Buriers, pulsations nomades

Buriers, pulsations nomades

Cet entretien avec James P Honey était prévu de longue date et aurait pu se dérouler à Nîmes, ou il a joué il y a 18 mois en solo, ou à Londres, où il vit et où nous nous sommes croisés à plusieurs reprises. Nous avons finalement attendu la sortie du fascinant album de Buriers pour discuter de sa sortie, et du processus qui a conduit le groupe à en arriver là.

Filth, le dernier album de A Band Of Buriers remonte à 2011. A défaut d’un nouveau, vous avez sorti plusieurs EPs depuis. Est-ce qu’il y a une raison particulière à cela ?

James P Honey : Cela a pris du temps car Filth était signé par A Band Of Buriers. Maintenant, il s’agit simplement de Buriers qui est très différent. C’est même un nouveau groupe pour être tout à fait honnête. Le lien, c’est que c’est toujours moi et Jamie Romain, le violoncelliste. Mais à partir de l’EP Four Songs, un batteur nous a rejoints, et on a progressivement travaillé jusqu’à obtenir un son plus gros, jouer plus fort en live, et donner bien plus d’énergie. Donc vraiment, c’est un premier album pour Buriers.

L’album est sorti sur le label Buriers HQ, dont c’est la sortie numéro 1…

C’est un peu bizarre car, en fait, il s’agit de la deuxième sortie du label. Mon vinyle solo, It’s Been a Long Year, portait le numéro 000, ce qui est un peu absurde, je le reconnais. Mais je voulais vraiment réserver le numéro 1 pour Buriers.

Cette totale indépendance est-elle un choix ? Quelles sont les raisons qui vous ont poussé à le sortir vous-même ?

C’est clairement un choix. On a parlé avec des labels, parmi lesquels de gros indépendants ayant une certaine influence, nous avons eu de multiples échanges de mails avec des gens intéressants et prêts à sortir l’album, mais les délais proposés étaient trop long pour nous. On nous proposait une sortie autour du printemps/été 2021. C’était trop loin, d’autant que l’album a déjà pris un certain temps avant de prendre forme. On en est donc resté à notre idée initiale qui était de le sortir par nos propres moyens.

Vous jouez maintenant dans des salles plus importantes, il vous arrive même fréquemment de partager la scène avec de gros noms de la musique indépendante. Aussi, tes paroles évoquent sans fard l’ambition des artistes ainsi que le music business. Quelle est ta vision du monde et de l’industrie musicale indépendante ?

Je ne me sens pas du tout faire partie de l’industrie musicale. Je ne connais pas le nom des nouveaux labels alternatifs excitants, ou des nouveaux groupes à suivre absolument. Ce n’est pas quelque chose qui me concerne ou auquel je fais attention. Je me sens plus intéressé par les rencontres individuelles au sein du monde musical, par les personnes dont je croise la route… Je me rends compte que, comparé à pas mal de mes contemporains, je ne connais vraiment pas grand chose de tout ça. J’ai un genre d’ignorance froide par rapport à ce monde. Je vois des gens changer d’attitude dès qu’ils savent qu’untel ou untel est dans la pièce, ou se comporter légèrement différemment dès qu’ils parlent à une personne d’influence parce qu’ils en attendent potentiellement quelque chose. Je trouve ça stupide, presque dérangeant. Je ne veux pas du tout être comme ça.

Alors, quels sont tes champs d’intérêt et tes influences ?

Pour être honnête, je tire mon influence de mon environnement. Bien sur, quand je dis que je ne suis pas plus intéressé que ça par le développement musical autour de moi, c’est plutôt que je ne suis pas les tendances. Bien évidemment, j’adore la musique d’une manière générale, j’adore en jouer, partager la scène avec d’autres musiciens et voir leur concerts. Quand je suis ici à Londres, je vais en voir régulièrement. Mais je ne me fie pas aux avis des autres, je laisse les choses se présenter à moi. Mes recherches ou mes rencontres musicales sont souvent accidentelles. J’écoute énormément de musique, tout le temps, vraiment. Par exemple, en ce moment j’écoute beaucoup Blaze Foley, un vieux chanteur country. J’ai toujours adoré Thanksgiving et Adrian Orange aussi. Qu’il s’agisse de livres, de poésie, ou de chansons, c’est un de mes auteurs préférés, il est incroyable. En fait, c’est la même chose pour les livres : j’adore lire, je lis toute la putain de journée, mais si quelqu’un me demandait quel est mon bouquin préféré sorti en 2019, je serais bien incapable de répondre…

Tu es plus porté sur une littérature plus ancienne ?

