Des images et du montage : le docu musical est-il le mieux placé pour raconter la musique ?

Des images et du montage : le docu musical est-il le mieux placé pour raconter la musique ?

Si vous êtes lecteur fidèle de MOWNO, vous savez notre passion pour les documentaires musicaux. Parce que filmer la musique, c’est évidemment très beau, mais c’est aussi l’occasion de trouver de nouvelles clés de compréhension dans le travail d’un artiste, une œuvre ou un mouvement musical. Un travail d’exploration, en somme, qui mérite aujourd’hui toutes ses lettres de noblesse. Et ça tombe bien : le festival Musical Ecran est bien décidé à les lui offrir.
Pour sa cinquième édition, l’événement bordelais déroule le tapis rouge à une sélection de films documentaires aux idées larges, partis explorer la musique sur tous les continents, du jazz d’avant-garde au hardcore scandinave en passant par le funk d’Ethiopie ou l’underground japonais. Bref, si vous êtes du genre curieux, foncez-y (le programme est disponible ici). Et en attendant son ouverture le 7 avril, on s’est entretenu avec son co-programmateur Richard Berthou. L’occasion d’aborder ce qui fait le sel d’un documentaire sur la musique, les pièges de l’exercice et les nombreuses réussites du genre.

Pour commencer très simplement, pouvez-vous m’expliquer de quelle envie ou constat est né le festival Musical Ecran en 2015 ?

Richard Berthou : C’est parti d’une anecdote assez simple. Le fils d’un de mes amis écoutait de la musique sur son téléphone au casque. Il me le prête. Je reconnais le morceau. C’était The Party Scene des Russell Brothers. Mais lui ne connaissait pas, il ne savait pas ce qu’il écoutait. J’ai alors réalisé qu’il y avait un vrai travail à mener sur la manière dont on écoute la musique pour mieux la connaître et la comprendre. Le documentaire musical était un moyen d’y parvenir.

Lorsqu’ils sont réussis, les documentaires musicaux offrent l’opportunité de comprendre beaucoup de choses sur un artiste, le monde qui l’entoure, ce mouvement de balancier perpétuel qui conditionne sa musique…

Mais pourquoi un festival du documentaire musical et pas un festival de littérature sur la musique, par exemple ? Qu’est-ce qui vous plaisait spécifiquement dans ce format ?

Parce qu’il y avait très peu de festivals spécialisés dans le documentaire musical. Et puis Musical Écran est organisé par l’association Bordeaux Rock (concerts, festivals, label…) qui programmait déjà des projections. Nous avions donc constaté un réel engouement autour de ça. Aussi, lorsqu’ils sont réussis, les documentaires musicaux offrent l’opportunité de comprendre beaucoup de choses sur un artiste, le monde qui l’entoure, ce mouvement de balancier perpétuel qui conditionne sa musique… On peut comprendre les raisons pour lesquelles certains mouvements ont existé et pourquoi d’autres ont parfois disparus pour mieux renaître. Je pense au doc Ethiopiques : Revolt of the Soul que nous projetons cette année, ou au film Ex-taz Citizen Cash sur la naissance des raves en France. Sa réalisatrice, Xanaé Bove, fait d’ailleurs partie de notre jury cette année.

Comment s’opère la sélection des films présentés ?

La sélection s’établit de trois façons différentes. Nous effectuons d’abord un travail de veille à l’année sur les nouveautés. Lorsqu’un film nous intéresse, nous faisons une demande pour obtenir un lien de visionnage. Ensuite, nous voyageons dans d’autres festivals pour voir certains films en avant-première. Nous échangeons aussi des idées avec d’autres festivals en Europe. Enfin, nous lançons un appel aux films plusieurs mois avant le début du festival. Quelques documentaires présents dans la sélection nous ont été transmis par ce biais. De façon générale, nous essayons de conserver une direction assez éclectique et cohérente en ce qui concerne la programmation.

