11 Nov 21 Cannibale est bon pour le moral
Si la Normandie n’est pas la région la plus à même de vous irradier de soleil, cela n’empêche pas certains de ses natifs de cultiver les rythmes chaloupés hérités du patrimoine musical africain et sud américain afin de réchauffer les coeurs et égayer les esprits. Depuis maintenant trois albums, Cannibale les mêle au rock garage et psychédélique pour incarner la face la plus lumineuse et festive, le son le plus chaud du label Born Bad. En 2017, No Mercy For Love poussait ses auteurs parmi les plus brillantes révélations du moment, avant que ceux-ci – à peine rassasiés – confirment l’année suivante avec Not Easy to Cook, suite de leurs explorations tropicales. Quelques confinements et passages de oisiveté bien mérités plus tard, Cannibale est de retour avec Life Is Dead : un troisième long format totalement marqué du sceau du groupe, de celui de son compositeur principal Manuel Laisne comme de celui de son chanteur Nicolas Camus. Chacun en quête constante d’efficacité et de rires, ils saupoudrent d’absurde ces deux principaux leitmotivs histoire de soigner le fil rouge qui les guide depuis quatre ans seulement. Et à en croire l’imagination débordante qui les anime, qui transpire de chacun des commentaires ci-dessous, la descente n’est manifestement pas pour tout de suite.
LIFE IS DEAD
Nicolas Camus : C’est le premier morceau de l’album, c’est aussi le titre du disque. Pourquoi la vie est-elle morte ? Car elle n’est plus en vie. La vie n’est plus en vie et ça, ça craint ! Mais c’est surtout drôle…. Enfin, ce n’est pas drôle de mourir, mais c’est drôle comme titre d’album. C’est comme dans le hard rock, ça ne tortille pas du cul : Life is Dead. J’avais envie de parler de deux personnes qui ne s’aiment pas beaucoup et qui s’entretuent. Sauf, que l’un meurt et revient de la mort pour tuer l’autre tellement il est vénère. Mais comme ils sont tous les deux morts, ils continuent de s’entretuer dans la mort, et cela, pour l’éternité. Je me suis dit que s’ils s’adonnaient à ce hobby tous les jours, c’est que finalement ils devaient s’aimer. Comme toutes les paroles que j’écris, je m’inspire de l’ambiance de la musique, et je viens adapter celle-ci à la métrique chantée en ‘yaourt’ par Manu sur les maquettes. Ça n’est pas très simple, car il a travaillé de son côté et il faut donner du sens à la forme pré-établie.
ES EL AMOR
J’ai rencontré ma fiancée le week-end qui a précédé le premier confinement et on voulait se voir malgré les interdictions. Manu m’avait envoyé ce morceau assez kitsch, une sorte de disco ringard, un peu beauf 80’s. Un mix entre Girls & Boys de Blur et de Tropiques au Compteur de Muriel Dacq. J’ai tout de suite pensé au vélo, au Tour de France, je voyais clairement une roue de vélo tourner au ralenti. Je me suis dit que ça pourrait parler de ce gars qui veut rejoindre sa copine illégalement à vélo. Une sorte de Laurent Fignon fou dont les roues creuseraient l’asphalte et feraient voler les gravillons comme des puces partout autour. J’ai écrit ça en espagnol, je trouvais ça classe et bien approprié : passion, chaleur et larmes dans le vent. C’est l’amour quoi !
KINGS OF THE ATTIC
Je disais mon envie à Manu de jouer des morceaux un peu plus rock que sur les albums précédents. L’envie de Cyril aussi, notre ancien batteur, était que les tempi soient plus rapides sur les nouvelles compos. Manu a composé Kings of the Attic, il pense que c’est le seul morceau avec lequel il a réussi le mélange improbable de new wave et de musique caribéenne. Pour ma part, cette musique m’a donné envie de parler de mon premier groupe, le deuxième pour Manu. Ados, nous nous retrouvions le week-end au-dessus du garage de chez le bassiste pour répéter. Nous avions entre 15 et 17 ans et faire partie d’un groupe de rock dans une région de bourrins, c’était juste la liberté. Il n’y avait strictement rien à faire dans cette ville de merde. Soit on devenait des gros beaufs, soit on faisait de la musique pour devenir des vedettes. Alors au contact de chacun, on s’est cultivé, on a enrichi notre culture musicale, artistique, et on s’est tous soutenus. C’était très fort. Ça nous a permis de nous casser de ce patelin normand et de croire en nos rêves.
