
18 Oct 19 Corridor, le succès tranquille
On avait rencontré Corridor pour leur première date à Paris en mai 2016. A l’époque, les quatre montréalais venaient défendre sur scène leur unique album, Le Voyage Éternel sorti un an plus tôt. Un disque qui nous avait impressionné par son doux psychédélisme nourri d’harmonies de guitare et d’une rythmique nonchalante. Surtout, le groupe se démarquait de toute concurrence par un chant en français plein de poésie, mais jamais trop mis en avant, à mille lieux de cette pop francophone tapageuse qui déferle sur l’Hexagone.
Malgré ces qualités, on les imaginait pourtant rester un secret d’initiés, de ces groupes chéris par une poignée de fans à l’affût. Grosse erreur. Puisqu’après un très remarqué Supermercado en 2017, c’est le label culte Sup Pop (Nirvana, Beach House, The Postal Service, The Shins, etc.) qui publie le troisième album des Montréalais. Une reconnaissance largement méritée pour un groupe qui n’a pourtant jamais semblé vouloir forcer son destin. A l’aube de la sortie de Junior, on retrouve Jonathan Robert (chant/guitare) et Dominic Berthiaume (basse/choeur) pour évoquer ce parcours en pente douce.
Qu’est-ce que ça fait d’être le premier groupe francophone signé sur Sub Pop ?
Dominic : C’est cool, vraiment cool. On est super contents ! C’est flatteur, en un sens, d’être le premier groupe qui chante en français sur ce label.
Jonathan : On n’a jamais eu cet espoir-là. On était aussi surpris que tout le monde. C’est grâce à notre ancien tourneur qui est maintenant notre manager que c’est arrivé.
Dominic : Au Québec, tu peux faire subventionner une partie de ton album par les institutions. Mais pour ça, il faut qu’elles puissent écouter quelques morceaux avant. On avait donc enregistré quatre démos que notre manager a aussi utilisé pour démarcher des labels dont Sub Pop. Et ça a tilté pour eux.
Jonathan : Ils sont ensuite venus nous voir jouer en concert à New-York. Ils ont pris l’avion depuis Seattle pour ça. En même temps, on a toujours eu le désir de faire de la musique qui ne se destine pas seulement à un public francophone. On ne fait pas de la chanson française.
L’équipe de Sub Pop vous connaissait déjà ?
Oui, ils nous avaient déjà vus il y a trois ans dans un festival de showcases à Montréal. Ils avaient bien aimé notre concert mais peut-être pas au point de nous signer à ce moment-là. Ils avaient aussi été impressionnés par notre album Supermercado. Mais en écoutant nos quatre nouvelles démos, ils ont senti une vraie progression dans l’écriture. Pour eux, c’était au-dessus de tout ce qu’on avait déjà fait.
Vous avez grandi avec les disques de ce label ?
C’est principalement via les groupes des années 2000 que je connais le label.
Dominic : Moi oui. Wolf Parade, Fleet Foxes, Chad Vangaalen et Beach House. Ce sont mes quatre groupes préférés de l’époque.
Même si vous aviez déjà enregistré quatre démos, est-ce que cette signature a pu influencer le reste de vos compositions pour Junior ?
Sub Pop nous a accordé le temps qu’on souhaitait pour faire l’album. Mais comme on voulait qu’il sorte cet automne, il fallait livrer les masters en mai. C’est comme ça avec les plus gros labels : ils ont besoin de ces choses-là bien plus tôt que les petits.
Jonathan : Et de toute façon, on n’aime pas laisser traîner les choses. Jusqu’ici, on a fait un album tous les deux ans. Là, on voulait essayer un sprint. On a dû composer le reste du disque en un mois. On a rassemblé des bouts d’idées qu’on avait déjà enregistrées ici et là avec nos téléphones. Ensuite, on a passé 50 jours en studio. On était dans une grosse bulle assez intense. Je pense que l’album reflète cette urgence.
Dominic : On y est entré le 1er mars, et on en est sortis le 10 mai avec une petite tournée aux Etats-Unis au milieu. Donc, même s’il a été composé en un cours laps de temps, c’est quand même avec cet album qu’on a passé le plus de temps en studio.
Vous avez aussi enregistré cet album au même endroit et avec les mêmes personnes que les précédents. J’imagine que Sub Pop vous a pourtant fourni une avance… Vous ne vouliez pas tenter de nouvelles expériences ?
