17 Juin 22 Check In Party, un beau plan de vol
Aux manettes de la tour de contrôle du festival Check In Party, David Fourrier et Sébastien Chevrier ne sont pas tombés de la dernière pluie, et n’en sont donc plus au stade de s’envoyer des petits avions en papier. Il faut dire que la première édition en août 2019 de ce festival résolument rock, indie et electro se tenant sur l’aérodrome de Guéret, dans la Creuse, avait été plus que réussie en termes d’accueil, de programmation et d’organisation. Après deux ans de pause due à la pandémie, la seconde étape de cette aventure aérienne, qui se déroulera les 19 et 20 août prochains, s’apprête à accueillir une nouvelle flopée d’avions de lignes dont les fuselages apparaitront étincelants pour tout lecteur de notre site. De quoi bien s’envoyer en l’air, entre Fontaines D.C., Shame, Kevin Morby, The Limiñanas, Slift, La Jungle, Geese, Bracco, Serpent et les inénarrables King Gizzard And The Lizard Wizard (parmi d’autres encore). Au fil de l’entretien, on se rend toutefois compte que la métaphore filée sur le thème de l’aviation ne saurait rendre justice à la passion réelle de ces deux activistes pour tout ce qui touche aux scènes indépendantes et à leur diffusion. Le champ lexical de David et Sébastien tourne ainsi beaucoup autour des mots ‘humain’, ‘territoires’, ‘exigence éditoriale’, ‘accompagnement’, et ‘communautés’. Et aussi autour du mot ‘plaisir’, bien évidemment. Preuve s’il en est qu’un bon festival alternatif en 2022 ne saurait faire l’économie de certaines valeurs pour emmener ses passagers au septième ciel, comme ils nous l’expliquent ici…
On a fait le tour de ce qui se disait sur votre festival, et il semblerait que le public de Mowno a l’air de suivre ça de près.
Sébastien : C’est une très bonne nouvelle, on espère effectivement que le public suivra. On est encore trop jeunes, donc ce n’est pas une science exacte, déjà que ça ne l’est jamais… Mais sans trop de surprise, on vend beaucoup de pass 2 jours. Les gens qui se déplacent dans la Creuse décident souvent de venir sur la totalité du festival, et pour découvrir le territoire aussi. Donc c’est plutôt encourageant… C’est une année un peu particulière évidemment, et il faut faire preuve d’humilité. Mais on a bon espoir que ce festival s’installe dans la tête des gens et qu’il trouve un public de plus en plus nombreux. On touche déjà ceux qui sont venus en 2019, un public d’avertis qui nous est resté fidèle aujourd’hui, et qui n’a pas été déçu par la manière dont on a construit cette programmation cette année. Notre objectif, c’était évidemment d’affirmer le propos que l’on avait tenu en 2019, et de continuer à développer une programmation avec du caractère, tout en créant un peu d’ouverture pour accueillir aussi une audience un peu plus large, et pas simplement un public d’aficionados du musiques rock et électroniques. L’idée, c’était de faire un festival qui soit accessible au plus grand nombre, qui reste populaire, mais le tout en gardant une certaine exigence dans la programmation.
