Bison Bisou, l’équilibre par le contraste

Bison Bisou, l’équilibre par le contraste

Deux ans après son premier album Bodysick, Bison Bisou sort Pain & Pleasure sous une pochette aux couleurs acides, adjectif qui – à l’écoute – lui correspond à la perfection. Tendres et sauvages à la fois comme ils se décrivent, les lillois tentent de répondre aux grands questionnements du monde qui apportent simultanément douleurs et plaisirs, et engendrent toute une série de contrastes.

Vous aimez bien les figures de style ? Bison Bisou, c’est une allitération en B et en S.

Charly : À dire vrai, on ne pense pas tellement aux figures de style. On ne va pas dire qu’on est obsédé par ça, mais on aime bien jouer avec la langue et avec les mots, parce que les mots sont des pensées et donc des idées. C’est plein d’émotions, de souvenirs, et les figures de style retranscrivent un peu tout ça. Ca permet de plonger dans le verbe. On aime bien en jouer, amener les gens à imaginer. Ca nous permet de nous exprimer dans la musique de Bison Bisou. Rien à voir mais il y a aussi le ‘n’ et le ‘u’ qui font ‘nu’. Enfin ce n’est pas forcément une figure de style. Je le dis juste comme ça. Quand on a choisi un nom de groupe, on s’est dit que c’était un nom qui pouvait faire rire et qui voulait dire beaucoup de choses. C’est assez sauvage et assez tendre en même temps.

C’est un peu tiré par les cheveux de parler de figures de style pour Pain & Pleasures mais on a ici deux antonymes. Vous êtes un groupe de tous les contrastes ?

Sébastien : Le groupe, c’est cinq personnes différentes. On n’a pas tous le même âge, donc on n’est pas des mêmes générations, on a écouté des choses différentes, et le groupe s’est formé alors qu’on était tous à la base dans d’autres projets. On se connaissait par le biais des concerts, et on s’est dit que ce serait intéressant de mélanger le background musical de tout le monde et de faire un truc ensemble qui serait très énergique. Je pense que dans Bison Bisou, par l’idée de contraste, il y a aussi une idée de tension entre deux points. Le groupe est déjà humainement constitué de cette manière. On est tout le temps dans la discussion, à se tirailler pour le meilleur. On est une sorte d’hyper-démocratie et je pense que ça se reflète aussi dans notre musique.

Tu parles d’hyper-démocratie… Tu m’expliques un peu plus comment ça se passe au sein du groupe ?

Pour les paroles, c’est plutôt Charly et Marvin qui donnent un coup de main. Au niveau de la musique, personne n’arrive avec un morceau complet ou en disant tel instrument fera ça ou ça. Ça part souvent d’une idée, tout le monde se greffe dessus, et donne son avis. Tant qu’on n’est pas tous d’accord, les choses ne se figent pas. S’il y a un malaise et que quelqu’un ne sent pas un truc, on va le trainer pendant un temps et on finira par abandonner parce que ça ne marchera pas en live, et on n’arrivera pas à défendre l’album.
Charly : L’idée est de faire des concerts et de jouer les morceaux. Donc il faut que tous les membres se les approprient et se sentent bien avec. C’est important que tout le monde soit impliqué dans la composition et dans l’écriture. Les textes peuvent avoir une signification un peu métaphorique et mystérieuse, mais il faut qu’on puisse tous les interpréter.

Votre pochette joue aussi sur les contrastes…

Sébastien : On gère les visuels nous-mêmes, je suis le graphiste du groupe. On est très impliqué dans l’image, que ce soit pour les pochettes ou pour les clips. Tu parlais de figures de style, ce sont des images et donc ce sont des choses dans lesquelles on se retrouve, et c’est important pour nous. Cette pochette, elle est contrastée, déjà par rapport aux précédentes. Pour l’EP Régine et l’album Bodysick, on travaillait principalement avec la photographie, et j’ai eu envie d’abandonner ça pour quelque chose de nouveau. L’idée de juste inscrire du texte, c’était donner à ces deux mots tout le poids et la force qu’ils dégagent.
L’idée était de laisser la pochette vierge, de créer un contraste, de dégager une ambiance, mais pas avec une photo qui pourrait amener à penser. On a deux couleurs qui créent un contraste un peu acide et un peu piquant. Cela peut faire référence au son des guitares ou à ces ambiances qui sont parfois un peu pesantes dans certains morceaux. En revanche, on retrouve quand même la photographie au dos de la pochette. C’est une nature morte avec des pêches dont une partie est fraiche et l’autre est moisie. L’idée était d’utiliser des fruits car il y a toujours la question du corps dans Bison Bisou, et le fait d’utiliser des fruits laisse transparaître quelque chose d’un peu organique. Le fait d’avoir quelque chose de frais et de complètement défraichi, c’était pour rester dans l’idée des deux opposés, du principe de vie et de mort que peut évoquer le titre de l’album. On aimait bien avoir une deuxième lecture une fois que tu retournes le disque.

C’est un choix sobre et surprenant à la fois, ça contraste avec la musique que vous proposez…

Charly : On avait envie de faire quelque chose qui pouvait interroger à la vue de la pochette. Que ce ne soit pas déjà tout cuit. Ça pourrait être une pochette de house et finalement ce n’est pas du tout ce qu’on va entendre. Il y a un côté acide qui va bien avec ce qu’on fait en concert. On a envie de créer quelque chose qui peut amener vers la transe et, sur certains aspects, cet album est basé là-dessus. Ça peut faire mal aux oreilles et ça peut faire mal aux yeux, mais ça peut aussi être une source de plaisir si on s’y attarde et si on creuse.

