Dans son livre, Gregory Vieau creuse l’histoire de la presse rock française

Dans son livre, Gregory Vieau creuse l’histoire de la presse rock française

Journaliste indépendant – noircissant du papier pour le compte de quelques titres de presse comme Vice, New Noise ou vos humbles serviteurs – Gregory Vieau s’est lancé il y a quelques mois dans un projet d’une toute autre envergure, poussé par l’envie d’écrire son premier livre. Et le bougre n’y est pas allé de main morte en s’attaquant avec passion et brio à un sujet aussi dense que l’évolution de la presse rock française depuis son apparition au milieu des sixties. Tout juste paru, et au fil de ses 464 pages, Une Histoire de la Presse Rock en France nous plonge avec rigueur et précision dans soixante ans de (contre-) culture musicale et ses étapes majeures. Discussion avec l’auteur d’un livre déjà essentiel, disponible depuis le 19 août aux Editions Le Mot et le Reste. 

Comment en es-tu arrivé à te pencher sur l’histoire de la presse rock en France ?

Grégory Vieau : Très simplement, en m’apercevant qu’il n’existait aucun livre d’ensemble sur le sujet ! Il y avait bien des biographies ou des anthologies de certains titres très connus comme Rock & Folk, Les Inrockuptibles ou Actuel ou bien les mémoires de critiques devenus célèbres chez nous. Mais rien qui ne couvre l’ensemble de cette histoire en abordant à la fois les magazines à succès et ceux restés dans l’ombre comme par exemple Enfer Magazine, qui fut le premier à se tourner exclusivement vers le hard et le heavy metal en France au début des années 80. Je me suis donc dit qu’il y avait là un sujet dense mais passionnant à traiter. D’autant que j’aspirais aussi à écrire un premier livre à ce moment-là.

Ton statut de journaliste au sein de diverses rédactions a-t-il contribué à cette idée, cette envie de te pencher sur toute cette évolution journalistique ?

C’est moins mon métier actuel qu’une passion très ancienne pour la presse magazine qui a nourri cet intérêt. Enfant puis adolescent, dès que je développais une passion, il fallait que j’achète des magazines sur le sujet. Ça a été le football, les jeux-vidéo, la bande-dessinée et enfin le rock dont je suis vraiment tombé dingue vers mes quatorze ans. Je viens de fêter mes trente ans et je crois que j’appartiens à la dernière génération d’ados à avoir fabriqué tout ou partie de sa culture musicale à partir de là. C’est par exemple en lisant un texte de Jean-Daniel Beauvallet au sujet du Unknown Pleasure de Joy Division dans Volume que j’ai vraiment eu le sentiment de comprendre cet album, alors même qu’il était stocké dans mon lecteur mp3 depuis quelques mois déjà…

Mike Lecuyer t’a bien aidé pour ce livre en t’ouvrant sa collection. Comment s’est faite la connexion ?

Mike Lecuyer a été le cofondateur de Pop 2000, un mensuel musical qui a duré deux-trois ans au début des années 70 et aussi de Maxipop, un hebdomadaire orienté pop music et prog. C’est au tout début de mes recherches que je suis tombé sur le site qu’il avait lui-même conçu pour répertorier tous les magazines de rock qui ont existé en France : www.web2000.bluesfr.net. Je suis assez vite rentré en contact avec lui par email et lorsque j’ai eu besoin d’infos ou de scans d’un magazine, il s’est montré très réceptif et m’a aidé sans rien demander en retour.

Quelle autre méthode as-tu dû adopter pour pouvoir te plonger avec rigueur et précision dans tant de matière ?