Oui clairement, mais encore, c’est parce que je lis des livres comme on mange des grappes de raisin : j’en prends un grain, j’aime, j’en choisis un autre juste à coté, plus acide, et je peux continuer ainsi jusqu’à avoir terminé toute la grappe. Par exemple, j’adore Virginia Woolf. Et parce que j’aime ses écrits, je vais ensuite m’intéresser à Katherine Mansfield, et ensuite à Tolstoi ou Pouchkine, et je me demande quel autre auteur russe a écrit des nouvelles aussi intéressantes… Pour résumer, je ne suis pas un féru obsessionnel de culture, je ne lis pas les magazines, je ne cherche pas à savoir qui est le nouveau meilleur poète de notre époque. Je le découvrirai peut être dans 25 ans, ou peut être demain, par hasard.

Tu aimes brouiller les pistes, notamment sur tes goûts. Je t’ai vu en concert avec un t-shirt de Katy Perry, puis avec le manteau de la Juventus de Turin sur la vidéo de Glory Hunter... Du coup, je me demandais si tu étais attiré et séduit par cette culture de masse dont ce sont deux exemples ?

Concernant le t-shirt Katy Perry, j’en ai beaucoup comme ça. Celui-ci, je l’aimais beaucoup, mais je l’ai prêté à mon frère qui l’a perdu. Je n’ai même pas envie d’en parler… J’aime être ironique, créer de la confusion chez les gens, je trouve ça très drôle, même si je sais que c’est compliqué à comprendre pour certaines personnes qui viennent me demander si j’aime réellement Katy Perry. D’ailleurs, je n’en sais rien, j’ai du entendre deux titres d’elle et, jusqu’ici, on ne peut pas dire que j’aime sa musique. Pour ce qui est du survêtement de la Juve, j’aime énormément le football, et ce manteau est particulièrement… étonnant. J’aime le côté flamboyant et la confusion que cela crée. En fin de compte, tout mon travail est un collage. Mes mots, mes influences forment un ensemble de choses massif et bordélique au sein duquel j’évolue. Par exemple, je peux écouter du grindcore sur le chemin du foot et, au retour, écouter Bill Callahan en direction d’un restaurant vegan. Je trouve ça intéressant de voir des personnes à fond sur un seul domaine, mais je trouve cela terne également.

Tes vidéos semblent avoir des liens avec la danse contemporaine, comme sur celle de Glory Hunter ou tu danses accompagné de deux autres personnes…

La précédente vidéo impliquant des danseuses était celle de Goat’s Gloom, pour laquelle je n’étais pas investi de la même manière. Je peux donc plus facilement parler de celle de Glory Hunter. Avec Jamie, nous cherchions une idée pour accentuer les paroles sans avoir recours à des sous-titres. On avait presque envie d’utiliser le langage des signes. C’était le point de départ, puis l’idée a fait son chemin. Vu que je ne suis pas chorégraphe, nous avons sollicité Olivia Noris, la fille de la vidéo. C’est une amie, une danseuse et chorégraphe très talentueuse donc cela s’est fait naturellement de lui demander, en lui expliquant l’idée de départ. La première partie du clip est une forme de collaboration. Puis, à partir du moment ou je me lève, la chorégraphie est totalement la sienne ainsi que celle de son ami Pierre, l’autre danseur. Ensuite, je les ai observés et j’ai essayé de faire de mon mieux pour ne pas donner l’impression que j’étais en carton.

Comme souvent dans les vidéos de Buriers ou A Band of Buriers, les images sont particulièrement séduisantes. Faites-vous toujours appel au même réalisateur ?

Non, c’est une personne différente à chaque fois. En fait, Jamie, le violoncelliste, a un travail qui le conduit à fréquenter pas mal de gars de l’industrie du cinéma. Ils tournent des pubs pour payer leurs factures mais ils sont très talentueux. Ca nous a amené à pas mal de collaborations.

Parlons musique à nouveau… Il semble que ce soit votre album le plus rap depuis bien des années, au moins depuis tes albums solo sous le nom de James P Honey. C’est aussi moins cantonné au folk que A Band of Buriers. Est-ce que c’est lié au fait que tu aies sorti un album folk en solo l’an dernier ? C’est une décision volontaire ?