THE MOUTH OF DARKNESS
Une base un peu techno-cheap, des chœurs de jingle NRJ et un refrain psychédéliques-opéra-rock, le tout saupoudré d’une voix rap sur les couplets. Quand j’ai écrit les textes, je me suis focalisé sur le refrain et son côté grandiloquent à paillettes. Je voyais des monstres sortir des marécages, des flammes sortir du trou de l’enfer et des Gobelins jouer de la flûte sur des dolmens mousseux sous acide. J’ai commencé à écrire quelque chose de très sombre, mais ça n’allait pas. Je me suis alors dit : ‘merde ce texte aurait pu être cool‘…. OK ! Et si cette chanson parlait du fait qu’elle aurait pu être cool ? Repose en paix Mouth of Darkness, voilà ce que tu aurais pu être. ‘The temptation is too big, to shorten the sentences, i optimize the metrics, the rythm of the lyrics‘. C’est une mise en abîme et une prière pour ce texte qui aurait pu exister autrement : ‘Here is The Mouth of Darkness, it could have been a success… Rest in peace The Mouth of Darkness‘. Un brin égocentrique me direz-vous ? Détrompez-vous… Mégaégocentrique oui ! Et c’est ça qui est bon…
THE HAMMER HITS
À une époque, on a beaucoup écouté The Meteors, et souvent j’ai la sensation qu’on peut retrouver l’influence de ce groupe dans les compos de Manu, pas tant le style Psychobilly que l’ambiance château hanté qui en ressort. C’est exactement ce que je ressens pour ce morceau. Il y a un côté suintant et ténébreux avec les chœurs d’outre-tombe qui m’ont inspiré un texte qui parle du deuil, de la transformation, du changement, de la volonté de changer et de tout ce que ça peut impacter autour de soi. ‘The hammer hits so violently that now it’s broken ! Period !‘. Concrètement, ce texte parle de la destruction et de la reconstruction.
TASTE ME
C’est une chanson classique, une vraie, dans le sens couplet-refrain-solo. On entend Serge Gainsbourg et Mélody Nelson qui ne sont pas loin. C’est langoureux et cool. C’est une chanson qui parle d’amour, de découvrir l’autre, de le goûter et c’est un thème que j’aime développer dans Cannibale. Le Cannibalisme sous toutes ses formes. Dans ce morceau, je parle aussi de la consommation de l’autre. Il peut arriver parfois que des gens se servent de l’autre pour leur propre intérêt, je peux constater cette perversion chez certaines personnes. L’autre est juste un support pour arriver à ses propres fins. Certaines personnes ne voient l’autre que comme un objet sexuel ou encore une béquille affective. ‘Taste me i fill emptiness‘. Notre vide intérieur peut parfois être un gouffre sans fond, insatiable. Un vide que l’on ne peut remplir.
YOU SMASHED A CAKE ON MY FACE
C’est un morceau qui fait partie des morceaux “rock” de l’album. Je trouve que c’est un titre très teenager 90’s, bien teubé comme Wayne’s World ou Dumb and Dumber. Bête et méchant quoi ! Je crois que c’est l’un des seuls que j’ai écrit d’une traite en conduisant ma voiture ! Ma chérie et moi nous étions disputés car, pour rigoler, elle m’avait écrasé un éclair au café sur le visage après que j’eus mimé la même chose sur elle. Je m’étais vexé, et en repartant chez moi, toutes ces paroles sont sorties facilement, comme un exutoire, et ça raconte exactement comme ça s’est passé. Tout est vrai. Aujourd’hui, l’éclair au café est un gâteau emblématique pour ma fiancée et moi.