Comme je le disais, il existait déjà une littérature sur le sujet mais relativement limitée. La base de données de la Bibliothèque Nationale – qui recense tous les périodiques édités en France depuis des lustres – m’a été très utile. J’ai aussi pu consulter certains magazines directement dans l’enceinte de la Bibliothèque située sur les quais de Seine à Paris. Tout y est minutieusement archivé. Ensuite, j’ai effectué une série d’entretiens avec des acteurs de cette presse comme Gérard Bernar qui a participé à l’aventure Disco Revue – le premier magazine sur le rock édité en France en 1961 – et qui a ensuite fondé Best. Pour retrouver ces personnes, j’ai parfois pu compter sur mon petit réseau personnel mais j’ai aussi dû jouer les détectives sur Internet et les réseaux sociaux ! Enfin, bien sûr, le web en général a été une source d’information essentielle, même s’il faut toujours faire attention à la véracité des informations.

Comment se fait-il que la presse musicale française n’ait jamais été aussi impactante qu’en Angleterre par exemple ? 

Justement, c’est l’un des principaux propos de mon livre : la presse rock française n’a clairement pas à rougir de ses concurrents anglo-saxons ! Je vais te donner un exemple : en 1966, il y a un jeune étudiant lyonnais du nom d’Alain Dister qui part aux États-Unis avec ses propres économies dans l’espoir de rencontrer les jazzmen qu’il adore. Sur place, rien ne se passe comme prévu. Il se frotte aux premières communautés hippies dans le quartier du Village, à New York, puis se laisse embarquer en Californie où il va notamment rencontrer Frank Zappa encore totalement inconnu. Et de ce trip initiatique de trois mois, il tire un grand récit de plusieurs pages à la première personne qui sera finalement publié dans Rock & Folk en février 1967. On a clairement là les germes du fameux style gonzo qui sera ensuite popularisé dans des revues comme Rolling Stone ou Creem. Des revues qui n’existent pas encore à ce moment-là ! Après bien sûr, des titres comme le NME ou le Melody Maker au Royaume-Uni ont réalisé bien plus de ventes que Rock & Folk ou Best en France. Mais pour moi, c’est plus lié à des raisons culturelles ou structurelles – les musiques à guitare ont toujours été moins importantes dans notre pays – qu’à une question de qualité de la presse.

Selon toi, le web a-t-il fait autant de mal qu’on le dit à la presse écrite ?

Oui. Le nier serait de mauvaise foi. La rubrique la plus populaire dans les premiers magazines de rock, était celle consacrée aux brèves parce que les fans voulaient connaître les dates de sorties d’album, de tournées ou les potins sur leurs artistes préférés et qu’ils ne trouvaient ces infos nulle part ailleurs. Quand la radio et la télévision se sont vraiment emparés du rock au début des années 80 – c’est là notamment qu’est apparue l’émission Les Enfants du Rock sur Antenne 2 – la presse en a déjà souffert. Mais certains ont su tirer leur épingle du jeu, comme Les Inrockuptibles première formule en proposant un contre-pied à cette surenchère d’informations avec des interviews d’artistes très longues et décorrélées de l’actualité. Mais avec le boum d’Internet au début des années 2000, les cartes ont été à nouveau rebattues et de façon systémique. Cette fois, non seulement l’actualité ‘chaude’ était disponible, mais on pouvait aussi lire des critiques d’albums ou des interviews de groupes gratuitement sur des blogs ou webzines. Et je ne parle même pas de la musique accessible sur des plateformes comme Napster ou eDonkey ! Dès lors où on peut obtenir de la musique sans payer, pourquoi s’orienter à partir de l’avis d’un journaliste ? Au pire, si l’album ne plaît pas, il suffit de faire ‘Clic droit – Supprimer’ et on en télécharge un autre. Les maisons de disque ont donc diminué drastiquement leurs investissements publicitaires dans la presse musicale, ce qui a encore contribué à affaiblir cette presse.

Qu’est-ce qui t’a le plus surpris en écoutant tes confrères passés ou actuels ?

