Emily Jane White, les raisons de sa colère

Emily Jane White, les raisons de sa colère

Plus sombre que jamais, le dernier album d’Emily Jane White fait des aller-retours entre féminisme et crise climatique, des sujets durs et on ne peut plus actuels qu’elle développe pourtant dans une bulle émotionnelle avec grâce et sang-froid. Nous avons capté l’artiste venue d’Oakland lors de la première date de sa tournée française, dans la nouvelle salle flambant neuve du Grand Mix de Tourcoing, pour une discussion autour des grands thèmes qui animent Immanent Fire.

Lors de notre dernière interview, nous parlions de ton précédent album They Moved in Shadows All Together qui traitait de sujets graves comme le racisme ou les violences conjugales. Cette fois-ci tu as décidé de parler de la Terre et de la nature qui nous entoure. Pourquoi ce thème ?

Emily Jane White : Nous sommes en plein dans une réelle crise climatique. Je suis l’actualité, je collecte différentes idées et faits scientifiques qui mènent tous à cette conclusion. Le capitalisme non régulé, l’exploitation de la nature et des gens sont d’autres facettes de cette crise, et j’ai donc senti que le thème était large et lié à tous ces sujets. Le but n’est pas nécessairement de dire que nous sommes dans une crise climatique et que nous devons agir. Il s’agit aussi de rappeler qu’il y a une grande variété d’exploitations qui s’est installée depuis une période de temps conséquente. La nature se fait constamment exploiter pour le profit et le bénéfice humain, sans qu’on en mesure les conséquences et le prix à payer. Tout cela affecte la vie de beaucoup de monde, animaux ou plantes de différentes manières.

A ce titre, que signifie ici le mot ‘Immanent’ ?

C’est un concept qui dit que la vie possède une valeur inhérente. C’est un peu l’opposé du mot ‘transcendant’. A un moment, il y a eu un virage dans l’histoire du monde occidental, au sein duquel il était acté que le concept de Dieu ou de magie existait parmi les gens. La nature était totalement liée à l’existence humaine, elle faisait partie de toi autant que tu en faisais partie. A partir de la fin du XVIème siècle, il y a eu une séparation et le concept de Dieu a transcendé la nature. Les sorcières de Salem en sont un autre exemple. A partir de cette série d’événements, la nature a été considérée comme quelque chose que l’on pouvait utiliser. Je ne suis pas une experte, mais j’ai lu beaucoup de choses et j’essaie de composer. J’ai le sentiment qu’on vit toujours à cette époque, mais à une échelle gigantesque !

Y-a-t-il eu un élément déclencheur qui t’a poussé à te lancer dans un tel album ?

J’ai toujours été féministe, et j’ai étudié les femmes à l’Université. Pour moi, féminisme signifie surtout égalité pour tous. Même si on met la femme au centre, l’objectif est que chacun ait une vie décente sur cette planète. C’est de cette manière que je perçois et ressens le monde. Quand quelqu’un a le pouvoir d’exploiter une chose ou une personne, le seul truc qui peut lui permettre d’éviter de blesser autrui est sa propre morale. Or nous vivons dans un monde où la morale n’existe pas. C’est aussi pour cela que les femmes ont été traitées de cette façon pendant des siècles, c’est la même chose pour la nature. C’est ce contre quoi je me bats aujourd’hui, et ce nouveau disque est intimement connecté au précédent.

Même s’il s’agit de sujets révoltants, on perçoit rarement la colère dans ta musique. On ressent l’anxiété, les doutes, mais presque jamais la colère. Comment fais-tu pour la contenir quand tu chantes ?

C’est une bonne question ! Je pense que sur mon précédent album, il y a des chansons qui sont un peu plus intenses que d’autres. En fait, c’est lié à ma façon d’écrire. C’est comme si je chantais des poèmes. Songwriting et poésie sont très proches, mais mon style est de parler d’un sujet de manière subtile, même s’il y a certainement un sentiment de colère enfoui. Ce disque est une forme d’activisme, et c’est un peu difficile à défendre quand on sait que je voyage dans un van et en avion pendant mes tournées… (rires) Je n’ai pas de solution ! Je constate que nous faisons tous partie du problème, même si certains en font plus partie que d’autres, à d’autres niveaux.

