Corridor voit la lumière au bout du tunnel

Corridor voit la lumière au bout du tunnel

En 2024, nombreux sont encore les albums dont la conception s’est étalée sur plusieurs années en raison des contraintes bien connues du Covid. Corridor en est l’illustration montréalaise avec Mimi, nouvel album sorti après cinq ans de silence. Comme en attestent l’arrivée d’un nouveau membre, le recours à de nouvelles sonorités et des vies personnelles en mutation, le groupe évolue mais demeure dans le fond la même formation attachante qu’on suit depuis bien des années maintenant. Depuis l’autre côté de l’Atlantique, Dominic Berthiaume, vite rejoint par Samuel Gougoux, ont partagé leur satisfaction de voir enfin la lumière au bout du tunnel.

Entre Junior et Mimi, cinq années se sont écoulées. Il y a donc eu une vraie coupure dans le rythme de sortie que vous aviez durant les années 2010. Que s’est-il passé pour Corridor depuis 2019 ?

Dominic Berthiaume : C’est vrai qu’on avait l’habitude de sortir un album tous les deux ans environ, seulement la pandémie nous a forcés à ne pas faire grand chose pendant quasiment trois ans. À chaque fois qu’on compose un album, on essaie d’avoir une approche différente pour l’écriture. Junior a été fait en très peu de temps, un peu comme si on s’était lancé dans un sprint créatif. Naturellement, on a voulu prendre notre temps pour le suivant, ce qui fait que Mimi est le résultat d’un travail au compte-goutte plutôt qu’un effort continu. Mais il y a plein d’autres facteurs qui ont conditionné la réalisation de cet album. Jonathan est devenu père, et rien qu’avec ça, nos vieilles habitudes de nous retrouver le soir pour bosser ont été bouleversées. On a aussi dû changer de local de répétition en 2021 à cause de la pandémie et des restrictions d’accès. Ça a été un gros changement, car on y allait depuis 2012 et pendant un moment, ça a été impossible de répéter. Il fallait quitter la ville, se replier dans des chalets – celui de Jonathan notamment – pour faire des sessions intensives d’écriture et de composition. Quasiment tout a été fait là-bas, sans forcément qu’on transforme les idées écrites en chansons complètes. En plus de ce qu’on a composé récemment, il y a beaucoup de bouts de morceaux qui sont assez anciens. Je pense par exemple à l’introduction de Mourir Demain qui a été écrite au temps de Supermercado, notre deuxième album.

Le travail de composition a donc été un mélange d’archéologie et de puzzle…

Dominic : Exactement. Jonathan et moi avons beaucoup d’archives de ces dix dernières années sur nos téléphones. C’était la première fois qu’on réécoutait tout ce qu’on avait fait. Une fois qu’on a réuni tous les bouts de musique à peu près écrits, ça a été un gros travail pour les structurer en chansons. On a passé beaucoup de temps derrière nos ordinateurs pour y arriver.

Je trouve qu’il y a une progression assez naturelle entre vos albums. Mimi est peut-être le plus varié en termes d’arrangements, de textures, d’ambiances. Il est aussi plus contemplatif que nerveux. Ça a été spontané d’en arriver là ? Ou est-ce que vous aviez des intentions précises quand vous avez commencé à composer ?

Dominic : Ça sonne quand même encore comme un album de Corridor. À chaque disque, on essaie de faire les choses différemment, mais plus ça va et plus c’est dur. Tu ne veux pas te répéter, mais tu ne veux pas non plus t’engager dans un univers complètement différent. Tu vois, je ne pense pas qu’on soit prêt à sortir un album de hip hop dans deux ans… C’est aussi une des raisons pour lesquelles on a pris plus de temps sur cet album. Il fallait trouver la direction à prendre. On avait une douzaine de morceaux finalisés à la fin, mais il n’y en a que huit qui se sont retrouvés au tracklisting.

Qu’est-ce qui fait la cohérence de votre album selon toi ?

