Bob Mould ne perd pas la boule

Bob Mould ne perd pas la boule

Parmi les sons les plus forts de l’histoire terrestre, on compte l’éruption du volcan indonésien Krakatoa et un solo de guitare de Bob Mould, songwriter incontournable ayant littéralement influencé tous les groupes présents dans ta playlist. Celui qui a pondu quelques-unes des plus belles notes du rock alternatif, du punk et du hardcore avec Hüsker Dü et Sugar, s’est engagé sur la voie solo depuis plusieurs décennies. Alors qu’il vient de sortir son tout dernier album, Here We Go Crazy, nous avons pu tirer profit des trente petites minutes d’entretien qu’il nous a accordé. Difficile d’imaginer que cette légende responsable de la destruction de plusieurs milliers de tympans puissent être aussi charmante et courtoise…

Here We Go Crazy est ton quinzième album solo et le premier sorti depuis plus de quatre ans, un laps de temps assez exceptionnel pour toi. Il t’a fallu plus de temps et de réflexion cette fois-ci ?

Bob Mould : Non, c’est parce que le monde s’est arrêté ! Ma vie de musicien est une série de cycles, l’un commençant lorsque le précédent se termine. Le premier consiste à trouver un endroit pour rassembler mes pensées, mes mots, ma musique, pour que j’écrive des chansons. Puis vient l’enregistrement, suivi de la finalisation de l’album, et enfin sa sortie. La dernière partie est la plus importante pour moi : l’interprétation. Le véritable test pour juger un disque, c’est de le jouer devant des gens et de guetter leurs réactions. Ça permet aussi de savoir de quelle manière cette nouvelle musique s’inscrit dans l’ensemble de ta discographie. Devoir se priver de ce feedback pendant deux ans a donc été un peu déroutant ! Le groupe a donné quelques concerts à la fin de l’année 2021, mais tout le monde était encore nerveux et stressé par cette pandémie. Ce n’est qu’ensuite que j’ai pu faire énormément de shows solo où je mélangeais nouvelles et anciennes chansons. Là, j’ai enfin pu me rendre compte de ce que les gens aimaient dans la nouvelle direction que j’ai prise. Voilà pourquoi la sortie de l’album a pris autant de temps !

Ces dernières années, tu as passé du temps dans le désert de la Californie du Sud. Penses-tu que cet endroit a eu une influence sur cet album ?

Oui… Vers la fin de l’année 2020, mon mari et moi avons eu besoin de nous éloigner de San Francisco. Nous sommes alors descendus dans le désert pour visiter des amis et profiter de cet immense espace. C’était comme une sorte de road trip ! Je suis assez familier avec le désert. Je suis allé à Coachella pendant 13 ans et je connais tous les bons plans restaurants et randonnées. J’aime particulièrement cet équilibre entre les grands espaces ouverts et le fait d’être un enfant de la ville. J’ai vécu à New-York, Berlin, San Francisco, Washington DC et j’aime tous ces endroits. Le calme relatif du désert en fait un environnement différent et, chez moi, chaque environnement est très important pour le déroulé de mon travail. Qu’il fasse chaud, froid ou humide aura forcément un impact sur le rendu final…

En quoi le fait de ne plus avoir à batailler durant le processus de songwriting, comme c’était probablement le cas avec Hüsker Dü, a changé ta manière d’appréhender l’écriture ?

Hüsker Dü était un groupe très prolifique. Au début, nous étions trois à écrire les chansons mais, au fil du temps et surtout à partir de Metal Circus, Grant Hart et moi-même sommes devenus les principaux songwriters. Je ne sais pas si je parlerais de bataille. C’était plutôt une compétition saine. Quand j’étais jeune, c’était si facile d’écrire des chansons ! Le monde était nouveau et excitant, les possibilités étaient infinies… Avec l’expérience, ta vision du monde change. Tout ça pour dire que je n’écris plus une chanson tous les jours ! Après avoir quitté Hüsker Dü, j’ai commencé ma carrière solo puis Sugar. Là, j’ai trouvé qu’il était plus agréable d’être le seul auteur-compositeur : je me sentais plus à l’aise dans cette position qui me permettait de raconter des histoires de mon propre point de vue. Avec mon groupe actuel, nous jouons ensemble depuis de nombreuses années. Donc quand j’écris de la musique pour nous trois, j’ai toujours en tête les points forts de chacun. Cela affecte mon processus créatif puisque je donne beaucoup de place à John et Jason. Par contre, en ce qui concerne les paroles, il ne s’agit que de mes histoires à moi…

Sur ce dernier album solo, Breathing Room est une chanson qui parle de la nécessité d’avoir un espace où l’on se sent serein et où l’on puisse respirer sans crainte. Quel est cet endroit spécial pour toi ?

