
10 Oct 24 DEADLETTER, hommes de l’être
On a profité de la sortie de Hysterical Strenght, le premier album des Britanniques prometteurs de DEADLETTER, pour échanger avec Zac Lawrence, chanteur du groupe. Confortablement installé sur le siège avant de sa voiture, il est revenu avec nous sur les origines et l’évolution du sextet ainsi que sur les différents aspects de son rapport à un monde qu’il qualifie lui-même de brutal.
Le groupe a été formé par Alfie Husband, George Ulyott et toi, dans le Yorkshire avant votre déménagement à Londres en 2017. L’ambition était-elle d’exporter DEADLETTER un peu plus loin ? Dans quelle mesure ces deux environnements ont-ils impacté votre musique ?
Zac Lawrence : En réalité, nous avons déménagé avant même que nous nous appelions DEADLETTER. À ce moment-là, l’idée était de partir et de voir autre chose que les petites villes du Nord. Nous avions une vie assez rurale lorsque nous étions encore là-bas, et notre environnement n’offrait pas beaucoup d’opportunités pour progresser en tant que groupe. En partant pour Londres, on avait très envie de se confronter à un public plus large. Concernant l’influence que ces deux endroits ont eu sur notre musique, je ne sais pas vraiment, c’est assez difficile à dire. Je suppose qu’en tant qu’être humain, et plus encore en tant qu’artiste, tu es le produit de l’environnement dans lequel tu évolues. Je suis donc certainement à l’image de là où je vis et où j’ai vécu. Peut-être que nous aurions eu moins d’ambition si nous n’étions pas originaires du Nord de l’Angleterre !?…
Vous avez sorti votre premier single en mai 2020, en plein milieu de la pandémie. Pourquoi diffuser sa musique à un moment où le futur était encore flou ?
Ce n’était pas réellement notre intention. Il se trouve qu’au début de la même année, nous nous sommes rebaptisés DEADLETTER et avons enregistré un premier single – Good Old Days – que l’on avait prévu de sortir en mai. C’était donc déjà notre plan lorsque la pandémie est tombée. Certes nous étions dans une période d’incertitudes, nous ignorions combien de temps tout cela durerait, mais nous ne voulions pas perdre notre élan. Changer de nom te permet d’instaurer une nouvelle dynamique, et nous avions hâte de montrer au monde ce que ce changement impliquait et signifiait pour nous. Nous sommes donc restés fidèles au plan établi quelques mois plus tôt.
Depuis, vous êtes passés de trois à six membres, faisant basculer le groupe dans une dimension plus technique et musicale. Êtes-vous continuellement dans une optique de complexification de votre musique avec plus de musiciens et d’instruments ?
Lorsque nous avons enregistré ce premier single, nous étions davantage un groupe à guitares. Puis c’est la quête de perfection que nous avions lorsque nous répétions ou écrivions qui a permis à notre musique d’évoluer et de se développer. Nous n’avons jamais cherché à la complexifier. Nous travaillons de manière très impulsive. Parfois, il se trouve simplement que ce que nous jouons ensemble fonctionne et, dans ce cas, nous continuons dans la même voie. Nous ne prévoyons jamais de faire quelque chose de plus ‘technique’. On ne se fie qu’à notre ressenti face à nos improvisations pour décider de ce que peut devenir une idée qui nous traverse. Les choses se font donc naturellement.
Black Country, New Road est l’un des groupes qui a ouvert de nouvelles portes au post-punk. Le fait qu’ils aient tenté beaucoup de choses différentes et nouvelles, et qu’ils aient rencontré un certain succès, a-t-il aidé à choisir la direction que vous avez prise ?
Non, je ne pense pas. Nous avons beaucoup de respect pour nos pairs et pour les groupes que l’on peut côtoyer ou croiser, mais nous ne regardons que rarement – voire jamais – ce qui peut se passer ailleurs musicalement. C’est le meilleur moyen de progresser. Bien sûr, il y a peut-être un ou deux groupes qui nous confortent dans l’idée que notre musique a le potentiel de toucher et d’intéresser les gens, mais ce n’est même pas notre premier souci. Notre envie, c’est avant tout de jouer une musique que nous aimons. Là, il se trouve juste qu’on sort notre premier album au moment où d’autres musiciens jouent une musique qui pourrait être considérée comme similaire à la nôtre.
