dEUS, darons sans complexe

dEUS, darons sans complexe

L’offre musicale chez nos potes Belges est aussi généreuse qu’une portion de frites dans leur sandwich mitraillette. En son sein, dEUS – qui depuis bientôt trente ans écume les scènes internationales et laisse dans son sillage des disques cultes pour plusieurs générations – a assurément le titre de daron légendaire de l’indé. Pour discuter de son dernier album How to Replace It et de la raison de sa longue absence, nous avons eu le batteur Stephane Misseghers au téléphone. Les jeunes appellent ça un phoner. Une interview qui a alterné le français, l’anglais et le néerlandais pour trois fois plus de bonheur. Et pas que linguistique.

How to Replace It arrive onze ans après Following Sea. Était-ce pour le groupe le timing idéal pour que l’album soit à la hauteur de vos attentes ?

Stephane Misseghers : Ce n’était pas vraiment prévu d’attendre aussi longtemps. Disons que, durant toutes ces années, nous avons eu un parcours mouvementé. On a traversé beaucoup d’événements personnels, je suis notamment passé par un divorce, puis le COVID a pris le relais. Après Following Sea, on avait également besoin d’un peu de repos pour réfléchir à la future direction que dEUS devait prendre. Autre fait important : notre guitariste est parti en 2017, donc on a dû chercher quelqu’un pour le remplacer. Quelqu’un qui convienne à la fois musicalement et humainement. Puis que faire après sept albums ? Nous n’aimons pas nous répéter. Du coup, on essaie toujours de trouver une manière d’être créatif et unique. Pour ça, il est nécessaire de vivre des choses afin de les raconter. Quand Tom écrit des paroles, il parle de son vécu, et ça prend du temps. Mais on ne s’est pas arrêté pour autant : on a donné des concerts, on a sorti un best-of et un film sur la tournée anniversaire de l’album Ideal Crash

Tu penses justement que l’injonction à la productivité est trop forte de la part des fans et des journalistes ?

dEUS a toujours été un groupe ayant besoin d’oxygène pour expérimenter. Il faut savoir que, quand on finit un album, on a généralement entre 30 et 40 morceaux parmi lesquels il faut ensuite trier. Sur celui-ci, il n’y a que la chanson How to Replace It que nous avions depuis au moins quatre ans. Nous sommes continuellement en quête du meilleur angle possible. Si nous faisions un disque sur une courte durée, je pense que ça nuirait grandement à sa qualité. dEUS a toujours travaillé durement et longuement sur ses nouveaux morceaux.

Un des thèmes de How to Replace It est le fait de vieillir. Après trente ans de carrière, avez-vous enfin sorti le fameux album de la maturité ?

Ce n’était pas forcément prévu au départ mais, quand tu écoutes ce disque, il englobe tous les bons ingrédients des précédents, mêlés à une nouvelle approche du songwriting. Après sept albums, c’est vraiment compliqué de ne pas se répéter. Et rien que pour ça, c’est déjà un succès.

Apparemment, l’album a été composé à partir de jams courtes mais intenses. Pourquoi avoir décidé d’aller à l’opposé de l’habituelle approche du groupe ?

Keep You Close et Following Sea ont émergé après quasiment trois ans de jams intensifs, donc ce n’est pas vraiment nouveau pour nous. Pour ce nouvel album, Tom nous a dit quasiment immédiatement qu’il allait écrire de son côté. Jusque-là, nous étions habitués à écrire ensemble, ça a donc été assez difficile à avaler au départ puisque ça signifie que chacun allait d’emblée moins participer au processus. Puis, avec le COVID, nous n’étions de toute façon pas autorisés à nous rassembler en studio trop longtemps. C’était frustrant mais, avec le recul, on peut dire que c’était la bonne manière de le faire…

Votre dernière tournée ayant été consacrée au vingtième anniversaire de Ideal Crash, êtes-vous heureux dans la perspective de faire découvrir ces nouveaux titres en live ?

Oui, évidemment ! Nous sommes très excités, nous répétons comme des dingues actuellement. Et en plus des nouvelles chansons, on a l’intention de dépoussiérer des anciens morceaux. On va proposer comme un petit reboot, on va dire. Je suis aussi curieux de savoir à quel point dEUS peut attirer une nouvelle génération grâce à l’accessibilité de la musique de nos jours.

Cette tournée anniversaire pour Ideal Crash a dû être émouvante non ? Qu’en a t-il été pour les membres qui, comme toi, n’étaient pas présents au moment de la conception de l’album ?

Ça a surtout été très intense ! On était accompagné d’une dizaine de danseurs et, en même temps, Fleur Boonman réalisait un documentaire sur cette tournée. En effet, Alan et moi n’étions pas là au moment de l’écriture de l’album mais Ideal Crash reste quand même mon préféré du groupe. Quand il est sorti à la fin des années 90, j’avais seulement 22 ans. J’étais un petit poussin qui, à l’époque, jouait dans Soulwax, et on avait fait la première partie de la tournée européenne de dEUS. Pour moi, c’était donc vraiment spécial de jouer cet album. C’est fou de constater l’impact qu’a eu Ideal Crash sur le public. Des décennies plus tard, il résonne encore pour beaucoup de personnes.

Est-ce que le retour du guitariste Mauro Pawlowski a aidé le groupe à aller définitivement de l’avant ?

Oui ! Mauro est une force tranquille. C’est un catalyseur au sein du collectif. C’est comme s’il n’était jamais parti… En tous cas, niveau guitares, on est paré ! Mais c’était aussi triste de voir Bruno partir pour des raisons de santé…

Tu penses que la pudeur caractérisant dEUS, comme votre refus du star-system, vous a servis ou desservis sur le long terme ?

Pour être honnête, ça ne nous affecte ni en tant qu’artiste, ni en tant qu’individu. Et ça a encore moins de conséquences sur notre musique ! Je suis certain que Tom n’est pas influencé par ce genre de considération non plus.

Du coup, pour être artistiquement libre, il faut impérativement se débarrasser des influences extérieures ?

Non, absolument pas ! Tu ne peux pas rester imperméable à ce qui t’entoure mais, même si ça démontre une certaine liberté artistique, je pense qu’il y a bien trop de musique de nos jours. Si tu es un peintre et que tu décides d’utiliser toute ta palette de couleurs d’un coup, tu vas obtenir un résultat merdique. C’est pareil avec la musique. Pour moi, trop de choses concentrées souligne une certaine régression. C’est autodestructeur. Tu peux me considérer comme vieux jeu, mais je pense que l’innovation doit d’abord passer par le songwriting. Tu dois impérativement utiliser les outils que tu possèdes sans laisser la technologie prendre le dessus sur tes chansons.

Le mot mélancolie est souvent associé à dEUS, comme à chaque fois qu’on parle d’un groupe des années 90. Les deux sont-ils indissociables selon toi ?

Partiellement, oui. Mais c’est plus vaste, et les raisons sont plus nombreuses que ça. Ce n’est pas entièrement lié à cette décennie. Ça a plutôt à voir avec l’âge des membres du groupe et ce qu’ils ont vécu. Nous n’avons pas honte d’avoir plus de 50 ans !

Photos : Joris Casaer

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