Ce serait Ocean Beach, à San Francisco. J’aime me lever très tôt le matin, avant l’aube, prendre ma voiture et stationner au bord de l’océan. Je pars marcher ensuite le long de la plage pendant des heures. Il fait nuit noire, je croise des pêcheurs, des gens promenant leurs chiens, des surfeurs… J’aime ces matins où il n’y a pas encore de traces de pas sur la plage. C’est un endroit où j’allais souvent en 2020, et qui m’a permis de garder intact mon équilibre mental.

When Your Heart Is Broken est probablement ma chanson préférée de l’album. Tu y chantes, une phrase très marquante : ‘The friends that you left behind / You banish them from your mind‘. Est-ce la vérité la plus triste sur le fait d’évoluer au sein de la scène alternative et punk depuis maintenant plus de 40 ans ?

Non, j’y aborde ma situation personnelle et celle d’autres personnes que je connais qui souffrent en quelque sorte de la même chose. La vie peut parfois être tellement dure qu’on n’a d’autres choix que d’apprendre d’elle sans pouvoir revenir en arrière, parfois pour notre bien. C’est une manière lourde et pesante de terminer la chanson, je te l’accorde. Ça ne dit donc pas que je laisse un mouvement musical derrière moi, notamment parce que je considère toujours être un putain de punk ! Je mentionne plutôt les fins de relations, les trahisons, la douleur que cela engendre…

Tu as toujours critiqué le fait que les années 80 soient perçues comme une décennie progressiste alors que c’était loin d’être le cas. Penses-tu que ce genre de considération ait pu nuire aux scènes musicales des années suivantes ?

Aux débuts d’Hüsker Dü, nous ne faisions que copier nos groupes favoris. Puis, nous avons trouvé notre propre son et avons pris une direction différente. Avant nous, il y avait le hard rock, le heavy metal, la cocaïne, les jets privés et les groupies. Avant eux, il y avait les hippies. Le punk rock, lui, a voulu réinventer la scène avec un nouveau look et une nouvelle attitude. Nous voulions suivre notre propre voie, sans pour autant renier tout ce qui avait précédé. Bizarrement, à l’époque de Zen Arcade, j’adhérais personnellement aux idées du mouvement hippie et des penseurs progressistes américains des années 50 et 60, la beat generation… J’ai commencé à analyser ce que cette musique signifiait pour cette génération. Parfois, on finit par devenir que ce nous avons toujours voulu détruire. La vie a le chic pour provoquer ce genre de chose.

Tu as passé ta vie à t’élever contre le fascisme, le racisme et l’homophobie. Quel est ton sentiment quand tu vois que les États-Unis, au même titre que l’Europe, virent de plus en plus aux mains de l’extrême droite ?

Les américains ont fait le mauvais choix lors de cette élection de novembre dernier, c’est décourageant. Je suis très déçu. En tant qu’homosexuel américain ayant vécu dans les années 80, je pense avoir une assez bonne idée de la direction que cela pourrait prendre. J’ai toujours fait ce que j’ai pu depuis la scène pour rappeler à mon public que ce choix pouvait m’affecter de manière négative. Ça ne me réjouit pas, mais nous devons maintenant faire avec. L’Europe – particulièrement La France, l’Italie, l’Allemagne, l’Autriche, les Pays-Bas, la Pologne, la Hongrie – est confrontée à ce type d’orientation politique depuis plus longtemps que les États-Unis. Tu sais, la plupart des Américains ne voyagent pas et ne comprennent pas les conséquences de leur mauvais choix. Je ne vois pas quoi faire de plus ! Je n’abandonne pas mais il faut trouver le moyen de faire changer les gens d’avis de nouveau. Bonne chance !

Apparemment, tu écris tous les jours au réveil, après avoir avalé trois cafés. Suis-tu toujours ce même rythme ? La caféine est donc l’ingrédient déterminant pour être un putain de songwriter ?

Je t’avoue que je ne suis plus le même rythme, même si je prends toujours ma première tasse de café juste après mes pilules du matin. C’est très important. J’ai abandonné l’alcool et les drogues dures. Le café est donc la seule chose qui me reste et qui puisse remplacer la plupart des vices que j’avais auparavant ! En vieillissant, j’ai besoin d’être plus attentif à la quantité et à la nature de ma consommation. Tu vois, aujourd’hui, j’en ai déjà trop bu !

Tu n’as pas joué en France depuis une date à Paris en 2008. C’est quoi ce bordel ? Une conspiration contre nous ?

C’est strictement financier ! Quand tu prends en compte le matériel, les hôtels, le transport, c’est très cher de tourner dans une configuration plus large. Encore plus maintenant ! Ça demande aussi un certain engagement de la part des promoteurs pour que je puisse mettre en place tout cela. C’est une triste réalité : l’argent dicte les endroits où l’on peut se produire. J’essaie d’être gentil et d’avoir du tact dans ma réponse mais, crois-moi, j’essaie toujours de jouer en France et à Paris à chaque fois que j’emmène un groupe jouer avec moi en Europe.

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