Je me demandais aussi si l’arrêt de This Is Not A Love Song avait eu un impact sur le succès que pourrait avoir le Check-In Party aujourd’hui. J’ai l’impression que l’on a ici affaire à deux programmations similaires, et que vous avez plus ou moins pris le relais même si vous n’êtes pas tout proches…
David : Il y a une filiation musicale qui est un peu évidente. On se retrouve à aimer des artistes qui sont un peu similaires. Après, ça n’a jamais été trop dans nos têtes non plus. On ne s’est jamais imaginé venir en remplacement. Tout ça, ce sont des choses qui sont indépendantes de notre volonté. Mais c’est vrai que, avec Sébastien, on a surtout fait le constat qu’il manquait une manifestation qui soit un peu dissonante sur le territoire, qui affirme haut et fort un certain caractère, et une certaine idée de ce que peut être un festival aujourd’hui, où on ne va pas retrouver le grand à boire et à manger que l’on peut avoir dans beaucoup de manifestations où on met une petite pincée de hip hop, un petit bout d’electro, un truc de variète, un peu d’urbain, un peu de rock… Nous, on est plutôt sur une ligne assez franche et assez directe. En cela, on se rapproche évidemment de l’identité d’un This Is Not A Love Song…
Sébastien : Au-delà du fait que l’on se connait bien avec Fred Jumel et toute la clique de Paloma, c’est sûr que ce genre d’initiative dans le Sud-Est de la France fait partie de celles qui nous ont inspirées. On s’est dit qu’il y avait de la place pour ce type de manifestation, et que ça manquait potentiellement sur le territoire. Et que d’imaginer ça dans la Creuse, à Guéret, il pouvait y avoir quelque chose d’assez… comment dire… ambitieux ! Quelque chose qui pouvait intriguer une partie du public, voire de la filière. La situation géographique de Guéret étant un peu centrale, on s’est également dit qu’elle pourrait attirer des publics qui ne peuvent se déplacer ni à Nîmes, ni sur des festivals analogues qui défendent des choses plutôt différentes des festivals généralistes. Que cela pouvait permettre à des gens de Lyon, de Paris, de Toulouse, de Bordeaux ou de Nantes de trouver des alternatives sur le territoire. Il s’avère qu’en 2019, Paloma et ses co-producteurs ont décidé d’arrêter l’aventure TINALS pour essayer de la renouveler. Puis on est rentré dans une période de crise sanitaire particulière pour tout le monde. Une situation qui, pour l’instant, n’a pas permis à Fred et ses équipes de trouver la suite…
Hormis cette analyse de potentiel géographique, comment vous êtes arrivés tous les deux à vous connecter et à avoir l’idée de monter ce festival ?
David : On se connait depuis la nuit des temps avec Sébastien. On a tous les deux vécu pendant pas mal d’années à Fontenay-Le-Comte en Vendée. On y a monté un festival de rock…
Sébastien : Tu as monté… J’étais trop jeune ! (rires)
David : Il était trop jeune, OK. On a dix ans d’écart. Mais il y était bénévole. Il est venu en stage chez nous, on est devenu potes, et ce festival a essaimé des parcours, a donné envie à des gens de s’investir dans le monde de la musique. On a fait jouer la fine fleur du rock alternatif dans ce festival, des groupes comme Shellac, Blonde Redhead ou les Melvins. Ça a officiellement débuté en 88, donc ça remonte à quelque temps déjà. Notre amitié, elle est née un peu de ça. Et puis, la vie a fait que Sébastien s’est retrouvé pendant un moment à la tête du Temps Machine à Tours, donc on continuait de se voir. Il a organisé un super festival à Niort, moi j’étais et je suis toujours à La Rochelle à La Sirène, et on s’est dit pendant pas mal d’années qu’il faudrait que l’on remonte un nouveau festival entre potes, un truc à la cool. On était dans un bar un jour, on s’en rappelle très bien : on buvait des coups, et on s’est dit que l’on allait monter un petit truc où on inviterait que des potes, avec une programmation hyper cool, tranquilles entre amis dans une ambiance familiale, avec 500 à 1000 personnes, sans prendre de risques financiers… Trois semaines plus tard, on a été contacté par Eric Correia, le président de l’agglo de Guéret, qui se trouvait être également un élu régional Nouvelle Aquitaine en charge la gestion de la politique culturelle en direction des musiques actuelles dans la région. Par l’entremise de Nadine Simoni, qui était l’attachée de presse d’un festival nommé El Clandestino qui a eu lieu sur l’aérodrome de Guéret en 2017, et qui a été un peu calamiteux dans son organisation et sa gestion, ça a quand même donné envie à Éric Correia de dire qu’ils avaient la possibilité de tenir une manifestation digne de ce nom dans la Creuse en direction des musiques actuelles. Ils ont appelé les gens qu’ils connaissaient un petit peu, dont nous. Comme des couillons, avec Sébastien, on a écrit un projet en se disant que c’était l’occasion de rédiger quelque chose pour le fameux petit festival que l’on voulait monter. De toute manière, vu l’ambition du truc, on se disait que jamais ça aurait lieu. Sauf qu’Éric nous a dit : ‘banco, c’est super les gars, moi j’écoute des musiques alternatives, j’adore ça, donc allons-y, on y va. On peut mettre un peu de moyens financiers pour vous accompagner, et en avant‘.