Oui totalement, tu as raison, c’était une décision consciente mais qui est arrivée d’elle même, comme un processus. A Band of Buriers était une formation essentiellement folk, avec un peu de spoken word proche du rap. Nous avons enregistré deux albums, on a fait ce que l’on souhaitait faire, puis le groupe a évolué, nous voulions donner plus d’importance aux percussions et batteries dans la structure des morceaux. Concernant le Four Songs Ep, le premier sous le nom de Buriers, c’était une transition. D’ailleurs, rétrospectivement, Four Songs devrait aussi être considéré comme un album de A Band of Buriers. Du coup, on ne l’a pas mis sur les plateformes de streaming afin qu’il n’y ait pas de confusion. Buriers a plus d’énergie. Quand le groupe s’est formé avec des batteries et a sorti le maxi To Speak Of One’s Own Pride, on s’est dirigé vers quelque chose de plus énergique, de plus naturellement live. Ce qu’on essaye de faire avec Buriers, c’est arriver à composer des morceaux qui nécessitent que l’on soit ensemble pour les jouer, et que l’on ne pourrait absolument pas écrire sans l’un de nous. Cela n’aurait pas été possible sans que nous nous connaissions aussi bien musicalement.

Justement, quelle est votre implication respective dans la composition ?

Certains titres arrivent pour ainsi dire d’eux mêmes : je m’assois avec la guitare, je trouve une ligne, le groupe ajoute des choses, et voilà. Sur un titre comme Hammer On The Hunt qui commence par une ligne de guitare, il y a un genre de transformation à mi parcours parce que les autres membres prennent plus d’influence sur l’ensemble. C’est bien aussi que ça ne se passe pas toujours ainsi. Cela arrive très rarement, mais c’est chouette quand ça se produit. Par exemple, Lynch Mob Hero a été amené par Jamie au violoncelle. Normalement, nous deux écrivons les morceaux, mais la batterie est également très importante. Cela peut influencer la structure, prolonger certaines parties parce que les percussions sont intéressantes… Tu vois ce que je veux dire ?

Oui… Parlons de la pochette de l’album sur laquelle tu te tiens de dos face à un paysage désertique, un peu apocalyptique

C’est une photo de moi en tournée. On s’est garé sur le bord de la route pour faire une pause, et c’est moi, littéralement en train de pisser. Jamie a pris cette photo. Cela résume un peu la vie sur la route, les longs trajets. Il y a un côté presque déshumanisé, des nuages sans fin, les champs agricoles à perte de vue… C’était peut être même en France, du coup ! C’est drôle que tu la décrives comme apocalyptique parce que c’était peut-être juste à côté de chez toi !

Cette vie en tournée semble avoir une grande importance dans tes paroles.

Pour moi, tourner a toujours été une expérience géniale. J’adore tourner énormément, à tel point que je pourrais être constamment sur la route, vivre une expérience nomade. Ca marche bien sur moi, cela me rend heureux de voir des endroits qui changent, de sentir de nouvelles odeurs… C’est vraiment une aventure ! Il y a une partie de moi qui regrette même l’époque ou c’était vraiment 100% DIY, quand on dormait sur le sol, à jouer dans des bars vraiment merdiques. Maintenant, on s’habitue un peu plus à jouer dans des boites noires, d’un meilleur standing, à dormir dans des hôtels bon marché qui se ressemblent tous. Si on ne faisait pas gaffe, entre la boite noire et l’hôtel, on pourrait parfois être n’importe ou dans le monde sans s’en rendre compte. Il y a une partie de moi qui regrette un peu le passé…

Aussi les connexions humaines qui peuvent se faire dans les bars de seconde zone ?

Oui, mais ne te méprends pas : il nous arrive encore de jouer dans des endroits douteux. Mais c’est différent, ce n’est pas le même genre d’ambiance que quand on errait autour de la salle à se demander si le concert aurait lieu ou pas. Ou quand on se présentait en disant aux types du lieu qu’on jouait le soir même, et qu’on était soulagé de voir qu’ils étaient au courant et nous attendaient. J’étais plus jeune, peut être que ça me fatiguerait aujourd’hui…

Tu avais un peu mis de côté le rap au moment ou tes talents de Mc étaient de plus en plus reconnus, puis tu as changé le nom du groupe comme si tu voulais tourner des pages. De nombreuses personnes qui vous voient en live se demandent pourquoi vous n’êtes pas plus connus… Est-ce que cette attirance pour le DIY n’engendre pas des craintes du succès ?