I DON’T WANT TO ROT
J’ai restauré une maison et je devais monter sur le toit pour changer des ardoises. En arrivant presque en haut, j’ai eu très peur de tomber. Il faisait très beau, je ne voulais pas mourir au printemps… Cette situation m’a inspiré le texte de cette compo bien nerveuse. Il y a quelque chose de Fire in Cairo de The Cure dedans. J’ai imaginé une histoire Kafkaïenne dans laquelle un type tombe d’un toit et s’écrase sur le sol façon purée de tomate. Le voisin vient le voir et lui demande de se relever, car il est vraiment bizarre comme ça. Dans ces paroles, je parle de la peur de mourir, de pourrir, et que tout le monde s’en bat la race. C’est un texte qui évoque ces moments où l’on ne se sent pas capable de faire ou surmonter les choses, où l’on se sent comme une merde et qu’on veut se mettre le nez dedans.
SAVORING YOUR FLESH
C’est le premier morceau que Manu nous a fait écouter pour le troisième album. Il fait le pont entre Not Easy to Cook et Life is Dead, il a un côté très chaloupé et caribéen. Ce morceau transpire, il est moite et j’imagine des jacuzzis chauds dans lesquels barbotent des hommes et des femmes amorphes et défoncés. Une sorte de grande marmite dans laquelle des bouts de corps inertes flottent et cuisent lentement dans leur jus. Le protagoniste est comme un ballon tout mou, il se sent cool, et il attend qu’on le regonfle et qu’on le presse contre-soi. Des bains à remous, dans lesquels des personnes se diffusent dans un bouillon brûlant, une soupe cannibale et sexuelle.
BEWARE THE BIRD
Là où l’on se rejoint dans le processus créatif avec Manu, c’est qu’on a besoin que ça nous fasse rire. Et ce rire, on va le chercher dans l’improbable combinaison de styles, de mots, de situations. Pour moi, quand j’écris les textes, j’ai besoin d’être surpris, de créer des accidents. Je trouve que c’est ce qui se passe avec l’intro de ce morceau. Cette basse est fascinante de normalité. Ça pourrait être tonton Philippe qui joue avec son groupe de baloche, suivi de son pote Jacky qui fait exactement la même chose à la guitare, suivi d’Eric à la batterie qui fait le même rythme rockab’ depuis 30 ans…. Et de cette normalité naît quelque chose de surréaliste.
J’ai découvert Les Champs Magnétiques d’André Breton, il y a quelque temps. C’est un recueil qu’il a coécrit avec Philippe Soupault, un autre Surréaliste. Je me suis donc intéressé à l’écriture automatique et je n’avais pas eu l’occasion d’utiliser ce médium pour écrire des paroles. Voilà ce que ça dit : ‘Méfies toi de l’oiseau, c’est un ami de la princesse, oh mon Dieu je veux un rendez-vous avec elle, alors qu’y a-t-il de mal avec l’aide d’un mâle, je veux l’avoir au téléphone, ça te tombe dessus‘.
LET ENTER THE LIGHT
C’est juste une chanson magnifique, une sorte de berceuse moyenâgeuse psychédélique guitare-voix. C’est un kiffe à chanter. Elle parle de la lumière et du message qu’elle transporte. Cela me fascine de savoir que l’étoile lointaine que nous regardons dans le ciel est probablement morte. Que la lumière qu’elle diffuse transporte des informations sur la matière qui la compose, qui la composait. Nous recevons des informations du passé. J’aime penser que cette lumière du passé entre dans notre œil et d’une manière ou d’une autre nous nourrit d’un savoir impalpable et inquantifiable.
20.11.2021 – VILLENEUVE D’ASCQ – La Ferme d’En Haut
10.12.2021 – SETE – Razzle / Bazr Fest
11.12.2021 – REIGNIER – Le Poulpe
14.01.2022 – PERPIGNAN – El Mediator
15.01.2022 – FIGEAC – Astrolabe
05.02.2022 – HOUILLES – Salle Cassin
03.03.2022 – PARIS – Café de la Danse (release party)
04.03.2022 – ANNECY – Le Brise Glace
Aymeric Duchâteau
Posté à 07:42h, 21 août« La vie est morte », ça vous fait rire ? Je vois pas comment…