02 Sep 22 Cola n’est pas une sous marque
Difficile de présenter Cola sans évoquer Ought, ou l’une des meilleures formations post punk de la dernière décennie. Depuis 2018, les musiciens du quatuor montréalais savaient déjà que le groupe n’était plus. Les cendres de Ought tiédissaient à peine que Tim Darcy (chant/guitare) et Ben Stidworthy (basse) commençaient à travailler à distance sur un vague projet qui allait se consolider pendant la pandémie, et devenir Cola. Rejoint par Evan Cartwright, déjà vu derrière les fûts de U.S. Girls et The Weather Station, le trio a sorti cette année Deep In View, un premier album prometteur.
C’est le début de la première tournée européenne pour Cola, mais auparavant vous avez joué aux Etats-Unis et au Canada. Comment ça s’est passé ?
Tim Darcy : La tournée nord-américaine était géniale. Elle a duré environ cinq semaines. On a pu jouer des concerts incroyables pour des gens vraiment adorables. C’était cool. C’était la première tournée pour Ben et moi depuis 2018.
Cola a vu le jour en 2019, d’abord dans le flou par une collaboration entre Tim et Ben, puis Evan est arrivé. Quand avez-vous senti que le son du groupe prenait forme ?
Evan Cartwright : Je pense que c’est arrivé avec le temps.
Tim : En effet, Ben et moi discutions d’idées et on s’envoyait des fichiers pendant la pandémie. Evan était là la toute première fois que nous avons joué ensemble. C’est un très bon ami et un excellent batteur, donc on l’avait invité pour notre première répétition quand on s’est enfin réuni pour jouer de la musique, et c’est venu tout seul.
Comment avez-vous réussi à maintenir la dynamique du groupe pendant une période aussi longue, alors que vous habitiez tous les trois dans des lieux différents ?
Tim : Pendant cette période, Evan et moi vivions à Toronto, et Ben était à Montréal. C’est un peu loin, environ six heures de route ou de train, mais au Canada, c’est juste la ville d’à côté. Donc on a fait pas mal d’allers-retours, un mois à Montréal, un mois à Toronto… Maintenant, on se déplace un peu plus. C’est drôle, on a l’impression que ça devrait être un vrai sujet, mais on se contente d’écrire et de planifier des sessions comme on peut. Avant la tournée américaine par exemple, on a passé une semaine à Montréal pour peaufiner quelques idées qu’on s’envoyait par mail. Et prochainement, on joue à New York pour une date unique en septembre. On va traîner quelques jours et écrire un peu là-bas, d’autant plus que c’est là où Evan habite en ce moment.
Pour le premier disque, très peu de gens étaient au courant de l’existence du groupe, et je suppose que vous pouviez travailler sur ce projet sans vraiment de pression. Comment voyez-vous la prochaine étape ?
Ben Stidworthy : Evan écrit maintenant des chansons avec Tim et moi. C’est déjà un très gros changement. Mais on avait certaines idées précises avec le premier album, et on verra si on peut aller un peu plus loin dans le même monde avant de partir en freestyle et de faire du jazz (rires). Je ne pense pas qu’on va trop mentaliser la chose. Le son va naturellement changer, avec Evan impliqué dans le processus, et en fonction de ce qu’on écoutera alors comme musique.
Y-a-t-il déjà des musiques qui vous ont marqués récemment ?
Ben : Pour le moment, je suis à fond dans la dance britannique. J’ai une émission de radio sur internet qui m’occupe énormément. Cela n’a rien à voir avec ce qu’on fait, mais il y a beaucoup de basses et de sons lourds.
Tim : On aime aussi la musique instrumentale. Dans le tour bus, c’est généralement le chauffeur qui choisit. Et Ben, avec son émission de radio qui s’appelle Irish Cactus, fait aussi office de DJ, donc en ce moment c’est beaucoup de dance et de garage britannique. Ça maintient l’énergie sur la route. La sécurité avant tout (rires) !
Comment se sont passés l’enregistrement et le mixage de l’album ? Avez-vous essayé de nouvelles choses en studio, ou le plus gros du travail était-il déjà fait ?
