03 Déc 21 Bryan’s Magic Tears, tout à l’égo !
Débarqués il y a quelques années dans le game de la pop rêveuse et du shoegaze vrombissant, les Bryan Magic Tears ont su , en quelques disques, tirer habilement leur épingle de ce jeu complexe qui consiste à perdurer et évoluer au sein d’un genre pas toujours enclin au changement. Et quel plus bel exemple de leur parcours que Vacuum Sealed, dernier album arrivé il y a peu, tranchant subtilement avec le reste de leur discographie. Si l’abrasif et le dansant se retrouve toujours dans sa première partie, la seconde – elle – tend vers d’autres cieux et d’autres enjeux, plus mélodieux et plus complexes. Soucieux de grandir, plus sérieux dans leurs affaires sans pour autant déborder de prétention, Benjamin Dupont et Paul Ramon sont revenus avec nous sur ce cheminement ambivalent, entre flemme des répét’ et souci du détail.
Pour ce nouvel album, il se dit qu tu as composé de 22h à 4h du matin. C’était un rythme de travail inédit pour toi ?
Benjamin Dupont : Oui c’était nouveau, mais on a surtout eu accès à davantage de matériel, ce qui a beaucoup joué sur le son de l’album. Je parle de tous les périphériques sonores qu’on n’a pas dans un studio, comme l’égaliseur, le compresseur, etc. De vrais outils professionnels quoi ! On est sorti des plugins de l’ordinateur. Vacuum Sealed est également beaucoup plus limpide que les précédents qui étaient un peu plus des ‘fourre-tout’ de tout ce qu’on avait en réserve. Il y avait un coté pas immédiat de ces compositions que tu peux peaufiner dans ta chambre, là où tu produis beaucoup plus de morceaux que tu sors aussi plus facilement. Alors que là, dans un endroit un peu plus impressionnant, on se concentre un peu plus sur certaines choses.
Tu peux avoir tendance à t’éparpiller du coup ? Quel est le risque avec un grand studio comme ça ?
Je pense qu’on peut tomber vite dans l’écueil de faire quelque chose de surproduit, et ça peut être un peu malvenu, surtout pour les groupes lo-fi dont on vient. Il peut y avoir ce piège de passer d’un son très minime à quelque chose de très très gros, et un peu vulgaire. Donc là, on a essayé de trouver un juste milieu.
Et pourquoi cette idée de le faire en deux parties du coup ?
Je pense que ça s’est fait un peu naturellement. La première partie est un peu dansante, il y a pas mal de boites à rythmes. Mais on aime aussi faire des chansons un peu tristes et planantes, et on s’est rendu compte au bout de 5 ou 6 morceaux qu’on ne pouvait pas faire du Happy Mondays tout le long, ce n’est pas non plus ce qui nous correspond totalement. Surtout qu’il y avait aussi cette envie de rester un peu dans ce truc un peu shoegaze et baggy rock qui dessine un peu toute la première partie d’ailleurs.
Alors quelles étaient les références pour la deuxième, avec ce côté plus limpide ?
Ca n’a pas trop bougé pour nous, c’est un peu toujours My Bloody Valentine, Primal Scream, tous ces groupes anglais des années 90, sans être enfermés là-dedans non plus.
Tu dis aussi que, à 33 ans, tu ne voulais pas faire du teenage rock avec une casquette à l’envers et un short en jean. Cette déclaration renvoyait peut être à une forme d’usure envers les premiers albums, les premiers morceaux du groupe ? Je n’ai pas envie de dire que c’est ‘l’album de la maturité’, personne n’a envie de dire ça !…
Ahahaha, personne n’a envie de l’entendre ! Non, mais je pense qu’on a beaucoup joué les morceaux d’avant. Au final, on ne va pas cracher dans la soupe, mais vu que ce sont des choses assez simples et minimales, plus on les joue, plus on s’en lasse. Il n’y a pas une grande complexité de composition, et on avait envie de sortir de ça pour qu’il y ait un côté un peu plus pérenne à nos morceaux.
Tu trouves qu’il y a une forme de simplicité dans tes premiers morceaux ?