Dominic : On s’est demandé ce qui représentait le plus le groupe à ce moment, en cherchant à identifier les morceaux qui fonctionnent le mieux ensemble. Samuel nous a rejoint entre-temps, et sa présence et ses contributions ont apporté beaucoup à l’album. Depuis 2019 et la tournée pour Junior, il faisait partie du groupe en live. Pour l’écriture de Mimi, on a voulu l’inclure dans Corridor, donc il est devenu un membre à part entière. Il a vraiment travaillé avec nous sur les huit morceaux, et c’est pour cela qu’on les a retenus.

C’est Samuel qui a apporté beaucoup d’éléments électroniques dans la palette instrumentale de l’album ?

Dominic : Oui, exactement. Il a un background assez électronique, entre son projet solo et d’autres collaborations. L’intro de Mon Argent, celle de Caméra, et plein d’autres choses, c’est lui qui les a composées.
Samuel Gougoux : L’idée était de partir du son du groupe déjà établi, en gardant tout ce qui est reconnaissable, comme le son des guitares, mais d’amener aussi de nouveaux éléments. Parfois, j’apportais des textures ou des loops mais, globalement, ça a été un processus de groupe. Même les beats de batterie ont été re-manipulés par nous tous.

Parmi les éléments signatures du groupe, il y a les guitares, mais aussi les voix qui restent sur Mimi dans la lignée de ce que vous avez toujours fait. Concevez-vous toujours la voix comme un instrument dans Corridor ?

Dominic : Oui, toujours. À l’origine, il y a dix ans, on s’est mis à deux chanteurs car ni Jonathan ni moi-même ne savions vraiment chanter. On prenait – et on prend encore – le meilleur de ma voix, tout comme le meilleur de la sienne : c’est un procédé qui a toujours fait partie de l’esthétique de Corridor. C’est d’ailleurs comme ça que la voix est traitée dans les groupes qui nous ont influencés. Elle n’est pas mise en avant. Aujourd’hui, même si on est devenu de meilleurs chanteurs, on veut garder cet aspect d’origine dans notre identité. Dans ce genre de musique, quand la voix est mise au premier plan, ça gâche tout. Et puis avec le temps, on a appris nos limites. On se parle très franchement, Jonathan et moi. S’il apporte une ligne de chant que je juge pas terrible, je ne vais pas hésiter à lui dire.

Est-ce que le fait de revenir après tant d’années et de vous être ouverts à d’autres sonorités vous a inspiré pour la suite de Mimi ?

Dominic : Chaque album est créé en réaction avec le précédent. Vu que Mimi nous a pris cinq ans, je pense qu’on va retourner à quelque chose de plus immédiat et ne pas passer du temps à se casser la tête derrière un PC comme on l’a fait. Mais on verra, nous n’en sommes pas encore là du tout.

Quel a été l’entourage qui vous a aidé à réaliser l’album ?

Dominic : Contrairement à notre habitude, on a travaillé entre nous, on s’est fait confiance. Seul notre ingé son, Joojoo Ashworth, nous a aidés en studio. Après l’enregistrement, on a fait mixer l’album par Valentin Ignat avec qui nous n’avions encore jamais travaillé. En fait, pour cette étape, on avait organisé une espèce de combat de mixeurs : on a envoyé une chanson non mixée à huit personnes différentes, puis on a reçu les résultats sans savoir qui avait fait quoi. On a tous voté pour nos préférés, et c’est Valentin qui a reçu le plus de voix. C’était la première fois qu’on faisait ça, et s’il y a bien une chose que je referai, c’est ça.
Samuel : Oui, ça a été la manière la plus efficace de faire. C’était un risque de travailler avec quelqu’un qu’on ne connaissait pas beaucoup, mais la question ne s’est même pas posée.

Vous avez récemment repris les concerts aux Etats-Unis et au Mexique. Comment se sont passées ces premières dates ?

Dominic : C’était vraiment cool, on n’avait plus joué depuis des années. Il a fallu apprendre à jouer les chansons en live et à les adapter à ce contexte. Encore une fois, Samuel a été d’une grande aide pour transposer au mieux les morceaux sur scène.
Samuel : C’était un défi, mais on a réussi. Quand on a composé, on ne s’est imposé aucune limite, on n’a pas du tout pensé au live. Forcément, quand on en est arrivé à préparer les concerts, ça nous a rattrapés mais on a pu trouver les moyens de jouer les nouveaux morceaux comme on le veut.

Vous avez fait de la musique en dehors de Corridor, ces dernières années ?

