Blanck Mass, combustion spontanée

Blanck Mass, combustion spontanée

Naturellement, on pourrait s’attendre à ce que l’entité qui se cache derrière l’épique album ‘World Eater‘ soit une sorte de guerrier de l’apocalypse à qui on aurait presque peur de parler. Benjamin Power – aka Blanck Mass – est en fait un simple être humain mi-ange, mi-punk. De passage au Grand Mix de Tourcoing, l’auteur de l’une des plus grosses baffes sonores de l’année 2017, et accessoirement moitié du duo Fuck Buttons, est passé derrière notre micro pour nous en dire plus sur son chef d’œuvre, et nous donner ainsi l’envie d’écouter sa musique encore plus fort…

Un sticker sur l’album affiche la mention ‘a reaction to the human race consuming itself’. Y-at-t-il d’emblée un message politique ?

Benjamin Power : Oui, mais c’est surtout un coup de gueule contre le genre humain en général. Aujourd’hui, nous comprenons qui nous sommes. Malgré tout, le cerveau humain continue d’évoluer, mais n’efface pas ce que nous ont laissé nos ancêtres, ces instincts territoriaux que nous avons en nous. Plus j’avance dans la vie et plus je trouve que c’est évident, et d’autant plus à notre époque : la bête est toujours fortement présente. L’album est une réflexion sur le fait que nous sommes tous conscients que cette bête est en nous. Nous la comprenons, et nous devrions la contrôler avant qu’elle n’aille trop loin et ne consume la race humaine.

Parles-tu d’une période en particulier, pendant laquelle cette bête s’est plus que jamais montrée ?

Je pense qu’elle était plus ou moins cachée. Nous comprenons la manière dont nous agissons, mais nous aimons toujours notre façon d’agir… Il est clair que nous sommes en crise. Nous devrions retenir cette bête, la combattre et agir autrement.

Je suppose que la pochette a un lien direct avec cette histoire !?

Bien sûr ! C’est une représentation de la bête qui sourit, qui cache une certaine conscience derrière sa démence. C’est la créature qui se moque de nous.

Rassure-moi, ce n’est pas ton chien ?

(rires) Non, je n’ai pas de chien, j’ai un chat !

Il aurait sans doute été moins flippant sur la pochette…

Ça dépend du chat ! (rires)

Bien plus que sur ton précédent album ‘Dumb Flesh‘, tu arrives ici à produire une musique à la fois belle, violente, calme, sombre… As-tu besoin d’être dans un état d’esprit particulier pour composer des morceaux si riches en émotions ?

Je pense que l’humeur dicte les émotions, et me conduit vers une façon de travailler qui relève de l’exploration. Cette palette sonore est la somme de toutes ces explorations. Si par exemple je me sens particulièrement énervé, ça va bien sûr se ressentir, et j’aurai besoin d’une réaction, et de réponses à ce type de sentiment, en évoluant sur quelque chose de plus tendre. C’est comme si mon inconscient tentait d’établir un équilibre.

Pourra-t-on un jour entendre un album de Blanck Mass joyeux et tout rose ?

Malheureusement nous sommes des éponges. Je suis extrêmement conscient de mon environnement. Les situations personnelles et même globales peuvent vraiment m’affecter. Tu sais, j’ai grandi en écoutant du punk, donc je pense qu’il y aura toujours des éléments punk quoiqu’il arrive. Il y a des albums de Fuck Buttons qui sont édifiants et presque joyeux, tout en utilisant la même palette sonore. Je pense que j’étais moins préoccupé de façon globale et personnelle à cette époque. J’ai une belle vie privée, mais ce qui se passe autour de nous est plutôt merdique, et tout ça peut largement avoir une influence.

Qu’en est-il de cet autre message que tu écris à l’intérieur de la pochette ? Tu nous encourages à soutenir nos associations locales pour le droit des animaux et les fédérations LGBT (homosexuel, bisexuel et transgenre, ndlr). Pourquoi ces deux sujets en particulier ?

J’y suis particulièrement sensible. En fait, je suis sensible à toute forme d’inégalité. J’ai perdu une amie très proche qui a traversé l’épreuve du changement de sexe jusqu’à la fin de sa vie. C’était une personne épatante. Ce genre de combat compte beaucoup pour moi, autant que celui pour le droit des animaux.

J’ai rarement entendu des sons aussi texturés dans un album. Quel est ton secret pour réussir à transformer un morceau en une entité presque vivante ?

Je n’aime pas écrire la musique sur un ordinateur. J’utilise toujours des équipements physiques, que je peux toucher. Quand j’écris, je préfère avoir une relation entre moi et une machine plutôt qu’une surface plate et vide. Tu ne peux pas atteindre l’intérieur d’une surface en 2D et tu ne peux pas en faire partie ni fusionner avec elle. Pour établir une connexion et libérer des émotions, il faut que l’interface soit tangible. Je travaille de manière plus fluide et en symbiose avec de vraies machines.