Sébastien : La manière d’envisager la chose, c’était évidemment pas d’arriver comme ça la fleur au fusil sur un territoire que l’on connaissait peu ou pas. On voulait aussi essayer de faire en sorte que ce festival soit structurant pour le territoire, qu’il réunisse, qu’il soit plébiscité par l’ensemble des acteurs dans le champ des musiques actuelles. Il fallait qu’il soit porté par une association qui regroupe des gens de la société civile, et potentiellement aussi des personnes morales qui représenteraient des associations organisant des concerts à l’année et qui font pas mal de choses pour les Creusois. On a réuni tout le monde par l’entremise d’Eric Correia en juillet 2018, avec une cinquantaine de personnes devant qui on s’est retrouvé à présenter le projet, un peu comme un candidat avant une élection (rires). On avait 15 pages de recommandations d’actions, avec un fond, une intention artistique, mais aussi une forme avec cette idée d’association derrière, ainsi qu’un modèle économique qui devait trouver sa pertinence dans le temps. Et tout le monde a dit banco, on y va. Ce fut la naissance de l’association Terre du Milieu qui co-porte l’évènement. Nous, David et d’autres professionnels de la région Nouvelle Aquitaine, on s’est regroupé au sein d’une autre association, Shut Up and Dig, qui est le ‘bras droit’ un peu ‘armé’ de cette manifestation. On a organisé un premier petit évènement en octobre 2018 dans la salle André Lejeune, à Guéret : le Check In(side) Party, pour que toutes ces forces militantes et associatives apprennent à travailler ensemble, entre nous qui arrivions de l’Ouest de la région et les assos locales. Le fond était un peu différent de ce qu’allait devenir le festival. On avait constitué un plateau avec Miossec, Kepa, Arnaud Rebotini, Rebeka Warrior, Malik Djoudi, et Jeanne Added qui a un peu été notre marraine de cœur. Bref, des artistes avec qui on avait pu tisser des liens tout au long de nos aventures professionnelles respectives, et qui nous faisaient confiance. Cet évènement a eu le mérite de commencer à faire exister un peu la marque, d’amorcer la construction de l’évènement estival qui se construisait en parallèle, et de nous faire travailler tous ensemble.
David : Quand on a lancé la première édition du festival fin août 2019, on avait une certaine ambition, puisque l’on se retrouvait sur trois dates. La première soirée était certes plus modeste en nombre d’artistes programmés, avec Patti Smith, Jeanne Added, Julia Jacklin, Clara Luciani et le Prince Miaou. Ensuite, on a foncé sur un weekend un peu plus lourd, avec des artistes comme Foals, Étienne De Crécy ou Balthazar, mais aussi des choses un peu plus brutales, de Lysistrata à black midi, en passant par Oh Sees, Slaves, The Psychotic Monks ou Crack Cloud. En termes d’organisation, ça a été assez réussi, je crois. Les gens y ont passé du bon temps. On a validé notre site, ainsi qu’une scénographie que l’on avait inventée avec des gens qui ont l’habitude de bosser sur de la déco de festival. On a aussi validé une manière de fonctionner entre nous tous. Le petit hic, c’est que l’affluence n’a pas exactement été à la hauteur de ce que l’on attendait. Sans forfanterie, on tablait sur plus de 15000 spectateurs payants, et on a été bien en deça.
Pour quelle raison, d’après vous ?
Sébastien : C’était une première édition, déjà…
David : Et puis c’est un territoire qui n’est pas forcément très simple. En plus, il y avait un traumatisme sur le site lié à cette autre manifestation précédente, El Clandestino, où il y avait eu 17 kilomètres de bouchons, où les gens n’avaient pas été très bien traités – ni les bénévoles, ni les spectateurs… C’était un bordel sans nom, et je pense que les personnes du coin font aussi des liens avant d’imaginer que c’est une autre équipe qui arrive, que les choses vont se dérouler un peu différemment, de manière plus professionnelle. Il faut un petit laps de temps pour qu’ils intègrent tout ça. Et tout bêtement, il faut aussi qu’une manifestation s’installe avant de pouvoir trouver son public. On n’avait pas non plus été d’une ambition délirante sur nos prévisions. Très sincèrement, avec un plateau comme celui que l’on avait proposé en 2019, on pouvait décemment tabler sur 15000 spectateurs dans tout autre coin de la France.
Sans aucun dédain de ma part, est-ce qu’il n’y a pas également en jeu ici une notion d’éducation des publics locaux ? Attirer les gens extérieurs, c’est bien, mais est-ce qu’il n’y a pas aussi un travail de découverte à faire auprès des locaux, pour les inciter à venir, à découvrir… ?