C’est très profond… (il hésite) C’est intéressant de regarder rétrospectivement et de me demander s’il y a une part de sabotage là-dedans. Je n’ai pas de réponse à ça, mais ça m’a déjà traversé l’esprit. Simplement, j’ai arrêté de faire du rap quand j’estimais en avoir fait assez, et A Band of Buriers a cessé quand j’ai estimé que cela suffisait. Il faut prendre en considération que, en tant que Mc, quand j’ai commencé à être reconnu, j’avais fait beaucoup de choses, et je suis arrivé à un point ou je ne voulais pas me répéter. C’est aussi comme ça que j’ai gagné le respect, le même que j’ai gagné de manière purement artistique.
Pour Buriers, je sais qu’on est un bon groupe. Je le sens sur scène, dans l’énergie que dégagent les titres pendant les bons concerts. Je regarde Jamie, et je le sens. Je me rends compte qu’on se connait si bien maintenant, que je n’ai même plus à penser au groupe. Mais la raison pour laquelle les gens se demandent pourquoi nous ne sommes pas plus gros réside peut être dans le fait qu’on n’appelle personne. Je refuse ça. Si quelqu’un vient nous voir et dit ‘wow ils sont énormes, il faut les signer‘, alors ok, ils auront bien fait leur boulot. Par contre, moi, je ne vais pas chercher qui ils sont, trouver leurs coordonnées, leur envoyer un mail pour leur demander de venir nous voir. J’ai des choses plus intéressantes à faire.

Tu parlais plus haut de Bill Callahan et, comme lui, tu as récemment eu un enfant. En quoi cela a t-il affecté ton rapport à l’écriture, au fait de tourner…

Pour être honnête, je ne sais pas. Cela ne fait même pas un an. C’est intéressant parce que ça donne une forme de confiance, mais c’est aussi très distrayant : tu peux regarder le bébé pendant des heures, tu ne disposes plus de ton temps de la même manière. On a aussi tendance à regarder le passé de manière un peu romantique, et à l’embellir. Par exemple, je vais regretter le fait de pouvoir jouer de la musique et de prendre ma guitare librement pour jouer toute la journée, mais si je suis réaliste, combien de fois est-ce vraiment arrivé ? Il faudrait refaire une interview dans deux ans. L’autre truc, c’est que je ne suis pas encore parti en tournée depuis la naissance… La tournée sera forcément différente en raison de ma paternité, mais aussi parce que l’âge moyen du groupe augmente… On a tous plus de trente ans, certains ont des boulots qu’ils ne sont pas prêts à lâcher… Je pense qu’on fonctionnera plutôt par plusieurs tournées de dix jours, pour revenir et repartir. J’ai hâte de voir comment ce sera.

Pour quelles raisons l’album a t-il été enregistré en République Tchèque ?

Notre tourneur là-bas est un type extraordinaire, c’est une chance de l’avoir rencontré. Nous sommes devenus très amis. On y a fait une tournée géniale, du coup on y est déjà retourné trois fois. Il nous a parlé de l’album qu’on avait déjà enregistré à Brighton, en Angleterre. Je ne nommerai pas le studio mais ce n’était pas super. Cela ne nous convenait pas, à tel point qu’on a décidé de ne pas le sortir. Du coup, on savait qu’on devait ré-enregistrer, et Adam (notre tourneur en République Tchèque donc) nous a présenté André qui a ses studios à Prague. On a discuté sur Skype et j’ai tout de suite su que c’était lui qu’il nous fallait. Il a été génial, le cinquième membre du groupe, vraiment. C’est la première fois de ma vie que j’ai vécu cette expérience avec une personne qui nous enregistre.

Je me demandais si le fait de délocaliser l’enregistrement en République Tchèque n’avait pas aussi joué dans ton attirance pour le nomadisme…

Ouais, peut être, il se peut que tu aies raison là dessus. C’était aussi agréable dans le sens ou on a vécu ensemble pendant toute une semaine, à écouter l’enregistrement pendant les pauses, à manger ensemble. Si on l’avait fait en Angleterre, on serait rentré chez nous le soir, à retrouver nos éventuels problèmes du quotidien. C’était bon de se sentir en dehors de la réalité pendant une semaine ou tout ce qui comptait pour nous quatre était d’enregistrer cet album, de rester uniquement concentré là-dessus.

Toutes les photos sont de Pascal Boudet, tirées du documentaire Strong As a Storm (We Grew Together)

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