Attention : en aucun cas je ne souhaite me comparer ou me mettre dans la même case que ces personnes que j’ai pu interroger comme Michka Assayas, Laurence Romance ou Vincent Théval – pour ne citer qu’eux – qui sont tous des auteurs/journalistes brillants. Ce que je peux dire, c’est que ce sont des personnes extrêmement passionnées de musique et qui le restent même lorsque leur parcours les a portés vers d’autres domaines. Au cours de la trentaine d’entretiens que j’ai pu mener, jamais je n’ai senti d’aigreur ou de cynisme vis-à-vis de cette passion et du fait d’écrire dessus. Au contraire, tout le monde semblait heureux d’en parler et bien souvent, l’échange finissait par dériver sur tel ou tel groupe, tel ou tel genre musical…

Un témoignage, une histoire t’a-t-il (elle) particulièrement marqué durant toute la genèse de ce livre ? 

Le témoignage de Francis Dordor (photo ci-dessus) m’a beaucoup marqué car je pense qu’il en fera rêver plus d’un, moi compris, et qu’il témoigne parfaitement d’un ‘âge d’or’ de la presse musicale. Francis est entré à Best au milieu des années 70, juste avant l’explosion du punk. Il en est devenu le rédacteur en chef une dizaine d’années plus tard puis, un peu après que le magazine ait cessé de paraître en 1994, il a rejoint Les Inrockuptibles où il continue aujourd’hui de signer des articles. Au cours de sa carrière, il a parcouru le monde entier et rencontré certains des plus grands : Bob Marley à Kingston, Lou Reed à Londres, Femi Kuti, fils de Fela Kuti à Lagos… Cela renvoie à une période où les maisons de disques – ou alors les rédactions – n’hésitaient pas à payer des voyages à leurs journalistes pour obtenir des interviews ou des reportages. Impensable aujourd’hui. L’entendre raconter tout ça ne peut donc pas vous laisser insensible quand vous êtes un fan de musique. Mais il reste très humble et conscient de cette chance qu’il a eu. Il m’a dit : ‘J’ai fait un petit métier et je crois l’avoir fait du mieux possible, avec passion.‘ Je crois que ça résume tout.

Quel est le conseil le plus précieux que tu donnerais à un jeune journaliste désireux de se lancer demain dans la presse écrite musicale ?

Honnêtement, je n’ai pas d’acquis à faire valoir. Tout ce que je peux dire – à ceux qui en doutaient encore -, c’est que la presse musicale, encore plus que la presse dans son ensemble, vit des moments difficiles, liés notamment à une conjoncture économique très défavorable. Alors à ceux qui rêvent d’écrire dans des magazines de musique pour gagner leur vie ou voyager à l’œil, désolé, mais vous risquez d’être très déçus. En revanche, et contrairement à ce que déclarent certains pisse-froids, on vit une période passionnante sur le plan musical. Même si le rock ne fait plus autant vendre, il continue d’y avoir d’excellents groupes qui débarquent chaque mois avec de vraies idées. Et dans le rap, la pop music ou les musiques électroniques, il y a pelletée d’artistes et d’artisans géniaux. Encore plus si vous regardez hors d’Occident. Bref, il y a toujours des tas de choses à voir, écouter et raconter si vous êtes humblement passionné. Et ça, c’est quand même une bonne nouvelle. Surtout dans une période aussi ‘compliquée’ que la nôtre !

Une Histoire de la Presse Rock en France est ton premier livre. Sais-tu déjà de quoi traitera le ou les prochains ?

Aucune idée. J’ai des envies mais ça reste très flou… Écrire un livre, c’est un temps considérable et un exercice relativement solitaire qui peut être, à un moment, un peu éprouvant sur le plan psychologique, surtout lorsqu’on a très à cœur de bien faire. Donc je vais prendre mon temps… Je tiens déjà à remercier toutes les personnes chez Le Mot et le Reste – mon éditeur sur ce livre – pour leur accompagnement, et en particulier Yves Jolivet pour sa confiance et ses encouragements.


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