Sébastien : C’est l’objectif de toute manifestation artistique et culturelle, que l’on pratique depuis de nombreuses années dans nos différentes activités et ’boutiques’. Effectivement, tout ça demande un accompagnement, et du temps pour arriver à se faire confiance entre partenaires. C’est aussi ce qui est arrivé aux gens du cru, là-bas en Creuse. Des gens qui ont du caractère, exactement comme cette ligne éditoriale que nous défendons. Ce caractère sera aussi une plus-value dans le temps. En attendant, au départ en tout cas, le premier contact peut parfois être un peu… rustre. (rires)
David : Frontal, on va même dire ! (rires)
Sébastien : Ils ont un sens de l’accueil méfiant, parce qu’ils n’ont pas forcément l’habitude. Mais une fois que le lien est créé, une fois que l’amitié se noue, il y a une fidélité très forte qui s’installe, et le territoire est très chouette pour ça aussi. On croit aussi que certaines personnes adhéreront à l’histoire au-delà de sa programmation artistique, un peu comme ça a pu se passer sur des territoires comme celui de Carhaix avec Les Vieilles Charrues, même s’ils ont une programmation plus populaire encore, plus ‘fédératrice’. Il y a une certaine typologie de gens qui sont devenus bénévoles à Carhaix, ou même simplement spectateurs, et qui viennent parce qu’il y a une certaine fierté à accueillir un public qui vient des quatre coins de la France dans ce petit village. Guéret, c’est 11 000 habitants, et la Creuse, c’est 110 000. C’est vraiment peanuts. Donc il faut bien imaginer qu’aujourd’hui, la provenance du public, c’est au minimum 80% de gens qui viennent d’en dehors du département. Mais on a aussi cette ambition de donner du temps à ceux qui habitent là-bas, et d’arriver à rééquilibrer ces proportions en deux ou trois ans.
David : C’est vrai que la validation d’un festival sur un territoire comme celui-ci, on l’a déjà vécue à Fontenay. Mais elle passe aussi par la validation d’un public extérieur. Si des clermontois, des poitevins, des parisiens, des bordelais, des toulousains, des lyonnais viennent à la Check In, et disent : ‘Putain, c’est un super festival !‘, je pense que les gens du coin vont finir par se dire : ‘Peut-être que c’est pas si nul que ça ce qu’ils font là-bas, donc on va aller voir…‘. Cette validation des gens de la ville portera ses fruits dans quelques temps, il faut juste être un peu patient, je crois… Et puis, il y a aussi une radio sur place qui est dans le réseau Ferarock et qui diffuse cette musique que l’on présente. Ils ont cette chance, alors que nous, à La Rochelle, on n’a pas ça ! Donc il y a plein d’éléments pour que les choses se passent bien.
Au-delà de cette importance d’attirer du public, est-ce que vous avez aussi cette impression que les gens sont aujourd’hui plus intéressés par des évènements beaucoup plus modestes et humains que les gros festivals qui cartonnaient il y 10 ans, et qui ont aujourd’hui tendance à être délaissés au profit d’évènements comme vous, comme le Festival Yeah et d’autres de ce genre ?
David : Nous, on croit à ça, mais parce qu’on est aussi consommateurs de festivals ou de manifestations culturelles. Cette notion de communauté, de petites communautés, est importante, même si en même temps on souhaite qu’elles soient suffisamment grandes pour arriver à une idée d’équilibre économique. C’est justement ça, ma question : comment réussir à trouver le juste milieu entre cette volonté de faire un truc humain, et en même temps d’attirer assez de gens pour que ce soit rentable et que ça puisse perdurer ? Grosso modo, si on a 4 000 ou 5 000 spectateurs par soir, on est bien. Répartis sur un site avec deux grandes scènes, plus une troisième plus expérimentale, avec des animations, des bars et des espaces, ce n’est pas beaucoup, mais t’as vraiment le sentiment que c’est à dimension parfaitement humaine.
