caroline, l’émotion en majuscules

caroline, l’émotion en majuscules

L’expression ‘ensemble musical’ met votre cerveau reptilien en ébullition ? Si oui, il y a fort à parier que caroline ne vous laissera pas de marbre. Le projet de ses huit membres ? Jouer du post-rock, de la folk lo-fi et ce qu’on jurerait être parfois de l’emo du Midwest, et vous laisser vous démerder avec tout ça. Leur premier album éponyme étant un des points d’orgue d’une année 2022 déjà pleine à craquer de dingueries musicales, Mowno ne pouvait pas passer à côté de l’opportunité de s’entretenir avec les fondateurs Jasper Llewellyn, Casper Hughes et Mike O’Malley. Une discussion captivante avant leur concert au festival BBMix de Boulogne-Billancourt, qui donne quelques clés pour mieux comprendre leur univers nébuleux.

Vous dîtes qu’il est important que toutes les personnes au sein de caroline se sentent comme des membres à part entière, et non comme des musiciens de studio. Mais avec autant de monde dans le groupe, la partie composition n’est-elle pas trop un cauchemar ?

Mike : C’est un cauchemar vivant !
Casper : Jasper, Mike et moi avons des concepts ou des idées de base qu’on amène au reste du groupe. Et on travaille tous ensemble à partir de ça. Il y a quand même beaucoup de place laissée à l’improvisation.

J’ai l’impression que cette improvisation reste quand même assez contrôlée finalement. C’est le cas ? On peut parler de chaos contrôlé ?

Casper : Oui ! J’aime bien cette définition. C’est contrôlé, et pas entièrement improvisé. C’est comme un puzzle avec un cadre dans lequel on assemble tous les éléments, toutes nos idées.
Jasper : Toutes les structures des morceaux sont déterminées à l’avance. Le sens général des différentes sections musicales, et la façon dont elles s’emboîtent ensemble, sont fondamentalement les mêmes. C’est peut être moins évident en live.
Mike : Pour que l’enregistrement de l’album se passe au mieux, on a quand même eu besoin de figer toutes les parties pendant quelques mois.

Ce n’est pas trop difficile de s’arrêter et d’enregistrer un album quand on aime autant l’improvisation ? La finalité a t-elle quelque chose d’effrayant ?

Jasper : Non, ce n’est pas effrayant pour moi. Au contraire, c’est excitant de trouver des façons de représenter tes idées sous une forme enregistrée. Ça sera toujours différent de ce que tu joues dans une salle ou un studio de répétition.

Beaucoup parle d’anxiété post-rock quand il s’agit de décrire votre musique, pourtant moi je la trouve assez joyeuse, même euphorique. Vous en pensez quoi ?

Jasper : Il y a beaucoup d’énergie et de joie dans caroline, en effet. Notamment dans la façon dont on joue les morceaux, mais aussi dans la manière dont on les ressent. Ce n’est pas parce qu’une musique est lente qu’elle est nécessairement triste ou sombre.
Mike : J’espère que notre musique est source de beaucoup d’émotions, qu’elle ne se révèle pas obligatoirement déprimante.
Casper : Cette discussion me fait penser au morceau Helps Both Ways de Mogwai qui contient un extrait d’un commentaire de baseball. Ça évoque instantanément une esthétique nostalgique. J’adore ce titre, mais on essaie justement d’éviter ce genre de cliché.

En parlant de cliché, comment échappez-vous à l’influence de Slint en tant que groupe post-rock ? Surtout, comment pouvez-vous échapper à cette question ?

Jasper : Je ne pense pas qu’on ait quelque chose à voir avec ce groupe. Du coup, je ne ressens aucune pression du fait de cette comparaison vu que je considère notre musique comme complètement différente. Personnellement, je n’ai même jamais rangé Slint dans la case post-rock. Pour moi, ils jouaient plutôt une sorte de punk expérimental… C’est important d’éviter les associations systématiques au sein même de certains genres musicaux, même si on connait tous ces archétypes. À quoi bon faire quelque chose qui ne soit pas original ? C’est même finalement assez triste de vouloir absolument faire un album qui sonne comme le Mogwai des années 90. Ça date d’il y a plus de 30 ans ! Le post-rock existe dans un paradigme musical dans lequel je ne joue aucun rôle.
Mike : Moi, en revanche, et encore plus parce que caroline ne sonne pas du tout comme eux, je n’ai aucun mal à dire que je suis grandement influencé par Slint. C’est tout de suite moins dangereux à avouer.
Casper : On trouvera toujours des idées et des inspirations chez des groupes qu’on aime et qu’on écoute. Mais fondamentalement, copier ne sera jamais suffisant.

Vos proches sont toujours aussi circonspects et intrigués à l’écoute de votre musique ?

Jasper : Mon père est venu nous voir jouer un show improvisé de cinq heures, et il a tenu trois heures ! Mais il préfère quand même ça à l’album. Je ne pense pas que mes parents aiment caroline. Un jour, pendant une soirée, ils m’ont demandé de faire écouter le disque à des amis, et personne n’a osé se prononcer. Il y avait un silence de mort… D’ailleurs, au début, j’étais très affecté par ce que les gens pensaient. Je ne me rendais pas compte que l’aspect expérimental de notre musique, et ses sons dissonants pouvaient poser problème.
Mike : C’est vraiment une expérience étrange de faire écouter ta propre musique à quelqu’un, quand tu es dans la même pièce.
Casper : Moi, ma mère est une immense fan et passe tout le temps notre musique. Elle adore tout ce que je fais. C’est une maman fière… Mon père s’en fout complètement par contre. Quant à nos amis, ils nous supportent, même si certains ont encore du mal à comprendre. Les réactions ne sont pas toujours positives.

On peut trouver des photos et des vidéos live de caroline à l’intérieur d’une piscine vide. L’acoustique y est si bonne que ça ?

Mike : En tous cas, celle qu’on a utilisé pour le live, oui ! Il y a tellement de reverb’ que tu ne peux pas rester à l’intérieur, c’est trop stressant. Quand tu joues une musique lente qui remplit totalement l’espace, ça donne un son avec beaucoup de caractère. Un son presque réfléchissant… Puis il y a quelque chose de magnifique dans l’imagerie d’une piscine vide. Même quand elle est remplie d’ailleurs. Au final, j’étais encore plus excité par la façon dont ça rendait visuellement que par l’audio.
Jasper : J’aime détourner l’imagerie du sport. Dans un clip, on a aussi utilisé une salle de gym par exemple. Se servir d’un espace fonctionnel en dehors de son utilisation normale est toujours esthétiquement intéressant. Ça peut provoquer un contraste choquant. Beaucoup plus que si on jouait par exemple dans une église, qui est un endroit méditatif et sérieux. Je trouve que ça dégonfle également la taille de l’égo du projet. C’est dépouillé jusqu’à devenir uniquement une bande de personnes jouant de la musique ensemble…

Sur une échelle de 0 à 10, à combien s’élève votre énervement quand on oublie le c minuscule de caroline ?

Jasper : Ça dépend à qui tu demandes au sein du groupe ! Si tu m’avais demandé il y a trois ans, je t’aurais répondu 9. Maintenant, je m’en fous. caroline n’est pas censé être le nom d’une personne, et le c minuscule confirme cela.
Casper : Mais bon, si les gens pouvaient éviter d’oublier, ça nous arrangerait…

Photos : Titouan Massé

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