Dans votre DP vous écrivez : ‘Douleur et plaisir, comme un manifeste : c’est tout à la fois le résumé de la vie, la tienne, la mienne, et de la vie dans un groupe. Un groupe, c’est à la fois des individualités et une seule entité. Un équilibre parfois instable, comme nous. Mais nécessaire‘. C’est votre deuxième LP, c’est le disque des grands questionnements ?

On vieillit et on se pose plein de questions, comme tout le monde. Ce n’est pas qu’on a essayé de faire un condensé des questionnements qu’on peut avoir sur le monde et sur nos vies, mais il se passe des choses et on se demande comment on se sent là-dedans. On a voulu retranscrire tout ça par rapport à notre vécu, en gardant une sorte de naïveté.
Sébastien : On ne peut pas nier le fait qu’il y ait beaucoup de choses qui changent en ce moment dans le monde et dans la société, à tous points de vue, que ce soit climatique et politique. C’est difficile de ne pas se demander quelle est notre position par rapport à tout ça. Le titre et le sens de l’album, c’est à la fois ce thème un peu général, mais aussi par rapport à notre vie de groupe : ça fait huit ans que Bison Bisou existe, c’est aussi ce chemin sur lequel on avance. Ça nous a transformé au fil des années, et aujourd’hui le groupe fait intégralement partie de nos vies à tous les cinq. Ce sont les questions qui en découlent, la façon dont on est arrivé là, le fait de toujours faire des concerts, de partir en tournée et de faire des albums…

On est toujours dans l’indie rock et le noise. Vous naviguez entre, je vous cite, ‘excès et lâcher-prise foutraque; tendresse et désinvolture‘. Pourtant, au départ, on était plus dans les grosses guitares et batterie très forte, donc vous avez fait évoluer votre musique en travaillant davantage les rythmes et les mélodies. Qu’est-ce qui vous a fait prendre ce cap ?

Charly : Ca a été progressif, on ne voulait pas répéter Bodysick.
Sébastien : On ne s’est pas dit qu’on allait faire quelque chose de plus mélodique. La grosse différence est que nous avons composé Bodysick en six mois, alors que cet album a été travaillé pendant un an et demi. On a voulu partir d’une page blanche. Il y a aussi tout le travail qu’on a fait en pré-prod avec Amaury Sauvé qui nous pousse plus loin. On arrive avec des morceaux bien ficelés, on pense qu’on est allé au bout, et lui nous fait retravailler des points qu’on ne voyait pas. C’est la raison pour laquelle on a choisi de bosser à nouveau avec lui.
Charly : Je me souviens de la première session de l’enregistrement de cet album, je me suis pris comme un coup de poing quand il m’a dit ce qu’il pensait de mes parties de chant. Il ne montre pas que le positif afin qu’on puisse se remettre en question.

Il est devenu la sixième oreille du groupe ?

Sébastien : Oui c’est ça. On l’estime beaucoup. On est arrivé, on lui a dit qu’on voulait faire différemment et mieux, et qu’on lui faisait confiance. Ce qui est bien chez Amaury, c’est qu’il n’est pas uniquement dans la technique. L’idée avec lui n’est pas de passer quatre heures avec une guitare dans les mains, mais à plus nous écouter. Il nous a fait grandir en tant que groupe d’individus qui passent beaucoup de temps ensemble. Bien sûr, on écoute plein de musique mais ce qui t’influence, c’est surtout les gens avec qui tu joues et ce qu’ils injectent humainement. Pour nous, c’est ce qui est le plus important. Si ça tu le foires, ta musique reste en surface.

Je reviens sur cette idée de changement de cap qui n’est pas forcément la meilleure des formulations mais vous avez tout de même un peu déstructuré vos compositions, notamment le morceau Nostalgic Pleasure qui n’a pas de batterie.

Charly : Par exemple, on essaie de mettre moins d’artifice sur la voix pour avoir un son assez brut. Plus brut que sur Bodysick.
Sébastien : Il y a beaucoup moins de travail de post production et d’effets d’enrobage de son. Ce qu’on entend sur le disque, c’est 90% du son des prises. Ce qui était beaucoup moins le cas sur Bodysick. On est parti de zéro, et on a pu vraiment penser l’album et réfléchir en termes de tracklist. Ce morceau sans batterie, on l’a composé un jour où Marvin (le batteur) ne pouvait pas être là. On s’est quand même vus, et cette chanson n’avait finalement pas besoin de batterie. On s’est dit qu’on allait la garder en la voyant comme une étape différente.

Vous êtes connus pour vos concerts. Comment ça se passe du studio au live ?

Quand on compose, on pense directement au live. Si le morceau ne marche pas dans le local, il ne marchera pas sur scène. On fait de la musique pour faire des concerts. Le studio est intéressant aussi parce que c’est tout un travail de mise en esthétique. L’album est l’image sonore du projet, et il y a beaucoup de choses que tu ne peux pas faire en live.
Charly : Le live vient dans la continuité, et l’idée est de pouvoir rejouer ces morceaux, de pouvoir les faire revivre à chaque fois différemment, de les faire évoluer. Tu réinterprètes le truc, et en live.
Sébastien : Il y a l’idée de l’accident. On envisage plus les concerts comme des performances que des spectacles. Il n’y a pas de chorégraphie, c’est un super terrain de jeu, et on laisse la place à l’imprévu. On a hâte de partir en tournée et de jouer pour défendre ce disque.

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