Sébastien : Après, on est sur un format qui est assez précis et juste. Les petits évènements à taille humaine, qui réunissent 1 000 à 1 500 personnes, ont du mal à trouver leur modèle économique entre un nombre de spectateurs assez important et un prix de place qui reste modeste. Nous, on est entre les deux. Avec aussi un budget en dépenses qui est bien moindre au regard de sa programmation. Les artistes rock que l’on accueille coûtent bien moins cher qu’une Angèle, un Stromae ou un Julien Doré avec qui tout finit par exploser, où les prix sont multipliés par 4, 5 ou 10 parfois. Au Check In, ce qu’on va appeler une tête d’affiche, on va la payer 50 000 euros, ce qui est un artiste dit ‘middle’ sur des festivals généralistes. Notre budget artistique, lui, plafonne a 300 000 euros, là où ceux de nos gros concurrents atteignent le triple pour pouvoir accueillir le même nombre de spectateurs. Avec en plus une concurrence bien plus importante pour eux sur un même territoire, que ce soit la France ou une région plus précise. Aussi, on a vraiment la chance d’être sur un site exceptionnel : un aérodrome en fonctionnement qui nous est mis à disposition 15 jours par an pour installer les différentes infrastructures nécessaires aux trois jours de festival. On a 40 hectares de disponibles, donc on peut y établir un accueil et un camping digne de ce nom, avec une formule clé en main. On peut venir directement avec son paquetage et s’installer, ou débarquer avec son camion… Et tout ça, à une extrémité du tarmac. En gros, les gens viennent, ils se posent pour 48 ou 72 heures, et n’ont plus besoin de bouger. Et si on a besoin d’agrandir le site un jour, si par exemple on a une opportunité honorable, ou si le festival prend de l’ampleur et commence à intéresser plus de monde, on pourra le faire aisément, sans forcément avoir des dépenses qui explosent en conséquence. C’est à nous de trouver le bon modèle économique. Mais on y verra plus clair fin août cette année…
David : De toute façon, notre volonté ce n’est pas de grossir indéfiniment et de devenir un mastodonte. Notre idée, c’est d’arriver effectivement à une forme d’équilibre économique tout en gardant cette ligne éditoriale que l’on souhaite un peu élégante et un peu racée. Pour être aussi un peu transparent sur les enjeux, on n’a pas forcément besoin de ce festival pour vivre. Donc c’est aussi emballant de le faire comme ça, avec cet état d’esprit.
C’est une garantie d’authenticité de votre part, finalement…
Sébastien : Oui, et puis au-delà de ça, il y a un acte un peu militant. Après, on n’est pas philanthropes, c’est une orga qui nous prend du temps, et tout travail mérite salaire. Mais c’est vrai qu’on a chacun de notre côté d’autres activités à l’année, qui nous font vivre, et qui prennent une certaine place sur notre feuille de route, des activités sur lesquelles on doit s’investir professionnellement. L’histoire de ce festival étant excitante à plein de niveaux, il n’en reste pas moins que ça nous fait aussi du bien d’y aller, de se poser des questions sur nos pratiques respectives, et de se dire que l’on propose quelque chose qui puisse intéresser un autre type de public, quelque chose qui ne révolutionne pas tout, mais qui ouvre une nouvelle voie, et qui lutte contre ce système d’hégémonie des grands groupes dans ce domaine, avec tout ce système qui propose des artistes à des prix délirants. Parce qu’au bout du bout, quand les artistes coûtent plus cher, quand les barrières coûtent plus cher, et quand les scènes coûtent plus cher, qui paye au final… ?
David : Le spectateur !
Sébastien : C’est ça ! Donc on essaie d’être raisonnés, de raisonner nos prestataires, et aussi de défendre comme on le peut une espèce de mise en valeur du territoire, en sélectionnant plutôt des gens du cru pour la restauration des spectateurs et des équipes, entre food trucks et traiteurs locaux. Donc il y a aussi l’idée pour nous de revenir à certaines valeurs. C’est important, sincèrement… On le fait avec nos armes. Parfois, ce n’est pas toujours possible ou aussi simple que ça, mais on a la chance de partir un peu d’une page blanche. Donc on essaie de construire un évènement qui tienne compte de ces valeurs.
Vous avez parlé à plusieurs reprises de vos quotidiens respectifs… J’imagine que cela vous a aussi aidé à monter une prog qui, dès la première édition, avait beaucoup de gueule, et qui cette année en a encore une toute autre, je trouve… Ça ne doit pas être forcément facile de convaincre quand on arrive comme ça avec un nouvel évènement…
David : Il y a eu beaucoup de bienveillance de la part de la profession lorsqu’on a annoncé que l’on allait se lancer dans cette aventure, qui défendrait une certaine typologie d’artiste, une certaine identité et une certaine ligne éditoriale. On a eu que des retours plutôt emballés. Ils ont cru à cette aventure, et ils nous ont aussi fait confiance sur le fait qu’on allait faire les choses en bonnes et dues formes, bien les accueillir, et ne pas se planter. Effectivement, j’imagine fortement que sur une première édition, si t’arrives de nulle part et que t’as jamais bossé dans ce milieu-là, tu ne te retrouves pas à signer un contrat avec Patti Smith ou Foals. Heureusement que l’expérience sert un peu à ça, et pas qu’à avoir des rides !