Tim : Nous sommes entrés en studio en souhaitant que l’album ait un son assez organique. On a fait des prises live tous les trois dans une même pièce. On a enregistré au studio Mixart, un endroit cool à Montréal construit dans les années 70. L’énergie qui y régnait était vraiment bonne. Il y avait beaucoup de matériel analogique. On a travaillé là-bas avec l’excellent ingé son et ami Valentin Ignat. Pour le mixage, c’est un autre de nos amis, Gabe Wax (The War on Drugs, Kurt Vile), qui s’en est chargé. Il nous avait aidés sur le dernier album de Ought qu’on a fait à New York, et il a maintenant son propre studio à Los Angeles. Ben et moi l’avons rejoint pour bosser dessus. On avait entière confiance en lui, donc on lui a donné les clés du mix. Il a vraiment compris le son que nous voulions, et il n’a pas ajouté trop de nouveaux éléments, ce qui a permis de garder cette sorte d’humanité dans le son.
La musique de Cola sonne comme ‘en équilibre’ entre deux choses opposées. Elle n’est ni trop dynamique ni trop calme, ce n’est pas une musique triste mais elle n’est pas légère non plus. Elle reste finalement assez ambiguë. Était-ce intentionnel ?
Evan : Je pense qu’on a essayé d’obtenir des ambiances complexes pour chaque morceau, sans être trop évident. Et en même temps, pour tout l’album, on a essayé de créer une seule et même atmosphère générale.
Ben : Il y a vraiment quelque chose qui construit cette atmosphère là. Je trouve qu’il reste un sentiment d’ambiguïté quand le morceau est terminé, indépendamment des paroles qui reflètent une ambiance qui n’était pas présente avant. C’est très spécial.
Tim : C’est exactement ça.
En parlant des textes, Tim, comment en es-tu arrivé aux thèmes abordés ?
Tim : En regardant toutes les chansons, il y a une sorte d’insularité dans les paroles. C’est en partie dû à l’environnement dans lequel nous avons écrit le disque pendant la pandémie, avec tout ce temps passé en intérieur, physiquement et mentalement. Il y a des chansons qui parlent beaucoup de ce sentiment. Dans toutes ces émotions complexes que je ressentais, il y a eu la frustration, une impression de blocage, mais aussi un désir d’avoir la musique comme véhicule de ces émotions afin d’y échapper, en quelque sorte. Je suppose que ça a ricoché au fil des mois de différente manière sur d’autres choses, mais ces sentiments-là dominaient.
Le titre de l’album, Deep in View, provient d’un ouvrage d’Alan Watts. Comment peut-on l’interpréter ?
Tim : J’écoutais beaucoup de conférences d’Alan Watts à l’époque, et je lisais certains de ses journaux. Il y avait une réflexion sur l’introversion et la recherche intérieure dans ce que je lisais, à travers les prismes du bouddhisme, de la méditation et de la contemplation, sur lesquels Watts s’est penché. Pour moi, il y a une partie du disque qui exprime cette sorte d’introspection. Je suis toujours très attiré par ce genre de titres qui peuvent avoir un côté ludique, un double sens. Ici, il y a cette idée d’être dans un état profond d’introspection mais aussi peut-être, et en même temps, d’être exposé. Ça donne comme une juxtaposition de ces deux états. C’est peut-être une interprétation un peu cheap, mais ça m’a marqué comme quelque chose qui pourrait être un bon titre d’album.
Comment vous est venue l’idée de l’artwork ?
Tim : Nous avons travaillé avec Katrijn Oelbrandt. C’est une artiste dont j’ai connu le travail pendant la pandémie, à un moment où je travaillais dans un studio de photographie. Je lui ai simplement envoyé un mail pour savoir si elle était intéressée. Elle l’était, et c’est comme ça que ça a commencé. C’est une artiste très talentueuse. On a tous été emballés par ses créations avec les formes de motifs combinés entre eux. Ce qui nous a intéressés surtout, c’est le fait que les morceaux de l’œuvre sont visibles et palpables. Il y a un aspect très organique, où l’œuvre devient visuellement la somme de ses parties. Elle a conçu ses créations à partir d’autocollants et d’agrafes, des objets vraiment banals en fait. Elle a tout un processus de création où elle fait un dessin, elle l’imprime sur ces stickers, les combine ensemble, physiquement sur une feuille. Evidemment au bout du compte, pour la pochette, il n’y qu’une image qui ressort. Mais visuellement, ça reste marquant et c’est ça qui compte.
Photos : Titouan Massé
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