08 Juil 19 Cate Le Bon s’est exilée pour tout remettre à zéro
On a beau chercher mais, depuis le début de l’année, peu de disques nous habitent autant que Reward, cinquième album de Cate Le Bon qui ne se départ jamais de son aura de mystère et d’intentions voilées. D’abord motivé par une volonté de prendre ses distances avec une approche de la musique devenue artificielle car répétitive, le disque s’est extirpé du temps alors que la galloise souhaitait retrouver la joie simple de se plonger dans son art. C’est donc isolée dans un village du Nord de l’Angleterre qu’elle s’est plongée dans la fabrication de meubles et les baignades glacées, d’abord pour oublier, puis pour donner naissance à son meilleur album à ce jour. A l’occasion de son passage au Trabendo dans le cadre de la Villette Sonique, nous avons pu revenir avec elle sur le long processus ayant conduit à des morceaux que l’on ne quitte plus. Entre solitude, introspection et une pointe de sarcasme, la jeune songwriter a contribué par ses réponses à perpétuer un mystère que l’on ne veut surtout pas résoudre.
Comment se passe la tournée jusque là ?
Cate Le Bon : On a joué à Rouen, puis à Toulouse à un super festival dont je ne me rappelle plus le nom (le Discipline Festival, ndlr), mais c’était génial. Ensuite, nous sommes descendus à Madrid, San Sebastian, puis à Barcelone pour le Primavera, et nous sommes repartis vers le nord, à Berlin, Copenhague, et à Aarhus, une très jolie ville à trois heures de Copenhague.
Est ce que ça t’a rappelé l’endroit où tu as vécu pendant un an ?
Non, ce n’était pas exactement pareil.
J’ai regardé sur internet des photos de Cambria pour voir à quoi ressemble cet environnement. J’ai vu les montagnes, les lacs…
Les lacs… J’avais l’habitude de m’y baigner. J’ai rejoint le club de natation féminin, et nous nous retrouvions à 7h du matin pour y plonger. L’eau était très froide. On nageait sur 200 mètres, puis on en sortait pour boire un café, et on allait à l’école ensuite. Je faisais ça deux fois par semaine. C’est censé être bon pour ta santé mentale, et c’est pour ça que je l’ai fait : pour tout remettre à zéro là-haut.
Quand tu es arrivé à Cambria il y a deux ans, où en étais-tu dans ta relation avec la musique ? Je crois que tu la considérais comme un ‘hobby’ pendant un moment. Cette mise en retrait, est-ce que c’était aussi une manière pour toi d’en retomber amoureuse ?
Oui, je le pense. Tu sais, j’ai traversé une longue période faite d’écriture, de tournée, et d’écriture pendant les tournées. Puis tu arrives à la fin d’une longue série de concerts, et quelqu’un te dit ‘Hey, tu devrais faire un album !‘. Et j’étais là, ‘Euh ok‘. Je faisais aussi des trucs avec Tim Presley avec Drinks, à des moments où j’aurais pu ne rien faire. Bref, ça a été vraiment non stop pendant longtemps, et j’ai commencé à me sentir détachée pendant les lives, à décrocher en studio, et je me reposais de plus en plus sur les musiciens incroyables avec lesquels je jouais depuis longtemps. Je suppose que, quand tu fais de la musique, tu demandes aux gens de s’impliquer dans ce que tu fais, et si tu n’es pas toi même investie à 100%, ce n’est pas quelque chose que tu peux exiger en retour. J’ai donc arrêté, et j’ai décidé de prendre du temps pour faire autre chose, pour faire une vraie coupure avec la musique. Ca a été une période propice pour revoir ma relation avec tout ça, pour réfléchir à ce que j’aime vraiment, à ce que j’aime moins, pour être sure que, quand je reviendrai à la musique, je serai vraiment honnête.
A l’époque, est-ce que tu avais la sensation qu’il aurait pu y avoir des conséquences sur ton inspiration si tu t’étais obstinée dans ce cycle d’enregistrement et de tournée ?
Oui, et c’est ce qui était charmant dans la conception de ce disque : écrire un album sans réaliser que j’en écrivais un.
Tu disais dans une interview qu’il y avait une forme de romantisme étrange à jouer du piano le soir et à chanter la nuit. Est-ce que tu vois un lien entre cette configuration un peu singulière et le fait que Reward soit l’album le plus personnel que tu aies écrit ?