C’est le même réalisateur en effet. Enfin, le même producteur comme vous dites en français (Sourire). C’est Emmanuel Éthier. On avait un temps limité donc c’était compliqué de faire autrement. Les quatre démos avaient été enregistrées par Samuel Gemme, et on avait beaucoup aimé travailler avec lui aussi. Tout avait été vite et bien fait.
Jonathan : L’important, c’est que ce soit confortable. Pour moi les gros noms, c’est un peu de la foutaise. Il ne faut pas aller enregistrer avec quelqu’un pour son nom mais parce que tu te sens bien avec lui et que tu aimes ce qu’il fait. On a toujours fonctionné en DIY, avec une certaine proximité. C’est bien quand ça se passe dans ces conditions là.
Dominic : Et puis démarcher un gros producteur implique de booker ça à l’avance, de dealer avec son agent, j’imagine… On n’avait pas le temps pour ça.
Depuis le début du groupe, le son des guitares a très peu évolué, avec une esthétique plutôt lo-fi…
Jonathan (visiblement agacé) : Ah. Tu trouves ?
(Essayant de se rattraper) Je veux dire au niveau du mixage ! C’est une patte que vous souhaitez délibérément conserver ?
On veut garder un son assez nostalgique, sans mettre le doigt sur un courant ou une décennie en particulier. On ne veut pas être psyché, post-punk ou autres. L’important, c’est qu’on transmette une sorte de sentiment.
Dominic : Les guitares, on les aime tranchantes. J’imagine que ça dépend toujours des compositions mais pour nous, ça fonctionne encore.
Quant aux harmonies de guitare, je les trouve très soignées. Est-ce que c’est un travail fastidieux ou plutôt naturel
Jonathan : C’est assez spontané. J’ai démarré le groupe avec Julien, l’autre guitariste. On faisait des jams et on s’est dirigé naturellement vers ça. J’amène principalement les mélodies et lui les arrangements assez déstructurés qui apportent de la complexité. Même si le résultat est quand même pop.
Dominic : Quand on va composer, il va nous ‘semi-accompagner’. C’est le dernier à ajouter une ligne de guitare au morceau, mais c’est souvent celle que tu vas retenir. Il a cette espèce de capacité à ajouter la petite couche qui est souvent… la touche Corridor.
Jonathan : C’est un membre irremplaçable si on veut garder la sonorité du groupe.
Vous avez une formation musicale particulière ?
Dominic : Non, moi je ne sais même pas ce qu’est un ‘La’ ! (Rires) On ne se parle jamais en notes dans le groupe.
Jonathan : On se parle en musique, et on se répond en musique.
Vous avez rarement dévié du français depuis vos débuts. Quel attachement musical portez-vous à cette langue ? Vous n’avez jamais été tentés par l’anglais ?
On n’éprouve pas d’intérêt à utiliser l’anglais. Peut-être dans le futur… Le français est plus naturel et on se sent à l’aise avec ça. Il y a une façon dont on chante qui plaît à plus d’un, j’ose l’espérer. Et comme je le disais, on ne fait pas de la chanson. La voix n’est pas mise en avant. Elle est utilisée comme un instrument parmi d’autres.
Dominic : Le français est notre langue maternelle, on connaît plus de mots et c’est plus riche. C’est plus pertinent que d’essayer les mêmes rimes déjà faites mille fois en anglais.
Qu’est-ce qui a inspiré les paroles de cet album ?
Jonathan : Comme le processus de composition a été très rapide, je n’ai pas eu tellement de recul pour y penser. C’est notre premier album sans thématique principale. Les paroles évoquent plutôt des choses proches de moi, assez immédiates…
Quand on regarde votre trajectoire, elle ressemble à une ascension tranquille et paisible, avec dernièrement cette signature sur ce label prestigieux. Après trois albums, et avec un peu plus de recul, quel regard avez-vous là-dessus ?
Je suis content qu’on n’ait pas trop poussé le truc pour que ça marche à tout prix. C’est juste arrivé naturellement, sans se brûler les ailes ou avoir des attentes trop élevées. On a eu beaucoup d’opportunités mais qui sont venues avec le temps.
Dominic : On ne s’est jamais dit ‘il faut pousser pour jouer aux Etats Unis‘. On a attendu que quelqu’un nous propose de booker une tournée là-bas. On attend toujours les opportunités comme celle-là.
Jonathan : Tout ça prend du temps. Ça fait quand même six ans que le premier EP est sorti. Après, je préfère une ascension qui soit lente. On a toujours été sur une petite pente comme ça. (Il mime) Il n’y a jamais eu de grosses montées.