J’aimerais faire un focus sur ce morceau, ‘Minnesota/Eas Fors/Naked’, que je trouve incroyable…

Oui, j’adore les triptyques, c’est la troisième fois que j’en fais ! Le premier était le morceau bonus ‘Life Science (Ambient Movement)’ sur ‘Dumb Flesh’, le second était ‘The Great Confuso’.

Sur ce morceau, on est d’abord écrasé par cette tempête massive, puis on commence tout doucement à apercevoir la lumière, avant de terminer presque soulagé, dans une bulle, avec ces sons si spécifiques. Quel genre d’histoire essaies-tu de raconter avec ce type de tableau ?

J’ai commencé à écrire ce morceau la semaine où Prince est décédé. Je suis un grand fan, d’où la partie ‘Minnesota’ (l’état où Prince est né et décédé, ndlr). J’essaie ensuite d’avancer dans l’histoire avec une espèce d’intrigue secondaire qui s’installe. J’ai voulu le placer sur l’album juste avant le tout dernier morceau, de manière à envoyer l’auditeur vers une autre quête !

On entend beaucoup de voix humaines plus ou moins mystiques, par exemple sur ‘Please’ ou ‘Silent Treatment’. D’où viennent-elles ?

Il y a énormément d’enregistrements différents, pris sur le terrain et sur le vif, dont ma propre voix. Sur ‘Minnesota’, il y a beaucoup d’eau, de sons aquatiques. Le second mouvement ‘Eas fors’ est en fait un enregistrement de la cascade du même nom, la plus haute d’Ecosse située sur l’île de Mull. En voyageant avec ma femme, j’ai réalisé des prises tout en haut mais aussi tout en bas de cette cascade. Il y a aussi cet enregistrement de moi en train de crier sous l’eau… Ces sons passent ensuite par de nombreux niveaux de manipulations avant d’atteindre leur forme définitive. Par contre, je voulais conserver les sons de cascade les plus clairs possibles, ils étaient magnifiques et reflétaient un moment réel.

C’est vrai que l’on peut presque sentir l’eau couler sur soi, j’étais même trempé après avoir écouté ce morceau ! (rires)

C’est super, j’aurais dû prévenir qu’il fallait une serviette ! (rires)

Parlons d’un autre message que tu as laissé sur le disque… ‘Listen at maximum volume’… Est-ce un conseil sérieux ? Est-ce obligatoire pour apprécier pleinement ton album ?

Je pense que oui, et particulièrement pour ce disque. Je pense qu’il est important de se laisser consumer par les textures. Quand je l’ai composé, je voulais que l’auditeur se sente captivé et complètement entouré par les sons, d’une manière presque claustrophobique. Evidemment, il y a des moments de répit au sein des morceaux, et je pense qu’il est important de pouvoir les apprécier sans élément perturbateur autour de soi.

Ta musique est extrêmement riche et complexe. Comment sais-tu quand un morceau est terminé ? S’agit-il d’enregistrements ‘one-shot’ ou passent-ils à travers un long process de composition ?

Je passe par plusieurs niveaux de manipulations. Par exemple ‘Detritus’ – dernier morceau de l’album précédent ‘Dumb Flesh’ – était à l’origine deux fois plus rapide. Je l’ai ralenti, l’ai découpé et j’ai commencé à y rajouter des choses. Je peux travailler sur mes morceaux à l’infini, mais j’essaie de conserver une discipline dans le sens où, si ça sonne bien à un moment, je le laisse de côté pour revenir dessus plus tard et décider si le job est terminé. C’est un travail qui peut être difficile lorsqu’on est immergé dans un morceau trop longtemps. A force d’y revenir, on peut facilement s’y perdre et oublier tout jugement. J’essaie au maximum de m’imposer des règles en prenant régulièrement du recul, pour mieux revenir sur un morceau avec d’autres perspectives. Aujourd’hui, je comprends très bien ce que je fais, je me sens très confiant dans la composition, et donc je sais lorsque quelque chose est terminé.

Des nouvelles à nous partager pour Fuck Buttons ?

Nous sommes en train d’écrire, mais la priorité est aujourd’hui sur la tournée. J’ai déjà donné beaucoup de shows, j’étais en tournée avec Slowdive, je joue bientôt à Liverpool, puis je pars sur la côte Ouest et au Sud de l’Amérique du Nord. Je sens que j’ai envie de jouer partout en ce moment.

Les solo live acts en musique électronique sont la plupart du temps ennuyeux et sans intérêt. Comment fais-tu pour captiver ton public et ne pas tomber dans le piège de l’ennui ?

En fait j’aime beaucoup l’exercice. J’ai des visuels qui tournent derrière moi et j’utilise ma voix en live, ce qui me permet d’une certaine manière de communiquer avec le public. Je suis d’accord avec toi, c’est souvent difficile de regarder un mec derrière ses machines, sans vraiment comprendre ce qu’il fait. Je pense que mon set est différent d’un live techno enfermé dans une boîte. Je viens du punk et du métal, donc même si je joue en solo avec des machines, je sens que j’ai toujours ces influences en moi.

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