Les réseaux sociaux jouent un rôle énorme pour diffuser des idées sur le féminisme, les maltraitances animales ou l’environnement. Pour faire un parallèle, penses-tu que la musique ait un réel impact sur l’évolution des consciences ?

Quand tu entends tout ce qui se passe dans le monde, la musique peut être un moyen de se sentir plus fort et peut devenir un espace émotionnel pour tout relâcher, ou y chercher une forme de catharsis ou de guérison. Ça n’a jamais été mon but ultime en écrivant des chansons mais c’est définitivement quelque chose que j’ai pu expérimenter au travers du travail d’autres artistes. A leur manière, j’essaie de créer une bulle pour que l’auditeur y vive une expérience émotionnelle. Avec tous ces problèmes politiques, ce chagrin et cette tristesse, je fabrique un espace différent qui va au-delà de l’actualité. C’est une autre manière d’en parler. Le simple fait d’écrire cet album en lisant beaucoup a été très thérapeutique pour moi. Je me suis rendue compte que ce qui se passe aujourd’hui est simplement une copie du passé. C’est vraiment dur… Ce sont les gens qui ont le plus de pouvoir qui causent le plus de dégâts sur l’environnement. Tout ça doit être émotionnellement intense pour ces nouvelles générations qui découvrent réellement ce qui se passe. Pour certaines populations, cette crise climatique est même devenue une question de vie ou de mort… Tout le monde peut agir à son niveau, mais la planète a besoin de changements majeurs, en termes d’infrastructures ou autre. Néanmoins, je n’ai pas la prétention de penser que mon disque aidera à combattre cette crise.

Quelle est ta chanson préférée de l’album et quelle est son histoire ?

J’aime la chanson Dew. Elle est agréable à jouer, c’est presque un solo de piano. On y perçoit une destination tragique pour la planète, mais il y a toujours la possibilité d’expérimenter l’amour et d’autres choses positives. Finalement, c’est une chanson d’amour, au sens global du terme !

Est-ce que tu écoutes toujours tes anciens albums ?

Pas vraiment ! Je mets occasionnellement une chanson parce que je suis curieuse d’entendre la manière dont ça sonne.

Et qu’en penses-tu ?

Je suis toujours contente de certains titres mais pour d’autres, je les écrirais certainement différemment aujourd’hui. Dans tous les cas, je suis contente d’avoir fait ces morceaux à cette époque. Je ne peux pas imaginer ma vie sans ces disques, même si j’étais vraiment très jeune quand j’ai composé le premier… (rires)

Tu restes très fidèle au label français Talitres sur lequel tu as sorti toute ta discographie à ce jour. T’y sens-tu comme à la maison ?

Je travaille avec eux depuis le début. Je suis reconnaissante et ravie d’avoir une relation aussi solide avec Talitres. En tant qu’artiste indépendante, ce n’est pas facile de trouver ton chemin. Ce label m’a permis d’évoluer de façon stable et saine.

Lors de notre dernière rencontre, tu disais rêver de composer un album au milieu de nulle part. Où as-tu composé Immanent Fire ?

J’ai grandi dans un petit village et j’y suis retournée pendant deux semaines pour y écrire quelques chansons de l’album. Mon ancienne prof de piano possède une espèce de cour au milieu des bois, et je l’ai louée. Il y a un piano et des œuvres d’art, c’est un espace vraiment créatif. J’ai écrit le reste de l’album à la maison, à Oakland, mais je rêve toujours de transporter ma musique au milieu de nulle part ! (rires) Pendant cette tournée, nous sommes passés dans pas mal d’endroits où je me serais volontiers installée. Une guitare, un piano, internet, c’est tout ce dont j’ai besoin !

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