Dans les structures, il y a quelque chose d’assez répétitif. C’est un peu pop au final, très couplet/refrain, il n’y a pas de grandes envolées. Là, il y avait les possibilités du studio qui permettaient d’aller un peu plus loin au niveau du son, et il y avait cette volonté ‘d’orner’ un peu tout ça par rapport à avant où on sentait la jeunesse de composition. L’idée, c’est de faire la musique qu’on aime. Là, au niveau sonore, on n’est pas du tout dans des productions similaires à un groupe comme The Jesus and Mary Chain par exemple. Je pense qu’on a tranché avec le son des années 90, même si c’était déjà le cas avec l’album précédent. On a jamais fait du copier/coller.
Et dans le processus de composition, étais-tu seul au début ? Les autres sont-ils davantage impliqués désormais ?
On avait déjà enregistré le précédent disque à deux, avec Paul (Ramon, le batteur du groupe, qui nous rejoint). Là, on a fait un morceau tous ensemble, celui d’introduction. Mais c’est vrai que sinon j’étais plutôt tout seul en studio avec Marc, l’ingé son qui produit aussi cet album qu’on va devoir adapter à plusieurs, pour la scène. Il y a des choses qui sont ici plus précises que dans l’album précédent. Ce ne sont pas seulement trois guitares qui envoient du lourd sur scène : il y a des arrangements à respecter. Du coup, je pense qu’il va être à recomposer pour les concerts.
Paul Ramon : On n’a pas vraiment le choix.
C’est un processus qui vous prend beaucoup de temps ?
Non pas du tout. Les Villejuif Underground ne répètent jamais, ils se foutent d’ailleurs de notre gueule en disant qu’on répète trop mais en vrai, on est un groupe qui ne répète pas du tout.
Vous vous connaissez très bien aussi non ?
Benjamin Dupont : Oui, il y a de ça, mais il y a surtout le fait qu’on est un peu des feignasses. Le plaisir, on le prend plutôt sur scène qu’à potasser en studio de repétition.
Paul Ramon : Maintenant, ça risque d’être plus compliqué. Les premiers morceaux étaient vachement simples donc, sur des concerts acoustiques avec du chant et une guitare, ça passait. Dès que tu as une structure facilement assimilable, on a un truc assez évident ensemble. Dans les bons cas, en une heure, ça tourne à fond et on est trop content. Nous sommes un groupe qui se repose énormément sur ses acquis (rires). Quand c’est facile, c’est cool, mais dès que ça devient un peu plus chiant, tout le monde baisse les bras.
Généralement, parlez-vous en amont de l’album que vous voulez faire ?
Benjamin Dupont : Là, on commence à le faire. Avant, c’était une évidence, et puis Paul a pris part au deuxième album, il avait enregistré toutes les batteries, du coup on était deux à pouvoir booster ça en répétition.
Paul Ramon : J’ai l’impression qu’on est passé de l’autre côté de la perception du groupe, de l’autre côté du miroir. Avant, on n’avait pas trop conscience de ce qu’on faisait, et les choses se faisaient. Maintenant, on arrive à un point ou on a du recul sur nous-mêmes. Désormais, notre objectif est dépassé, alors on se dit : ‘bon maintenant, on en est là‘. Enfin, je ne sais pas si je suis très clair.
Benjamin Dupont : C’est vrai que quand tout roulait tout seul, on avait beaucoup moins de perception de ce qu’on est. C’est normal dans l’évolution d’un groupe de se dire qu’il ne faut pas refaire les mêmes conneries. On était tous d’accord pour se dire qu’on ne voulait pas repartir dans un carnage, dans tous les sens, les bars, etc. Non, on s’est dit : ‘ok, si on veut que le groupe continue, il faut qu’on se bouge le cul pour ça‘. On avait envie de le stepper un peu.
Paul Ramon : Clairement, passer au niveau supérieur. C’est pour ça qu’on réfléchit à ça, et au fait de ne pas reprendre trois guitares.
On retrouve de nouveau un long morceau de 9 minutes sur ce nouvel album, Superlava, comme ce fut le cas sur 4AM avec Change. Est-ce un passage obligé, un challenge que vous vous fixez à chaque fois ?