C’est vrai que, par leur sujet, ces documentaires montrent des réalités très variées du monde de la musique. Il y a bien sûr des portraits d’artistes ou de labels. Mais il y a aussi des exemples comme From Toilets to Stages qui explorent la face cachée d’un festival avec ses centaines de ‘petites mains’. Le but final est-il de reconstituer une mosaïque ?

Oui, l’idée du festival est effectivement de parler de la musique et de ceux qui la font ; cela à travers différents axes. Le premier est géopolitique avec des documentaires qui touchent à l’actualité, à des événements ou phénomènes de société. Il y a aussi évidemment un axe historique avec des films consacrés à des artistes, des labels, des mouvements… Et puis il y a un axe géographique avec des œuvres qui se concentrent sur des villes remarquables. Mais cette année, nous avons ajouté une dimension ‘sensorielle’ en nous attachant à la portée du son et du rythme sur le corps et l’esprit.

Le public a surtout des réactions de fan et reste très attaché qu’à ce qu’il connaît déjà (...) Mais il y a encore des curieux.

Mais est-ce difficile d’inviter le public à sortir des sentiers battus, par exemple en s’intéressant à des artistes qui n’entrent pas dans le cadre des musiques dites ‘actuelles’ ?

Oui, c’est très difficile, car le public a surtout des réactions de fan et reste très attaché qu’à ce qu’il connaît déjà – même s’il s’agit de musiques actuelles venues d’ailleurs. Mais il y a encore des curieux et ils font partie de notre public !

Dans ce cas, avez-vous des stratégies pour amener à un décloisonnement ?

Bien sûr ! On continue ce savant mélange de documentaires entre ceux qui permettent de donner une visibilité au festival et ceux qui nous font sortir des sentiers battus avec des choses nettement plus pointues et inconnues. Parfois, certains films collent d’eux-mêmes à l’actualité mondiale comme ‘They Will Have to Kill us First’ projeté en 2016 au festival et qui revient sur l’histoire du groupe Songhoy Blues pendant la charia imposée au Mali il y a quatre ans. C’est important et indispensable de montrer des choses comme ça.

Le documentaire musical semble être aujourd’hui un genre à part entière avec une production très vaste. Qu’y a-t-il de fascinant à filmer la musique selon vous ?

Certains le font avec des motivations proches des nôtres, celles que j’ai évoquées à l’instant. Mais il y aussi beaucoup de films financés pour relancer un artiste ou un catalogue. On peut prendre l’exemple de Netflix qui investit pour répondre à une demande évidente des fans. Celle-ci survient généralement après la mort d’un artiste très connu. Il y a aussi des documentaires réalisés par les fans eux-mêmes ou par des proches et qui ont juste envie de parler de ceux qu’ils aiment. Heureusement qu’il y en a encore pas mal ! Ces ‘fan movies’ sont d’ailleurs de plus en plus financés par le crowdfunding (comme Pretend We’re Dead, le documentaire consacré aux L7). Il y a enfin des artistes si charismatiques qu’ils sont des sujets qui s’imposent d’eux-mêmes.

Un live est toujours très esthétique à filmer ou à photographier. Cependant, les scènes ‘offstage’ peuvent offrir une toute autre réalité aussi intéressante, sur les gens, une société, etc. Qu’est-ce qui vous, vous intéresse le plus ?

Personnellement, je dirais tout ce qui a un prolongement humain et sociétal. Je pense par exemple à l’incroyable projet de Bill Drummond, le sulfureux leader de KLF, avec le documentaire Imagine Waking Up Tomorrow and all Music Has Disappeared. C’est une expérimentation artistique profondément sociale puisqu’elle consiste à tirer une ligne au hasard sur la carte du Royaume-Uni et à la suivre pour partir à la rencontre de la population locale, et lui proposer d’enregistrer des sons qui deviendront une œuvre éphémère. Ce film m’a énormément marqué pour sa générosité.

