportraits quand j’écrivais l’album. Je me suis installée dans cette maison au milieu du désert, et j’y suis restée un mois pour écrire, toute seule. Je n’allais pas bien, et je me photographiais tous les jours. Cette photo est une représentation honnête, elle montre exactement comment je me sentais à ce moment. C’est une image très naturelle et authentique
Tu fais également de la peinture et des artworks. Est-ce complémentaire à la musique ? As-tu besoin des deux pour faire évoluer ton art ?
J’aime avoir les deux, mais séparément. Je pense que j’ai deux muses, une vers laquelle je peux me tourner quand l’autre ne fonctionne pas pour moi. Par contre, les dernières peintures que j’ai réalisées sont basées sur certains thèmes de l’album. J’ai participé à une exposition à Chicago où j’y ai mis cette nouvelle peinture représentant des chevaux sombres. Il y a donc un lien sur mes derniers travaux mais, en général, les deux activités ne sont pas liées.
Pourquoi ne pas utiliser ces peintures pour illustrer tes albums ?
Je préfère la photographie quand il s’agit de pochettes !
Quel est ton prochain projet ?
Je réaliserai sans doute un album acoustique. Nous ferons également peut-être quelque chose avec Marriages. Ce disque est sorti il y a tout juste deux semaines, nous avons encore beaucoup de chemin à faire avant de penser au prochain projet. J’ai une collection de chansons très simples à la guitare, et j’aimerais sortir quelque chose de plus dépouillé la prochaine fois.
Pour terminer, quel est ton mot français préféré ?
Mon tour manager essaie de m’apprendre quelques mots, mais ma prononciation est terrible ! J’ai aussi tenté d’apprendre sur l’appli Duolingo, et je pense que j’aime bien les mots ‘gâteau’ et ‘glace’ parce que je m’en souviens ! Je ne dirai pas ‘fromage’, ça serait la pire réponse… Désolé, j’ai perdu quelques neurones en route !
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