Oui, pour un groupe comme Bryan’s Magic Tears, on peut dire que ça en est un. On a la possibilité de le faire, donc on le fait. Venant de nous, un morceau de punk hardcore d’une minute, ce serait bizarre. On profite de la plasticité du truc pour s’y essayer. Dès le début du groupe, en début de répétition, il y avait généralement une ligne de basse qui partait et on jouait spontanément pendant un quart d’heure.
Benjamin Dupont : C’est une habitude qu’on a gardé, et c’est le moment ou chacun compose finalement. Ce que donne Change sur scène par exemple, c’est le fruit de tout le groupe. Ce sont des soupapes importantes pour ne pas tomber dans la simple exécution des morceaux que j’ai composés, ce qui serait embêtant. Par exemple, pour ce morceau, Paul amène des influences plus krautrock qu’on retrouve sur les longs passages.
Paul Ramon : Superlava est un défi, c’est un motif qui se développe, qui s’alimente, et c’est un peu le génie de ce titre. Ce n’est jamais chiant, ce n’est pas de la simple superposition. Quand je l’écoute chez moi, je ne vois pas les neuf minutes passer.
Benjamin, tu dis que tu n’as jamais été attiré par la musique agressive, plutôt par une autre plus mélancolique. Quels sont les artistes qui t’ont accompagné dans ce cheminement ?
Benjamin Dupont : La mélancolie, je la tiens des Smiths, et de groupes de ce genre, pas forcément de la musique que je fais. Slowdive par exemple, ce n’est pas quelque chose que j’ai beaucoup poncé, peut être seulement quelques titres que j’ai pas mal écouté. En revanche, j’écoute beaucoup Jesus & Mary Chain, notamment l’album Honey’s Dead que j’écoute au moins une fois par semaine depuis un an et demi. Je leur ai tout piqué (rires). J’aime beaucoup leur côté velvetien, un peu sali. D’ailleurs, j’écoute très souvent le Velvet Underground également, comme Paul et Lauriane. En tous cas, j’aime bien le shoegaze, mais je ne pense pas être un shoegazer. Je n’ai pas du tout la tête penchée constamment sur mes pédales.
Paul Ramon : On aime les morceaux simples, bien badass, francs du collier, les motifs un peu basiques qui te saisissent et ça, on le retrouve chez plein de groupes.
Benjamin Dupont : Après, c’est ta façon de chanter dessus, le son que tu vas mettre avec qui va donner corps aux morceaux. On n’est pas trop dans les motifs à la Tapeworms par exemple. Eux vont plus loin, je trouve que c’est beaucoup plus érudit comme musique.
Vos voix sont assumées aussi, elles ne se planquent pas derrière des tonnes d’effets…
Avant c’était le cas. Quand tu déboules et que tu es validé par personne, tu as tendance à sous mixer ta voix. Une fois que tu as fait quelques concerts, que des gens ont trouvé que tu chantais pas trop mal, ça booste un peu l’égo… Là, je pense que je suis au max ! (rires) Plus sérieusement, je pense que si on montait encore la voix, ce ne serait plus vraiment du rock. Aujourd’hui, sa place est volontaire, ce qui incombe une production particulière qui nous rapproche même à deux doigts de la variété.
Quels sont vos projets pour les mois à venir ?
La tournée est en train de se monter. Vu qu’on a pris le train un peu en retard, on va vraiment commencer à jouer à partir de janvier. On a déjà notre release party le 7 décembre à la Maroquinerie. O
Paul Ramon : On a aussi joué à Rotterdam il y a deux semaines mais ce n’était pas terrible. C’était ouvert au public mais c’était surtout pour les pros, une sorte de South by Southwest dans les bars de la ville.
Benjamin Dupont : Tu ne fais pas de balances, tu as quelques minutes pour t’installer, autant pour dégager, pas ou peu de retours… Bref, c’était l’usine pour nous qui faisions notre premier concert avec la boite à rythme. Je pense que, dans ce contexte, tu peux vraiment faire la différence quand tu es rôdé de chez rôdé. Nous, on a besoin de quelques bières avant pour se mettre bien.
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