Je pense oui. Je suppose que, quand je suis allé à Lake District, ma vie a subitement changé, et je ne pense pas l’avoir pleinement réalisé avant de me retrouver là-bas. A l’époque, c’était vraiment un sentiment merveilleux de sentir que j’avais été très courageuse et que j’avais fait quelque chose d’audacieux. Puis, à d’autres moments, c’était effrayant et je me sentais bizarre. J’ai eu le temps de repenser à tous les voyages, tous les déplacements, toutes les relations que j’ai pu vivre en tant que musicienne. Mais les choses te rattrapent aussi, c’était une période un peu décousue. Ecrire et jouer du piano, c’était aussi une manière d’éprouver ça. C’est un instrument dans lequel on s’implique beaucoup. Tu le touches avec tes mains, tes pieds, ça prend une dimension dramatique. C’était l’instrument parfait pour me confronter à toutes ces humeurs et à toutes ces émotions.
Comment est-ce que ton entourage a réagi quand tu as évoqué ton désir de te retirer dans cette région ?
Il sentait que ça allait arriver. J’étais très excitée d’avoir tout ce temps devant moi, à cet endroit. Quand tu désires autant quelque chose, tu ne penses qu’aux bons côtés, à ces montagnes au milieu de nulle part où tout est génial. C’est important de se mettre dans une position inconfortable et de s’autoriser à faire le point sur soi-même. Puis, à l’époque, j’avais le sentiment de ne pas tout gérer dans ma vie de manière exemplaire.
Quand j’ai découvert le contexte dans lequel est né Reward, j’ai réfléchi à cette idée de retraite de l’artiste. Je repensais à Nebraska de Bruce Springsteen, qu’il a enregistré seul après une période de succès. Ce type d’album est souvent associé à une tristesse très forte, très lourde. Mais avec le tien, c’est paradoxal parce que son coeur présente une grande diversité de tons, d’humeurs.
Pour moi, c’est impossible d’être fondamentalement original. Si tu t’efforces de l’être, tu as déjà perdu. Mais ce qui est très important, c’est l’authenticité. Je ne savais pas vraiment comment cette année allait se dérouler, ni comment les choses allaient se passer. Je n’avais pas vraiment de plan préétabli sur la manière dont j’allais écrire l’album. Mais tous ces trucs incroyables que j’ai vécu auparavant se sont révélés très positifs pour moi. Il y avait toute une alchimie de choses personnelles. A partir du moment où tu fais les choses seulement pour t’amuser, tu as cette liberté de ne pas les faire valider par quelqu’un, il n’y a que toi qui peut te congratuler.
C’est là où tu reconnectes avec l’authenticité.
Oui absolument, comme un enfant qui peint et qui est complètement absorbé par ce qu’il fait. Quand tu te rends compte de ça, tu fais émerger plein de choses inconsciemment. Je pense que c’est pour cette raison que l’album est très diversifié.
Seule, est-ce que tu as redécouvert la musique ? A t-elle pris une nouvelle dimension du fait de cette situation ?
Quand je vivais à Los Angeles, je jouais et je trainais avec des musiciens tous les jours. Je crois que j’avais oublié la joie simple d’écouter un album que tu aimes profondément. Une fois seule à la maison, je me suis réveillée un matin, et j’ai mis un disque de Bowie. Je pouvais écouter le même morceau 10 fois de suite. Là, j’ai commencé à éprouver ce plaisir si simple que la musique peut te donner. J’avais juste à me plonger dedans pour ressentir de nouveau l’essence des choses.
Quand tu parles du saxophone et du piano, tu as l’air d’approcher ces instruments en fonction de leur potentiel dramatique. Est-ce que tu as conçu le son de Reward autour d’eux ?
Je pense que le piano est très important, même dans les morceaux où nous l’avons retiré. Ils sont tous enregistrés initialement au piano mais, quelques fois, c’était agréable de l’enlever, juste pour sentir son absence. Stephen (Black) est venu au studio, je lui ai chanté quelques parties. Le mélange entre les synthétiseurs et le saxophone m’a vraiment emballé, donc c’est resté. Dans le passé, j’avais déjà ajouté du saxophone sur Crab Days, mais il est beaucoup plus présent ici.
Quand tu as invité tes amis à venir chez toi, est-ce que tu avais une idée précise de ce que tu voulais, où est-ce qu’il s’agissait seulement de jouer ensemble pour voir ce qui en sortirait ?