Par ailleurs, acceptes-tu cette étiquette post-punk qui rassemble de plus en plus de groupes assez différents ? Est-ce que vous vous considérez comme un groupe de post-punk ?
Non pas vraiment. Je pense que le post-punk, c’est terminé. Cette appellation est simplement quelque chose de facile et pratique d’un point de vue journalistique. Si tu remontes le temps, tu te rends compte que tout a toujours été catégorisé, sûrement pour permettre aux gens de lier des choses à d’autres. Tu trouveras certainement chez nous des similarités avec des groupes post-punk, mais je ne crois pas que nous nous inscrivons forcément dans un genre ou une scène en particulier.
Pour définir l’esprit du groupe, tu fais le parallèle entre la brutalité du monde et une certaine beauté de la nature : ‘The world is brutal but there are cherry trees in blossom‘. Lorsque tu dis que le monde est brutal, à quelle dimension fais-tu allusion ?
À l’existence humaine en elle-même, à la condition humaine. L’existence est étrange, bizarre. Nous arrivons dans un espace dépourvu de sens, et nous devons nous débrouiller avec ça. Je crois que ce n’est qu’à partir du moment ou tu intègres vraiment cette idée que tu peux commencer à te concentrer sur les raisons positives de ta présence sur cette planète. Selon moi, c’est un point de vue réaliste qui n’est ni pessimiste ni optimiste. Les choses sont brutales, la vie est dure, que ce soit économiquement, mentalement, socialement ou physiquement. Les choses peuvent être réellement difficiles mais, malgré cela, il y a beaucoup de moments, tous les jours, toutes les heures, qui peuvent t’aider à apprécier ta vie davantage.
Dans quelle mesure cette opposition entre brutalité du monde et beauté de la nature t-inspire-t-elle ? Quelles sont les réflexions que tu construis autour de cela ?
J’aime l’idée de prendre quelque chose qui sonne un peu de manière morbide et sombre, ou ridicule et absurde, puis de le mettre aux cotés de quelque chose qui sonne peut-être plus positif ou qui appelle à la béatitude. Au sein du groupe, nous aimons cette juxtaposition, et la vie en est pleine !
Pour rebondir une dernière fois sur cette idée de brutalité, comment te positionnes-tu vis-à-vis du contexte politique récent et mouvementé en Angleterre ? Prends-tu tes distances ou est-ce une source d’inspiration supplémentaire ?
Il y a quelques temps, j’aurais peut-être répondu délibérément à ce qui se passe ici politiquement, comme à la politique en général. Aujourd’hui, je n’ai plus nécessairement l’intention de le faire. Tu sais, en tant que créatif, tu as tendance à répondre à ce qui te fait face et parfois, la politique se place réellement au premier plan de ton attention. Je ne dirai jamais que nous avons été un groupe politique. Nous sommes davantage des observateurs et parfois, nos observations s’attardent sur la politique. Néanmoins, nous ne dirons jamais non plus que nous nous maintenons à distance de tout cela pour ne pas contrarier qui que ce soit. Nous avons nos voix et nos opinions.
On peut considérer le départ de votre saxophoniste Poppy Richler comme un coup dur tant elle contribuait à vos morceaux et à la singularité de DEADLETTER. Pourquoi a-t-elle décidé de partir ? L’avez-vous remplacée depuis ? Qu’est-ce que cela peut changer en termes de composition à l’avenir ?
Inutile de rentrer dans les détails qui l’ont poussée à partir. Disons que nous avons eu quelques divergences mais, par respect pour elle comme par respect pour nous, nous estimons qu’il n’y a pas besoin d’en faire une affaire publique. Ce n’est rien d’horrible, nous sommes toujours en bons termes. Aujourd’hui, nous avons Nathan à nos côtés, un saxophoniste très talentueux. Il est avec nous depuis que Poppy est partie et j’espère que nous continuerons ensemble. On verra ce que son arrivée changera aux futures compositions. Il a sa propre manière de jouer, donc sa personnalité se fera forcément ressentir sur nos prochains enregistrements.
Photos : Sal Redpath
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