Dominic : Sam oui, mais moi pas du tout.
Samuel : Corridor est le groupe le plus actif avec qui je travaille en ce moment mais, ces dernières années, j’ai collaboré avec d’autres musiciens. Je suis aussi compositeur, donc j’ai également passé du temps à réaliser les musiques d’une web-série et de quelques courts métrages. Je baigne toujours dans la musique, ça me permet de rester inspiré. C’est d’ailleurs la même chose pour Jonathan avec son projet solo.
Dominic : Oui, il a eu le temps de sortir deux disques solo entre les deux derniers albums de Corridor. Il est très prolifique. C’est plus simple pour lui de travailler seul qu’en groupe. C’est toujours motivant de travailler à plusieurs, mais c’est aussi assez challengeant. Jonathan, lui, arrive à avancer tout seul, donc ça va vraiment plus vite.
Samuel : J’ai l’impression qu’aujourd’hui, composer de la musique en groupe est devenu moins évident, moins facile. Je ne sais pas si c’est parce qu’on vieillit et que les idées venaient toutes seules quand on était plus jeunes, mais ce n’est plus pareil.

Justement, prendre de l’âge, se rendre compte à quel point les choses changent, ça fait partie des thèmes que vous abordez dans l’album. Quel impact ça a sur votre esprit créatif, le fait de ne plus être si jeune que ça ?

Dominic : La vie a vraiment changé pour certains d’entre nous, et je pense évidemment à Jonathan. Moi, même si j’ai pris un coup de vieux, mes occupations et mes responsabilités sont toujours les mêmes. Jonathan, lui, est devenu père, mais aussi propriétaire. Forcément, ça lui fait porter de lourdes responsabilités. Pour les thèmes des paroles, comme c’est lui qui les écrit, elles sont très personnelles et propres à sa vie. Mourir Demain évoque sa recherche d’assurances vie et sa propre mort, en rapport avec le fait qu’il a désormais un enfant. Dans Chenil, il parle d’appeler un exterminateur pour s’occuper d’une invasion de souris dans son chalet… Tout est lié à sa vie d’adulte responsable et de papa. Il y a un moment, il s’est acheté un souffleur à feuilles et avait hâte de l’utiliser : c’est le genre de chose qui lui fait dire qu’il est un peu devenu quelqu’un d’autre. À 20 ans, tu es loin de ça. Tu vois ton père avec son souffleur et tu te dis que tu n’as pas pressé d’en arriver là.

Comment se passe l’apport des textes à la musique ?

Dominic : Vu que je chante les textes avec lui, il m’en parle au moment où on les place sur la musique. J’ai une confiance aveugle en ce qu’il fait. Ça fait 25 ans qu’on joue ensemble, je connais son talent et, comme je te le disais, on communique très librement entre nous. Je lui dis quand ça ne me plait pas, il entend ce que je lui dis et cherche à arranger le truc. Je lui ai fait réécrire la fin de Mourir Demain par exemple, qui était très simpliste par rapport à ce qu’il est capable de faire d’habitude.

J’ai pu constater que la pochette de Mimi intrigue beaucoup. Elle a notamment fait réagir les fans du groupe français Trainfantome par sa ressemblance avec celle de son dernier album. D’où vous est venu ce choix ?

Dominic : Ça date du moment où on se partageait les démos de l’album sur Soundcloud. Sur cette plateforme, il y a la possibilité de mettre une pochette temporaire, donc on avait mis la photo d’un chat qui nous faisait rire et qu’on avait trouvé sur le compte Instagram notmyanimal. Quand il a fallu faire le choix de la vraie pochette, on n’a rien trouvé d’aussi bien. Vu qu’on voulait garder cette photo mais que notre manager nous l’a déconseillé pour des raisons de droits, Jonathan l’a dessinée. Ce qui ne règle pas les histoires de droits, du coup l’équipe juridique de Sub Pop a dû fouiller dans tout internet pour trouver le propriétaire de cette image et obtenir son autorisation. C’est donc parti d’une plaisanterie un peu débile entre nous. Personne n’a aimé cette pochette, on nous a même demandé de ne pas l’utiliser, mais on a insisté et on en est content car elle suscite beaucoup de questionnements.

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