On est allé à Winston Beach pour enregistrer l’album. J’ai travaillé avec Stella qui joue dans Warpaint, c’est une très bonne amie à moi. On a tenté des choses ensemble au début, en cherchant les rythmes de batteries les plus simples et les plus immédiats. Avec Stephen, on a travaillé de manière très intensive sur les lignes de basse. Avant de faire le disque, nous formions déjà un groupe et, quand tu en fais partie, c’est difficile d’avoir un jugement critique sur ce que chacun joue. On se concertait tous le temps, on parlait de la manière dont les morceaux devaient être structurés. Une partie de guitare que je jouais pouvait être rejetée pour proposer quelque chose de mieux. Ca a été un procédé assez difficile où j’ai appris à être patiente. Finalement, on a ressenti le besoin d’enrichir le jeu de guitare donc on a fait appel à Josh Klinghoffer. C’est un musicien phénoménal, je le connaissais avant qu’il ne rejoigne les Red Hot Chilli Peppers. Il a joué avec tout le monde, il avait un jeu à la façon des Talkings Heads que je n’aurais jamais pu avoir.
Je me suis penché sur les textes de Reward. Ils sont souvent considérés comme ambigus et absurdes, mais j’ai aussi trouvé qu’il y avait une forme de sarcasme sur des morceaux comme Mother’s Mother Magazine ou Sad Nudes. Tu avais conscience de ces nuances quand tu as commencé à écrire ?
Je ne sais pas, ces paroles sont juste le reflet de mon état d’esprit alors que j’étais pleinement moi. J’avais besoin d’être plus directe qu’avant.
Je peux interpréter les paroles comme je le veux mais, quand j’ai découvert le contexte de Reward, j’y ai vu une forme d’autobiographie voilée et mystérieuse au détour des paroles. Sur The Light notamment.
Quelques fois oui, et sur celle là, absolument. Il s’agit juste d’être à l’aise avec ça, et de donner ce que tu veux donner. Pour The Light, je pense que je n’ai jamais écrit un morceau aussi personnel mais j’en avais clairement besoin. Aujourd’hui, il est là et il existe.
Es-tu influencée par des écrivains quand tu écris tes textes ? Quels sont ceux qui comptent dans ta vie ?
Il y a un livre de Tristan Tzara que je relis quand j’écris. C’est un des poètes dadaïstes. Il y a aussi L’Immortalité de Milan Kundera. Je ne sais pas s’il s’agit de se mettre dans un état particulier à travers ces lectures. Des fois, tu écris quelque chose de manière spontanée que tu ne comprends pas tout de suite. Pendant cette année en solitaire, des choses me sont apparues à travers l’album, des choses que je ne comprenais pas tout à fait à l’époque.
Tu peux redécouvrir ton album comme ça…
Ahah oui, et comprendre enfin ce que je voulais dire !
Comment s’est passé ton retour à la civilisation après cette année en solitaire ?
J’aime bien être seule. Une fois l’école terminée, je suis partie de là-bas pour travailler sur l’album. Je me suis tout de suite remise à la musique, j’ai fait quelques concerts, mais je pense que je reviendrai sûrement à Cambria quand je ne travaillerai pas. J’étais très loin de la famille et des amis, mais c’était délicieux d’être là-bas. Beaucoup de choses se sont passées. Je ne l’ai encore dit à personne mais, après le concert de Toulouse, j’ai pleuré parce que j’étais remplie de joie et que je venais de passer un merveilleux moment. Je regardais autour de moi tous ces amis et musiciens incroyables autour de moi, je me sentais si heureuse et en même temps excitée de jouer de nouveau de la musique.
Reward est un titre auquel tu donnes une consonance sinistre du fait de la relation que tu peux avoir entre celui qui donne et celui qui reçoit. Qu’est-ce que tu veux dire par là ?
Je regardais des programmes télé sur les animaux, et je suis tombée sur une femme qui avait appris à un cheval à marcher dans une cuisine qu’elle avait construite, et à fermer la porte avec ses pattes arrières. Alors qu’il se dirigeait vers elle, elle a dit : ‘Et maintenant, je vais lui donner sa récompense‘. J’ai pensé : ‘Putain non, ce n’est pas une récompense !‘. Pour un cheval, la récompense serait d’être tranquille et loin des humains. J’étais dans un état d’esprit un peu particulier à l’époque, mais ça m’a fait réfléchir sur la manière que l’on a de manipuler les animaux ou les gens grâce au langage. Bien que le mot ait d’habitude une connotation positive, c’est complètement tordu.
Quelle est la pire question que quelqu’un t’ait déjà posé en interview ?
Il y a quelques années, à Cologne, j’ai été interviewé par une femme qui avait l’air de me détester, et elle m’a dit : ‘Pourquoi est-ce que tu viens jouer à Cologne ? Personne ne t’aime ici !‘. Je n’ai pas compris, j’ai éclaté de rire tellement c’était absurde. Elle m’a aussi dit que mes morceaux ne marcheraient jamais et j’ai répondu : ‘Ok, merci‘. Toute l’interview était comme une gigantesque insulte.
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