Je peux citer aussi le documentaire J’ai tout donné sur le Johnny Hallyday des années 70. Il est aussi profondément social. C’est un document d’époque qui nous montre à quoi ressemblait la population française au travers des concerts de Johnny. Ce grand réalisateur qu’est François Reichenbach a ouvert la voie à ce type de documentaires tournés ‘caméra à l’épaule’, au plus près du réel et de la vie. Et puis d’un point de vue ‘humain’, j’aime beaucoup les films Ryuichi Sakamoto : Coda ou Milford Graves : Full Mantis parce qu’ils révèlent des personnalités très complexes et créatives avec une quantité énorme de sentiments à décrire et à partager. En 1h30, ce n’est pas facile ! Je crois que la forme aide beaucoup avec les images et surtout le montage.

A l’inverse, est-ce qu’il y a une forme documentaire qui vous fascine moins ?

Je ne suis pas très client des fresques historiques… et par conséquent nostalgiques ! Par exemple, je n’ai pas aimé le film sur l’histoire du club new-yorkais Studio 54. On y entend peu de musique et c’est un long name-dropping de célébrités qui ne nous apprend pas grand-chose. Pourtant dans le même registre, j’ai beaucoup apprécié le docu ‘Maestro’ qui raconte la même période, les années 80, avec Larry Levan au Paradise Garage. Ceci dit, il y avait probablement plus de matière, de ‘soul’, et moins de dollars.

Le voyeurisme, s’il est subtil, ne me gêne pas. Parfois, c’est même le moyen de comprendre beaucoup de choses sur un artiste, et c’est surtout l’avantage du cinéma sur l’écrit.

Hormis le côté ‘fresque historique’ dont vous parlez, y a-t-il des pièges à éviter sur le fond dans cet exercice ? A titre personnel, je me rappelle du film Montage of Heck (le documentaire de Brett Morgen sur Kurt Cobain sorti en 2015) et de ses archives un brin voyeuristes…

Pour moi, il faut surtout éviter les interviews des ‘peoples’ qui ont bien connu machin, surtout quand elles sont un peu trop convenues, qu’elles ne font qu’encenser l’artiste et n’expliquent pas grand-chose. Le voyeurisme, s’il est subtil, ne me gêne pas. Parfois, c’est même le moyen de comprendre beaucoup de choses sur un artiste, et c’est surtout l’avantage du cinéma sur l’écrit. Le film Daniel Darc : Pieces Of My Life que l’on projette cette année en est la parfaite illustration. La réalisation est discrète, ce qui n’est pas évident vu la complexité du personnage. Il est conçu à partir d’interviews réalisées sur une longue période. L’équipe du film a réussi un portrait éloquent, et à mon avis sincère. De la même manière, Shut up and Play the Piano consacré à l’artiste Chilly Gonzales est très pertinent. Il s’approche de près de ce grand mégalo très assumé.

Sinon un coup de cœur à nous partager dans la programmation cette année ?

Sans hésiter Milford Graves : Full Mantis car ce film parle de beaucoup de choses bien au-delà de la musique pour nous expliquer son projet. C’est un portrait du percussionniste et pionnier de l’avant-garde jazz Milford Graves. Ce mec est aussi passionnant qu’envoûtant ! Il y a aussi le film sur Daniel Darc car c’est vraiment son témoignage que l’on voit et entend tout au long du film.

Et dans votre vie, quels sont les films documentaires qui vous ont marqué ?

Premièrement : Woodstock, parce que c’est le tout premier doc musical que j’ai vu de ma vie, et je pense qu’il m’a effectivement mis sur les rails. Ensuite Joy Division – le documentaire, pas le film ! – parce que je suis fan de post-punk et de Factory Records, et que l’énergie du D.I.Y. est celle de ma vie. Et enfin Junun que nous avons diffusé il y a trois ans. Il a été réalisé par Paul Thomas Anderson (NdR, réalisateur de There Will Be Blood, Boogie Nights, Punch-Drunk Love, etc.) et a gagné à la fois le prix du jury et celui du public. Il montre tout ce que la musique peut avoir de jubilatoire et d’universel. Et donc donner du sens à nos vies !


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