Dominic : Oui, c’est mieux comme ça. Plutôt que quelqu’un qui sort son premier album, tout le monde s’enflamme, et quand il sort le deuxième, c’est déjà un tollé.
Pour l’après, vous ne vous projetez pas non plus dans des ambitions démesurées ?
Jonathan : C’est certain que cet album va engendrer d’autres opportunités ensuite. C’est nouveau pour nous, les journées de promo. Au mois de juin, on est allé aux bureaux de Sub Pop, à Seattle, pour faire des réunions marketing, réseaux sociaux, etc. On n’avait jamais fait ça. Nous, on travaillait avec deux personnes jusqu’ici, et on faisait beaucoup de trucs par nous-mêmes, comme les mails, les artworks, les photos… Dominic fait la sérigraphie pour le merch. Par exemple, les commandes qu’on recevait sur Bandcamp avant, c’est moi qui les envoyait. C’était vraiment long à faire. Donc si on nous enlève ce genre de chose à faire, c’est cool !
Vos clips et vos pochettes sont toujours très soignés. Quelle importance vous apportez à cet aspect visuel ?
On veut que ce soit l’image du groupe. Même si ce n’est pas plus important que la musique, c’est quand même essentiel. Quand je vais chez le disquaire, je regarde les pochettes et je bloque sur les plus belles. Ça me pousse parfois à écouter un disque, et c’est parfois représentatif de ce qu’est la musique. Et qui de mieux placé que nous-mêmes pour savoir quelle image on doit avoir ?
Dominic : Tu publies des photos, un artwork et, pour certaines personnes, c’est souvent la première porte d’entrée vers le groupe. S’ils voient que la photo ou le clip est vraiment moche, ça peut les repousser.
Jonathan : Ce ne sont pas vraiment des aspects à négliger. On n’a jamais trop été du genre à montrer nos gueules. On préfère miser sur un univers qui, j’ose l’espérer, colle bien avec la musique qu’on propose.
Hormis au Québec, comment êtes-vous reçus en Amérique du Nord ? Les américains sont quand même peu habitués à écouter du français en musique…
Ouais mais on s’en fout. Aux Etats Unis, ça s’est bien passé. A Nashville, il y avait même un gars qui avait la pochette de l’album tatouée sur le mollet !
Dominic : Tu nous demandes comment on est reçu hors du Québec, mais tu devrais dire hors de Montréal. Le groupe fonctionne mieux dans certaines villes américaines que dans les autres régions du Québec. On n’est pas trop dans le créneau de ce que les gens aiment là-bas. On va là où il y a des choses à faire, des opportunités à prendre. Ça fait six ans qu’on joue, et il ne s’est pas passé grand-chose pour nous au Québec. Sauf à Montréal où on est choyé par le public. Des radios, des festivals, des bookers nous supportent beaucoup.
Vous faites partie d’une scène à Montreal ou vous êtes un peu à l’écart de ce qui se passe ?
Jonathan : On est potes avec d’autres groupes, rattachés comme nous à la nouvelle scène francophone. On essaye juste d’être un groupe de rock à Montréal. Tant mieux si on peut être un peu partout, on finit par parler à n’importe qui. Chocolat sont de bons amis, Pottery aussi. Il y a plein de groupes avec lesquels on a joué, mais on n’a jamais proclamé appartenir à une scène en particulier.
Dominic : Après, faire partie d’une scène peut aider certains groupes à émerger, mais ça peut aussi te nuire parfois. Début 2000, si tu disais ‘moi, je suis proche d’Arcade Fire‘, c’est sûr que ça pouvait potentiellement intéresser du monde. Mais ça n’a jamais été notre idée. On vient de Montréal, on fait du rock, et si vous voulez, on peut faire un show. (Rires)
Jonathan : On a toujours été bien relax. C’est ce qui nous a permis de sortir, de faire des shows avec des publics anglais ou français.
Justement, entre la France et les Etats Unis, est-ce que la réception du public est différente ? Est-ce qu’on vous parle des mêmes choses ?
C’est sûr qu’en France, vous accordez plus d’importance aux paroles. Aux Etats Unis, ils s’en foutent. La principale différence, elle est là. Mais même si le public anglophone ne peut pas scander les paroles, il est quand même à fond, comme en France. Un jour, aux Etats-Unis, un gars nous a crié : ‘Hey, jouez cette chanson ! Jouez-nous les Doors !‘. Il y a des furieux partout.
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