Sébastien : Je crois aussi que nos partenaires et ceux qui nous ont aidés ont partagé le même constat que nous, avec ce besoin d’imaginer des initiatives un peu nouvelles, et de ne pas se morfondre sur ce constat d’hégémonie de grands groupes qui rachètent certains festivals – notamment ceux qui ont pignon sur rue – alors que l’on est en droit d’imaginer d’autres formats, avec des gens qui ont envie de raconter une autre histoire… Evidemment, tout ça ne reste possible que parce que la force publique s’investit à nos côtés, clairement. C’est quand-même un peu ça, le point de départ, au-delà du fait qu’on avait aussi nous très envie d’y aller…
Dernière question : en tant qu’organisateurs, vous devez forcément ressentir une certaine frustration de ne pas pouvoir être 100% spectateurs de votre propre festival. Comment on vit ça quand on est dans le feu de l’action, sur place ?
David : On s’accorde des micro-shooters de concerts, un ou deux morceaux par ci par là. On ne va pas se mentir : la première année, on a couru comme des lapins durant les trois jours – et puis les trois semaines avant, et puis les quinze jours qui ont suivi derrière pour le montage et le démontage des sites. On ne s’est pas accordé des tonnes de moments festifs. En même temps, c’est rigolo parce qu’on nous raconte le festival auquel on a un peu rêvé d’assister, vu que l’on met quand même une partie de nous dans cette manif, avec des petits bouts de nos envies… Donc on nous raconte par exemple à quel point le set de Lysistrata était super, et on se retrouve à être super contents que ce groupe ait pu donner un magnifique concert à Guéret, et d’en avoir vu un morceau au passage. On s’est accordé quelques micro-coupures comme ça, avec quelques moments fantastiques, ouais… La Colonie De Vacances deux soirs de suite, par exemple. Je suis allé vite fait me mettre au milieu, et ils n’ont pas fait du tout le même set, c’était deux intensités très différentes… Mais oui, sinon, il y a de la frustration de ne pas tout voir, évidemment.
Sébastien : Ouais, et en même temps, on vit à travers les témoignages à la fois des équipes et des artistes. Ce qui est assez fou dans ce genre de festival – mais c’était déjà le cas à TINALS, et ça m’avait pas mal marqué déjà – c’est que les artistes ne restent pas du tout dans les loges : ils viennent voir leurs petits camarades jouer. Ils se fondent dans le public, voire même se parlent entre eux. Je me souviens de cet échange mémorable entre Deerhunter et les Oh Sees…
David : Oui ! Les Oh Sees faisaient les balances à pleine balle d’un côté pendant que Deerhunter jouait tranquillement sur l’autre scène. Entre deux morceaux, le mec de Deerhunter lance, mort de rire : ‘Mais tu vas fermer ta gueule, John Dwyer ??! On est en train de jouer, on est en train de faire notre concert ! On va régler ça sur le parking !‘ (rires)
Sébastien : On parlait de l’idée de communauté pour le public, mais c’est vrai que les artistes prennent eux aussi plaisir à se produire sur ce type de festival. Ils sont très vigilants sur l’homogénéité d’une programmation, sur la cohérence des choix qui ont été faits. Et quand ils constatent tout ça sur place, ils ne restent pas dans les loges, ils vont dans le public. C’est cool de les voir à côté de soi, et de voir qu’ils prennent vraiment plaisir à vivre, écouter et regarder leurs petits camarades sur scène. Ils se mettent même un peu la pression pour être celui ou celle qui fera le meilleur concert de la soirée.
On sent une émulation, c’est ça ?
Oui. Et mine de rien, au-delà de pouvoir vivre tous les concerts, tu prends plaisir à voir que tout le monde prend plaisir, y compris les artistes, grâce à toutes ces histoires qui se racontent à propos du festival. Et pour nous, c’est déjà pas mal, ça. C’est même beaucoup.
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